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L’affaire du détachement des pilotes Ryanair : identification du dirigeant occulte de la personne morale

Dans son arrêt du 17 octobre 2023, la chambre criminelle se prononce une nouvelle fois dans l’affaire du détachement des pilotes employés par la société Ryanair, et conclut à la condamnation de la société, contrairement à la postition adoptée en 2018.

par Méryl Recotilletle 10 novembre 2023

La compagnie aérienne irlandaise Ryanair s’oppose depuis une décennie à des organismes sociaux et à des syndicats français. L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 17 octobre 2023, s’analyse comme une nouvelle étape, peut-être la dernière, de la bataille judiciaire. 

Pour rappel, en 2006, la société Ryanair concluait un contrat avec la chambre de commerce et d’industrie portant sur l’ouverture d’une base à l’aéroport de Marseille et la mise à disposition de la société d’une surface de près de 300 m2, assortie de l’engagement, par celle-ci, de l’implantation d’avions basés sur le nouveau terminal et de la desserte, dans le délai de deux ans, d’environ quatorze destinations. La société Ryanair, qui assurait des liaisons régulières vers plusieurs villes du territoire national, employait, à Marseille, 127 personnes, pilotes et co-pilotes, ainsi que des personnels navigants techniques, et que deux personnes étaient en charge des relations entre Marseille et le siège social sis en Irlande.

Le 16 octobre 2009, l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) adressait au procureur de la République un procès-verbal selon lequel la société Ryanair aurait installé un établissement dans les locaux de l’aéroport de Marseille, où étaient basés quatre de ses avions. L’OCLTI relevait, dans ce procès-verbal, que la société Ryanair n’avait pas immatriculé son établissement auprès du registre du commerce et des sociétés (RCS) et n’avait pas déclaré auprès de l’URSSAF les salariés qu’elle avait employés. Deux syndicats ont, en outre, déposé plainte en affirmant que la compagnie avait exercé son activité sur le territoire français avec le concours d’une centaine de salariés, en se soustrayant à la législation sociale. La Caisse de retraite du personnel de l’aéronautique civile a déposé plainte à son tour, en faisant valoir que le personnel de la société était affilié au régime d’assurance irlandais, alors qu’il aurait dû l’être auprès d’elle.

Au terme de l’enquête préliminaire, une information était ouverte le 8 avril 2010 des chefs de travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre, entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel et emploi illicite de personnel navigant. Le juge d’instruction ordonnait le renvoi de la Ryanair devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés pour des faits commis de 2007 à 2010.

En date du 8 novembre 2011, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, dans l’information suivie contre Ryanair des chefs de travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre, entraves au fonctionnement du comité d’entreprise, des délégués du personnel, du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et à l’exercice du droit syndical, et emploi illicite de personnel navigant, se prononçait sur sa requête en nullité de pièces de la procédure.

Par jugement du 2 octobre 2013, le tribunal correctionnel déclarait la société coupable de l’ensemble des faits qui lui étaient reprochés, l’a condamnée au paiement d’une amende de 200 000 € et a prononcé sur l’action civile. Ryanair interjetait appel de cette décision et le ministère public formait un appel incident.

Le 28 octobre 2014 la Cour d’appel d’Aix-en-Provence condamnait, des chefs précités, Ryanair à 200 000 e€ d’amende, ordonnait l’affichage et la publication de la décision et a prononcé sur les intérêts civils.

Le 18 septembre 2018 (Crim. 18 sept. 2018, n° 15-80.735, Dalloz actualité, 3 oct. 2018, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2018. 581 ), appelée à se prononcer sur les condamnations des sociétés City Jet, Ryanair et Air France pour travail dissimulé, la chambre criminelle cassait la décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité prononcée pour l’ensemble des infractions, aux peines et aux dispositions civiles, toute autre disposition étant expressément maintenue. Les Hauts magistrats considéraient, conformément à une jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), que les juges français ne pouvaient écarter les certificats A1. L’affaire était alors renvoyée devant la Cour d’appel de Paris qui, le 13 mai 2022, persistait dans la condamnation de Ryanair pour travail dissimulé, prêt illicite de main-d’œuvre, entraves et emploi illicite de personnel navigant. La société formait de nouveau un pourvoi en cassation, dont l’examen a donné lieu à la décision de la chambre criminelle du 17 octobre 2023.

