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Le droit en débats

L’affaire Benalla : de la Cour au recours

Par Bismatoj, juriste en droit public le 27 Juillet 2018

Lors de son intervention télévisée du 24 juillet, l’avocat de M. Benalla, qu’on ne présente plus, s’est réservé le droit de contester le licenciement prononcé contre son client. Si d’après le portrait qui fut peint, M. Benalla est « combatif et commence un long périple judiciaire », poussera-t-il alors l’affaire jusqu’aux portes du tribunal administratif, loin des caméras et où même les plus grands pénalistes n’ont aucun pouvoir à la barre ? Allez, chiche1.

Comme l’a parfaitement rappelé Me Carrère dans ces mêmes colonnes (V. Les droits en débats, L’affaire Benalla ou quand la rapidité n’est pas mère de sécurité (juridique) et La sanction de Benalla : de jolis pas de cha-cha-cha), M. Benalla a été engagé par la Présidence en qualité d’agent contractuel de la fonction publique d’État. Il est soumis, et comme en témoigne les pages de son contrat de travail publié par Mediapart2, aux dispositions régissant cette catégorie de personnel, et au droit – nécessairement administratif – de la fonction publique3. Rappelons que selon ses règles, le licenciement constitue la sanction la plus grave pouvant lui être infligée4.

Indépendamment du volet pénal, quels sont les recours contentieux dont dispose M. Benalla ?

Si l’avocat de M. Benalla souhaite contester la légalité du licenciement, il dispose d’un délai de deux mois à compter de sa notification pour introduire un recours en excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Paris5. Il peut également le saisir d’un recours en référé-suspension tendant, à l’issue d’une procédure d’urgence instruite, auditionnée et jugée plus rapidement, à la suspension de l’exécution de son licenciement dans l’attente du jugement relatif à son annulation.

Mais pour ce recours en référé, M. Benalla devra établir, d’une part, qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité du licenciement et, d’autre part, qu’il existe aussi une urgence à suspendre cette décision. Cette seconde condition, exigée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, est traditionnellement remplie lorsque la décision attaquée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant6. Elle s’apprécie par le juge de façon concrète, compte tenu des justifications fournies par le requérant, et de façon objective, au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce7. Ainsi, le juge des référés tiendra également compte de l’argumentation du défendeur à l’instance – l’Élysée, et des intérêts publics qu’il invoquera pour justifier l’exécution immédiate du licenciement8.

Sur le plan probatoire, le requérant n’a plus besoin de prouver que cette condition d’urgence est remplie (perte de revenus, situation familiale, charges financières), car le Conseil d’État, mettant fin à un courant jurisprudentiel latent sur ce point, a jugé qu’un agent licencié bénéficie d’une présomption d’urgence, qui le décharge d’en apporter la preuve9. Évidemment, une telle présomption est simple, de sorte que la partie défenderesse cherchera à la renverser en invoquant des circonstances particulières, comme l’intérêt tiré de la sauvegarde de l’image publique de la Présidence au regard de la médiatisation incontrôlable de l’affaire, et de la stupéfiante gravité des faits qu’il lui appartient de sanctionner. Et ce serait bien légitime. Ainsi, l’urgence pour l’Élysée à exécuter le licenciement peut supplanter l’urgence pour M. Benalla d’obtenir la suspension de son exécution, même en cas de présomption10. L’issue d’un tel recours pourrait donc se révéler très stimulante pour les spécialistes du contentieux administratif.

Si la défense de M. Benalla se concentre sur l’unique recours en annulation, elle devra soulever des moyens juridiques susceptibles de révéler l’illégalité du licenciement. Que se passerait-il alors si le requérant obtient gain de cause ?

En premier lieu, si le tribunal annule le licenciement, ce dernier est réputé n’avoir jamais existé et l’Élysée devra réintégrer M. Benalla à la date d’effet du licenciement dans ses fonctions de chargé de mission. Cette réintégration s’achèverait au plus tard au terme de son CDD de cinq ans ; l’administration restant libre de ne pas renouveler le contrat ensuite11.

En second lieu, s’agissant des conséquences pécuniaires, encore faut-il que l’illégalité du licenciement engage la responsabilité de l’État pour ouvrir droit à une réparation financière. Ce qui n’est pas le cas s’il est établi que l’Élysée, ne respectant pas les règles disciplinaires, aurait pu prendre la même mesure pour sanctionner les mêmes faits. Aucune indemnisation ne peut être versée si le tribunal estime que, même si la procédure ou la forme de l’acte sont irrégulières, l’Élysée était dans son bon droit en licenciant M. Benalla12.

Par ailleurs, la décision de principe Deberle13 énonce qu’un agent irrégulièrement licencié ne peut pas, en l’absence de service fait, prétendre automatiquement au rappel de traitement couvrant la période litigieuse. En l’absence de travail, il n’y a pas de droit au salaire. Toutefois, M. Benalla pourrait, par une demande régulièrement présentée dans ce sens14, prétendre à la réparation intégrale du préjudice qu’il a subi du fait de l’illégalité de son licenciement, équivalent aux salaires qu’il n’a pas perçus.

