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Licenciement économique : dualité de définition donnée au groupe

En matière de licenciement pour motif économique, la Cour de cassation fait œuvre d’innovation et de clarification en retenant deux définitions du groupe selon qu’il s’agit d’apprécier la cause économique de la rupture, la pertinence du plan de sauvegarde de l’emploi ou le respect de l’obligation de reclassement.

par Bertrand Inesle 21 décembre 2016

Imaginé pour satisfaire les stratégies financières et économiques des sociétés, comme instrument d’abord de concentration industrielle et économique, ensuite de limitation des risques et de réalisation d’économies et, enfin, de valorisation financière (v. R. Vatinet, La pieuvre et l’Arlésienne, Dr. soc. 2010. 801 , nos 2, 3 et 16), le groupe est, malgré l’existence de nombreux textes qui apportent leur lot de définitions et de règles propres autant que diverses, d’appréhension malaisée, une « Arlésienne » a-t-il été écrit (v. R. Vatinet, préc.). Le groupe est pourtant une réalité, certes trouble, mais une réalité quand même et qui n’est pas sans influence sur la mise en œuvre effective du droit du travail. C’est pourquoi le code du travail est parcellé de références au groupe et quelques tentatives de définition, serait-ce par renvoi au code de commerce, y ont été insérées. On en trouve trace s’agissant notamment du comité de groupe (C. trav., art. L. 2331-1), de l’accord de groupe (C. trav., art. L. 2232-30 et L. 2232-31), du comité d’entreprise européen (C. trav., art. L. 2341-5) ou de la mise en place d’un plan d’épargne salariés dans un groupe d’entreprises (C. trav., art. L. 3344-1). L’un des parents pauvres reste le droit du licenciement pour motif économique. Évoqué (C. trav., art. L. 1233-4), le groupe n’est jamais défini par les textes (v. R. Vatinet, préc., n° 20). Il est donc revenu aux juges de s’atteler à cette tâche.

Les efforts se sont principalement concentrés sur le groupe qui sert de périmètre à l’obligation de reclassement de l’article L. 1233-4 du code du travail. Initialement cantonné à l’entreprise, le reclassement fut étendu au groupe auquel l’entreprise appartient (v. Soc. 25 juin 1992, n° 90-41.244, Bull. civ. V, n° 420 ; D. 1992. 209 ; Dr. soc. 1992. 710 et les obs. ; ibid. 826, concl. R. Kessous ; ibid. 1993. 272, note Q. Urban ; JCP E 1992. I. 197, n° 5, obs. P. Coursier ; C. trav., art. L. 1233-4). Mais c’est à l’intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent la permutation de tout ou partie du personnel que les recherches de reclassement devaient s’effectuer. Le groupe de reclassement était alors un sous-groupe au sein d’un groupe (v. F. Favennec-Héry, Le groupe de reclassement, Dr. soc. 2012. 987 ), entendu comme un groupe sociétaire dont les sociétés sont unies par des liens capitalistiques et organisées de manière pyramidale avec en leur sommet une société dominante (v. Soc. 25 juin 1992, préc. ; 27 oct. 1998, n° 96-40.626, Bull. civ. V, n° 459 ; 1er juin 2010, n° 09-40.421, Bull. civ. V, n° 121 ; D. 2010. Actu. 1564 ; Dr. soc. 2010. 995, obs. G. Couturier ; JCP S 2010. 1311, obs. C. Puigelier ; 5 juill. 2011, n° 10-14.628, D. 2012. Pan. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ). Afin d’assurer, en droit du travail, les finalités propres du reclassement, le périmètre du reclassement s’est cependant étendu au-delà du groupe, au sens du droit commercial (not. C. com., art. L. 233-1, L. 233-3 et L. 233-16), et s’est ainsi éloigné des exigences de liens financiers, de contrôle et d’influence (v. F. Favennec-Héry, préc. ; v. égal. Soc. 12 sept. 2012, n° 11-30.373, Dalloz jurisprudence, où la Cour de cassation reproche à une cour d’appel de ne pas avoir recherché si, en l’espèce, « la société n’appartenait pas à un même groupe que d’autres entreprises, même sans lien capitalistique entre elles, dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel »). La Cour de cassation a ainsi accepté que les recherches de reclassement soient effectuées entre une association gérant une gare routière et des entreprises de transport (v. Soc. 23 mai 1995, n° 93-46.142, Dr. soc. 1995. 678, obs. F. Favennec-Héry ), entre une société et ses partenaires (v. Soc. 5 oct. 1999, n° 97-41.838, Bull. civ. V, n° 368 ; D. 2000. 382 , obs. B. Reynès ; Dr. soc. 1999. 1112, obs. G. Couturier ), entre la société employeur et une autre société dans laquelle le gérant de la première avait des intérêts (v. Soc. 23 janv. 2003, n° 00-44.882, Bull. civ. V, n° 27 ; D. 2003. 531 ) ou entre des mutuelles de santé et la fédération à laquelle celles-ci ont adhéré (v. Soc. 11 févr. 2015, n° 13-23.573, Bull. civ. V, n° 26 ; Dalloz actualité, 26 févr. 2015, obs. B. Ines ), l’existence d’un même dirigeant et d’une production commune, la similarité des activités ou leur connexité, l’antériorité d’échanges de personnel entre les sociétés, l’identité du lieu d’exploitation ou la mise en commun de certains éléments de localisation ou des moyens de production (v. F. Favennec-Héry, préc.).

