La personne qui fait l’objet d’une audition par une CEP dispose du droit de relire son témoignage et de formuler des observations (7.1.) mais ne bénéficie pas d’un droit au silence (7.2.). Par ailleurs, la pratique parlementaire permet à la personne auditionnée par une CEP de bénéficier de l’assistance d’un avocat (7.3.).
7.1. Droit de relecture et d’observations
Toute personne auditionnée a la possibilité de relire son témoignage et d’émettre des observations écrites63.
Les personnes entendues par une CEP sont autorisées à prendre connaissance du compte-rendu de leur audition. Lorsque l’audition a été effectuée à huis clos (v. infra, section 8.), la communication des comptes rendus doit être faite sur place et aucune correction ne peut y être apportée. Toutefois, l’intéressé peut faire part de ses observations par écrit. Celles-ci sont soumises à la CEP, qui peut décider ou non d’en faire état dans son rapport.
7.2. Absence de droit au silence
Les auditions devant les CEP n’offrent pas de droit au silence. Le refus de répondre aux questions posées est assimilé à un refus de déposer et donc passible de sanctions lourdes : deux ans d’emprisonnement et 7 500 € d’amende64.
Cette obligation de répondre aux questions d’une CEP a pu susciter certaines interrogations, notamment au regard du respect des droits de la défense. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi été amenée à se prononcer sur le statut de déclarations qui avaient été faites au cours d’une audition par une CEP et utilisées dans le cadre d’une procédure pénale subséquente. Dans une décision du 19 mars 2015 (Corbet et autres c/ France), la Cour a estimé, au regard des peines encourues en cas de refus de comparaître ou de déposer, que l’utilisation par l’autorité judiciaire des déclarations faites devant une CEP est susceptible de contrevenir au droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination, garanti par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme65. Elle a cependant considéré que l’utilisation dans le cadre d’une procédure pénale subséquente des déclarations faites lors de l’audition devant une CEP ne constituait pas per se une violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Pour que la violation du droit de ne pas s’auto-incriminer soit effective, la Cour européenne retient qu’il convient de se livrer à une appréciation in concreto afin de déterminer si les déclarations faites devant la CEP ont eu une incidence sur la décision de condamnation de la juridiction pénale : « Ce qui compte, c’est l’utilisation faite au cours du procès pénal des dépositions recueillies sous la contrainte ; si elles ont été utilisées d’une manière tendant à incriminer l’intéressé, il y a violation de l’article 6, § 1 »66. Il ne saurait ainsi y avoir de violation du principe lorsque les déclarations faites devant la CEP n’ont été utilisées que de manière secondaire, pour l’établissement du contexte factuel de l’affaire.
Par ailleurs, afin de ne pas injustement pénaliser les personnes entendues par une CEP qui ne bénéficiaient pas de l’immunité attachée aux discours prononcés au sein des chambres parlementaires67, la loi n° 2008-1187 du 14 novembre 2008 est venue protéger les personnes auditionnées contre les éventuelles actions en diffamation, injure ou outrage pouvant être intentées à la suite de propos tenus devant une CEP, sous réserve des propos étrangers à l’objet de l’enquête68. En revanche, la loi n’empêche pas les poursuites contre les délits d’opinion ou les propos haineux tenus dans le cadre d’une CEP, comme l’a illustré le cas de la CEP sur la lutte contre les groupuscules d’extrême-droite en France69.
7.3. Droit d’être assisté par un avocat
7.3.1. La présence de l’avocat au cours de l’audition
Les textes sont silencieux quant à la possibilité pour les personnes entendues par une CEP d’être assistées par un avocat au cours de l’audition. La jurisprudence européenne, pour sa part, est incertaine sur le sujet70. Il convient donc de se référer à la pratique des CEP en la matière.