À supposer que la responsabilité de l’État soit engagée, le tribunal forgera sa conviction, dans le cadre du plein contentieux, au vu des éléments des deux parties, de la gravité de l’illégalité commise par l’Élysée15, et des fautes dont M. Benalla s’est rendu coupable16. Ces dernières peuvent conduire le juge à supprimer toute indemnisation financière17.

M. Benalla pourrait aller jusqu’à demander la réparation de préjudices distincts et spécifiques résultant de cette illégalité, tels que le préjudice moral ou un préjudice dans ses conditions d’existence. De telles prétentions seraient, compte tenu de l’affaire qui nous occupe, proprement illusoires.

Les règles d’engagement de la responsabilité de la puissance publique imposent de prouver un lien de causalité entre le préjudice subi et l’illégalité de la décision. Or, ne serait-ce pas le propre comportement de M. Benalla qui lui a valu acharnement médiatique, vindicte populaire et atteinte à sa réputation, plutôt que l’illégalité du licenciement ? Le juge appréciera son comportement ainsi que l’illégalité du licenciement pour évaluer le préjudice.

Par la suite, à supposer que l’illégalité du licenciement soit reconnue, deux obstacles juridiques se dressent devant de potentielles demandes financières : l’absence totale d’indemnisation si la mesure de licenciement est justifiée au fond, et la réduction du préjudice face à l’évidente gravité des fautes commisses par M. Benalla.

Enfin, si le tribunal statue en défaveur de l’Élysée, rien ne l’empêchera juridiquement de reprendre, dès le jugement d’annulation, une nouvelle mesure de licenciement purgée l’illégalité mise en lumière (si celle-ci est purement procédurale).

 

 

1. Par choix personnel, l’auteur a souhaité traiter les seules questions processuelles attachées aux différents recours et aux conséquences d’une éventuelle censure par le tribunal, sans évoquer les moyens de légalité susceptibles d’être soulevés.
2. Contrats de M. Benalla.
3. L’affaire Benalla ou quand la rapidité n’est pas mère de sécurité (juridique), 20 juill. 2018.
4. 4° de l’art. 43-2 du décr. n° 86-83 du 17 janv. 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État 
5. L’opposabilité du délai de forclusion de deux mois prévu par l’art. R. 421-1 du CJA est conditionnée, selon l’art. R. 421-5 du même code, à la mention des voies et délais de recours dans la décision attaquée.
6. CE, sect., 19 janv. 2001, Confédération nationale des radios libres, n° 228815, Lebon avec les concl. ; AJDA 2001. 152 ; ibid. 150, chron. M. Guyomar et P. Collin ; D. 2001. 1414, et les obs. , note B. Seiller ; ibid. 2002. 2220, obs. R. Vandermeeren ; RFDA 2001. 378, concl. L. Touvet .
7. CE, sect., 28 févr. 2001, Préfet des Alpes Maritimes, n° 229562, Lebon ; AJDA 2001. 464 ; ibid. 461, chron. M. Guyomar et P. Collin ; ibid. 465, chron. M. Guyomar et P. Collin ; D. 2002. 2222 , obs. R. Vandermeeren ; RFDA 2001. 399, concl. P. Fombeur .
8. Par ex., pour une affaire d’éviction d’une magistrate dans laquelle existait un intérêt général lié au bon fonctionnement du service public au regard de la condition de bonne moralité prévue par le statut de la magistrature, v. CE 1er févr. 2008, n° 311939, inédit, AJDA 2008. 1167 .
9. CE 24 juill. 2009, n° 325638, inédit, Lebon ; AJDA 2009. 1516 ; AJFP 2010. 104 , note R. Fontier .
10. CE 13 nov. 2002, M. Hourdin, n° 248851, Lebon ; AJDA 2003. 695 ; RDI 2003. 205, obs. P. Soler-Couteaux .
11. CE 6 juin 1986, Mme Lesne, n° 49758, Lebon ; CE 14 nov. 1997, M. Janky, n° 163040, Lebon .
12. CE, sect., 19 juin 1981, Carliez, n° 20619, Lebon .
13. CE, ass., 7 avr. 1933, Deberles, n° 4711, Lebon .
14. L’art. R. 421-1 du CJA dispose désormais que la requête tendant au paiement d’une somme d’argent n’est recevable qu’après l’intervention d’une décision prise par l’administration sur une demande préalablement formée devant elle.
15. CE 18 nov. 2015, Sereme, n° 380461, Lebon avec les concl. ; AJDA 2016. 800 , note C. Lantero ; ibid. 2015. 2236 .
16. CE 22 sept. 2014, n° 365199, Lebon ; AJDA 2015. 122 , note A. Perrin ; ibid. 2014. 1858 .
17. CE, sect., 9 janv. 1959, Sieur Dumas, n° 9430, Lebon ; CE 17 janv. 1965, Ministre de l’intérieur c/ Sieur Picard, n° 57396, Lebon .