En matière de licenciement pour motif économique, le caractère réel et sérieux de la rupture est apprécié au regard du secteur d’activité du groupe auquel appartient l’entreprise concernée (v. Soc. 5 avr. 1995, nos 93-42.690 et 93-43.866, Bull. civ. V, n° 123 [2 arrêts] ; GADT, 4e éd., n° 114 ; D. 1995. 503 , note M. Keller ; ibid. 367, obs. I. de Launay-Gallot ; Dr. soc. 1995. 482, note P. Waquet ; ibid. 489, note G. Lyon-Caen ; JCP 1995. II. 22443, note G. Picca ; JCP E 1995. I. 499, n° 3, obs. P. Coursier ; 14 déc. 2011, nos 10-11.042 et 10-13.922, Bull. civ. V, nos 295 et 296 ; Dalloz actualité, 13 janv. 2012, obs. L. Perrin ; JCP S 2012. 1085, obs. P.-Y. Verkindt ; 26 juin 2012, n° 11-13.736, Bull. civ. V, n° 197 ; D. 2012. 1830 ; ibid. 2013. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta ; JCP S 2012. 1448, obs. Daniel ; 30 oct. 2013, n° 12-15.755 ; 17 déc. 2014, n° 13-21.205 ; 13 oct. 2015, n° 14-11.348, Dalloz jurisprudence), sans qu’il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national (v. Soc. 12 juin 2001, n° 99-41.571, Bull. civ. V, n° 214 ; D. 2001. 2560 ; Dr. soc. 2001. 894, obs. C. Masquefa ). De même, si le plan de sauvegarde de l’emploi doit comprendre des mesures précises et concrètes de reclassement des salariés à l’intérieur de l’entreprise et du groupe auquel elle peut appartenir (v. Soc. 10 juin 1997, n° 95-19.818, Bull. civ. V, n° 216 ; Dr. soc. 1997. 980, obs. G. Couturier ; 29 sept. 2015, n° 14-12.752, Dalloz jurisprudence), parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation leur permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (v. Soc. 17 mai 1995, n° 94-10.535, Bull. civ. V, n° 159 ; D. 1995. 436 , note G. Couturier ; ibid. 367, obs. I. de Launay-Gallot ; Dr. soc. 1995. 570, concl. P. Lyon-Caen ) – ce qui renvoie incidemment à la conception du groupe de reclassement ci-dessus décrite –, la pertinence du plan de sauvegarde de l’emploi s’apprécie en fonction des moyens dont disposent l’entreprise et le groupe dont elle relève (v. Soc. 18 nov. 1998, n° 96-22.343, Bull. civ. V, n° 501 ; D. 1999. 18 ; Dr. soc. 1999. 98, obs. F. Gaudu ; 9 mai 2000, n° 98-20.588, Bull. civ. V, n° 172 ; D. 2000. 157 ; Dr. soc. 2000. 789, obs. Gerard Couturier ; 29 sept....

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