Rien n’interdit à la personne auditionnée de demander à être accompagnée de son avocat lors de l’audition, le recours à un avocat ayant pu être négocié à plusieurs reprises dans des CEP71. La présence de l’avocat peut se révéler particulièrement précieuse, notamment lorsqu’il convient de préserver certains secrets (professionnel, des affaires…) ou lorsque les frontières entre une CEP et une procédure pénale parallèle sont ténues et que les propos tenus sont susceptibles par la suite d’être utilisés à l’encontre de leurs auteurs. Ce fut ainsi le cas lors de la CEP du Sénat sur l’affaire Benalla au cours de laquelle l’avocate d’Alexandre Benalla était présente à ses côtés. Le compte-rendu de son audition indique que celle-ci lui a conseillé à plusieurs reprises de ne pas répondre à certaines questions empiétant sur le champ des procédures judiciaires parallèles, et l’enregistrement de l’audition montre qu’elle est intervenue à plusieurs reprises pour lui fournir certains conseils de façon discrète72.
La CEP sur l’affaire d’Outreau semble avoir dessiné un semblant de doctrine relative à l’intervention de l’avocat au cours de l’audition, en admettant le droit d’être assisté par un avocat mais à la condition que ce dernier soit « taisant » et que sa présence soit fonction « de la spécificité de la situation et sous réserve de la définition de règles préalables à l’audition concernée »73.
L’intervention de l’avocat, lors des auditions, en amont ou aval de celles-ci, apparaît également comme un garde-fou nécessaire lorsque les membres d’une CEP outrepassent leur rôle. Le président de la CEP de l’Assemblée nationale chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire Sarah Halimi s’est ainsi attiré de nombreuses critiques74 de certains de ses collègues. Le président avait ainsi donné le sentiment par certains de ses propos et initiatives, comme celle d’organiser une reconstitution, de vouloir refaire le procès de l’individu qui avait bénéficié d’un non-lieu pour l’assassinat antisémite de Sarah Halimi du fait de son irresponsabilité pénale, violant par là le principe de la séparation des pouvoirs. De la même façon, le président de ladite CEP s’est également affranchi du respect des règles de confidentialité prévues par le règlement de l’Assemblée nationale en dévoilant le contenu des auditions de certaines personnes auditionnées à huis clos par la CEP sur son compte Facebook, ce qui lui a valu un rappel à l’ordre du président de l’Assemblée nationale75.
Lorsqu’un élu outrepasse vertement ses prérogatives, aidé en cela par le manque de précision des textes gouvernant la tenue des CEP – constat d’ailleurs fait par la rapporteure de la CEP ayant porté sur l’affaire Sarah Halimi76 –, la présence de l’avocat afin de veiller au strict respect des règles de séparation des pouvoirs et de respect de l’autorité de la chose jugée apparaît nécessaire, notamment lorsque la personne auditionnée n’est pas un professionnel du droit ou de la chose publique. À cet égard, on relèvera qu’une des juges d’instruction en charge de l’information judiciaire relative à l’affaire Sarah Halimi s’était fait accompagner d’une représentante de l’association professionnelle des magistrats instructeurs avant que cette dernière ne soit invitée à quitter la salle d’audience lorsque le président de la CEP a déclaré avoir remarqué que la juge auditionnée et sa collègue échangeaient des propos77.
7.3.2. Le rôle de l’avocat en dehors de l’audition
Le principe de séparation des pouvoirs impose l’autonomie complète des parlementaires dans l’établissement d’une CEP. Le rôle de l’avocat, interlocuteur habituel de l’autorité judiciaire et non de l’autorité parlementaire, s’en trouve nécessairement limité.
Les personnes convoquées par une CEP et leurs conseils ne peuvent s’opposer ni à l’ouverture de celle-ci ni au traitement des informations communiquées aux parlementaires. Ainsi, les démarches engagées par les avocats du président-directeur général de Lactalis, pour obtenir de la garde des Sceaux l’interruption des travaux de la CEP enquêtant sur la société de leur client, au motif de l’existence d’une procédure judiciaire parallèle, se sont avérées vaines78.
De la même façon, aucun recours judiciaire et notamment administratif n’est envisageable contre le rapport d’une CEP. Celui-ci est indissociable de la fonction parlementaire de contrôle exercée par les commissions ; la mission de ces dernières échappe donc intégralement au juge de l’excès de pouvoir. Le Conseil d’État a ainsi clairement énoncé qu’aucune juridiction n’était compétente pour juger du refus d’une CEP de ne pas publier son rapport ou certaines de ses auditions79.