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La Cour des comptes face à l’augmentation de l’aide juridictionnelle

La Cour des comptes vient de publier un rapport sur l’aide juridictionnelle. Une politique qui a fait l’objet de multiples réformes ces dernières années et dont le budget est en forte augmentation. La Cour demande de mieux définir la politique en la matière.

par Pierre Januel, Journalistele 18 octobre 2023

Le budget de l’aide juridictionnelle a fortement augmenté ces dernières années, les dépenses passant de 342 millions d’euros en 2017 à 630 millions en 2022 (+ 13 % par an). Les affaires civiles concentrent 60 % de la dépense, le pénal 29 % et le contentieux administratif 11 %. Les projections du ministère prévoit que l’augmentation continuera ces prochaines années, avec un budget anticipé de 863 millions en 2027.

Pour la Cour, la participation variable des avocats à l’AJ pose question. L’aide représente environ 10 % des honoraires facturés par les avocats aux particuliers. Toutefois, elle se concentre sur un tiers des avocats, la proportion augmentant dans les petits barreaux, avec une rétribution annuelle moyenne de 20 708 euros en 2021. L’aide constitue donc un enjeu important pour une minorité d’avocats.
La faible rétribution des missions est régulièrement contestée par la profession : la conférence des bâtonniers vient d’ailleurs de demander l’augmentation « très substantielle » de l’unité de valeur. Mais la Cour rappelle que pour le Conseil d’État, l’aide juridictionnelle est une contrepartie du quasi-monopole de représentation dont disposent les avocats devant les tribunaux : « dans cette logique, la question est moins celle d’une sous valorisation de l’UV que des écarts de contributions des professionnels aux missions d’aide juridictionnelle ».

La Cour des comptes esquisse des solutions pour diminuer le coût de l’AJ. Elle met ainsi en avant l’Allemagne et du Royaume-Uni qui « ont une approche plus restrictive que la France », ciblant l’AJ les contentieux de nature pénale au Royaume-Uni, ou ceux ayant une chance d’aboutir en Allemagne.

Autre piste, en lien avec la volonté de développer les modes alternatifs de règlement des différends (MARD), « l’aide juridictionnelle pourrait permettre de solvabiliser les procédures de médiation, ce qui aura un coût ». Elle pourrait aussi devenir un outil de filtrage des requêtes.

La Cour note que le procès des attentats du 13 novembre (Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. G. Thierry) a entraîné une dépense d’aide juridictionnelle de 54 millions d’euros, avec certaines rémunérations très élevées (4 millions pour un avocat représentant 144 parties civiles). Cela devrait conduire à rendre dégressif certains montants versés.

Des réformes permettant un renforcement des contrôles ?

Différentes réformes ont été menées, comme le nouveau système d’information de l’aide juridictionnelle (Siaj), visant à dématérialiser les procédures. La Cour est sévère sur la gestion de ce projet, aux dysfonctionnements « importants » et à la gouvernance « longtemps confuse ».

Par ailleurs, depuis 2020, la loi a fait du revenu fiscal de référence le principal critère d’éligibilité à l’AJ (Dalloz actualité, 27 oct. 2019, obs. P. Januel). Une réelle simplification, qui facilite le travail des Bureaux d’aide juridictionnelle (Baj). Pour la Cour, « dégagés de ces missions chronophages », les Baj pourraient se recentrer sur d’autres missions, et exercer leurs pouvoirs d’appréciation des demandes. La loi de 1991 leur donne en effet la possibilité de déroger aux conditions de ressources (article 6) ou de refuser l’aide, notamment si l’action en justice apparaît irrecevable, dénuée de fondement ou abusive (art. 7). Or, ils n’utilisent actuellement ces possibilités que dans un « faible nombre de situations ».

Par ailleurs, les Baj pourraient mieux contrôler le fait que l’attributaire ne dispose pas déjà d’une assurance de protection juridique et recouvrer plus fréquemment les cas d’attribution indue. Pour cela, la Cour souhaite que le Ministère de la Justice établisse une doctrine d’action.