Parce que la responsabilité d’une personne morale ne peut être engagée qu’à la condition d’avoir identifié l’organe ou le représentant ayant agi pour le compte de la société, la Haute Cour s’est naturellement penchée sur cette question, avant d’envisager les infractions au droit du travail pour lesquelles la société était poursuivie.

L’identification de l’organe ou représentant

La jurisprudence est constante : la responsabilité d’une personne morale en vertu de l’article 121-2 du code pénal, est conditionnée à l’identification de l’organe ou représentant ayant agi pour le compte de la société prévenue dont les actes sont de nature à engager la responsabilité pénale de celle-ci (pour un rappel de l’évolution, v. Rép. pén.,  Violences involontaires, par Y. Mayaud, nos 468 s. ; pour une application récente, v. par ex., Crim. 14 févr. 2023, n° 22-81.901, RTD com. 2023. 458, obs. L. Saenko ). Ainsi, les juges du second degré ont naturellement tenté d’identifier ledit organe ou représentant. Or, l’espèce est atypique sur ce point, il appert que ce dernier mettait tout en œuvre pour que la justice française ne parvienne pas à déterminer son identité. En effet, l’arrêt attaqué a énoncé que, dans l’arrêt rendu le 22 mai 2017 par la Cour d’appel de Paris, statuant dans une autre formation, à l’égard de la même société prévenue, il était mentionné qu’un individu représentait en 2009 l’entreprise qu’il dirige sans avoir consenti de délégation de pouvoirs. Les juges ont relevé que l’intéressé avait refusé d’être entendu, n’avait pas répondu aux convocations d’enquête et s’était abstenu de comparaître devant la cour. Ils ont observé que cette attitude était une constante de la société qui se soustrayait à l’identification de son représentant légal. Ils ont déduit la volonté délibérée de Ryanair d’empêcher l’identification de son représentant en rendant occulte le véritable décideur, ce qui caractérisait la fraude. Ils en ont conclu que la responsabilité pénale de la personne morale avait été suffisamment recherchée, malgré les manœuvres précitées de soustraction, qui ont fait obstacle à ce que la société prévenue invoque sa propre turpitude pour échapper aux poursuites.

Les investigations entreprises pour identifier l’organe ou le représentant de la personne morale confrontées au comportement manifestement fuyant du supposé dirigeant suffisent-elles pour permettre l’engagement de la responsabilité pénale de la personne morale ?

La réponse de la Cour de cassation a été positive, estimant qu’« en se déterminant par ces seuls motifs, desquels il résulte que M. [M], dirigeant de la société, qui n’a pas allégué avoir consenti une délégation de pouvoirs, avait la qualité d’organe ou de représentant de la personne morale ayant agi pour son compte, la cour d’appel, qui s’est déterminée sur la base d’éléments de preuve versés au débat qu’elle a souverainement appréciés, a justifié sa décision. » La solution de la juridiction paraît cohérente avec la jurisprudence et la ligne de conduite qu’elle a établie. En effet, « non seulement, l’identification doit être explicite, mais elle doit encore faire l’objet d’une recherche active en ce sens. La démarche est bien sûr déterminante quant à l’imputation de l’infraction » (Rép. pén.,  Violences volontaires, préc., n° 476). Elle confirme également l’effet principal de la délégation de pouvoir à l’égard du dirigeant : échapper à sa responsabilité.

La question relative à l’identification de l’organe ou représentant ayant été évacuée, la Haute Cour pouvait se pencher sur les infractions reprochées à la société.

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