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La fraude fiscale et son blanchiment : retour sur leur cumul et leur prescription

Dans son arrêt du 13 décembre 2023, la chambre criminelle a apporté d’intéressants éclairages et illustrations quant à l’addition des sanctions fiscales et pénales en cas de fraude fiscale, au cumul de cette infraction avec son blanchiment ainsi qu’à la prescription de l’action publique des infractions clandestines.

par Méryl Recotilletle 26 janvier 2024

En l’espèce, le mis en cause a été cité devant le tribunal correctionnel des chefs de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, aggravé par la circonstance que les faits ont été commis de façon habituelle.

Au titre de la fraude fiscale, il lui était reproché de s’être, entre 2009 et 2012, frauduleusement soustrait à l’établissement et au paiement des impôts dus au titre des années 2008 à 2012 en dissimulant volontairement une part des sommes sujettes à l’impôt sur le revenu et à l’impôt de solidarité sur la fortune.

Au titre du blanchiment, il lui était reproché d’avoir, entre le 16 mai 1996 et le 2 novembre 2016, apporté son concours à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect du délit de fraude fiscale, en l’espèce en plaçant des avoirs sur des comptes détenus à l’étranger non déclarés à l’administration fiscale, en convertissant le produit de l’infraction grâce à la constitution d’un trust aux Bahamas et à l’acquisition d’un terrain en Colombie, sur lequel une villa avait été construite par le biais d’une société écran, en procédant à des encaissements de sommes en provenance de personnes physiques et de personnes morales, non déclarées à l’administration fiscale, puis au décaissement de ces sommes par des opérations successives, en employant les sommes non déclarées notamment à l’aménagement et l’entretien de la villa en Colombie et en procédant à des retraits en espèces et plusieurs virements depuis les comptes détenus à l’étranger.

Parallèlement, le prévenu a saisi le juge administratif en contestation du redressement fiscal lui ayant été appliqué.

Par jugement, le tribunal correctionnel, après avoir rejeté les exceptions soulevées par le prévenu, a relaxé partiellement l’intéressé des faits de blanchiment aggravé et l’a déclaré coupable pour le surplus. Les premiers juges l’ont condamné à trois ans d’emprisonnement, 600 000 € d’amende et dix ans d’interdiction de gérer, ont ordonné la révocation en totalité du sursis simple de dix mois, prononcé à son encontre par le Tribunal correctionnel de Nanterre le 3 mai 2012, et ordonné la confiscation de montres et du solde créditeur du compte dont il est titulaire, qui avaient été saisis. Statuant sur l’action civile, le tribunal a déclaré recevable la constitution de partie civile de l’État français, et condamné le prévenu, solidairement avec sa co-prévenue, à lui verser la somme de 150 000 € en réparation du préjudice subi.

Le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision. La cour d’appel, en date du 22 février 2022, qui, pour fraude fiscale et blanchiment aggravé, l’a condamné à dix-huit mois d’emprisonnement, 300 000 € d’amende, une confiscation, a ordonné la révocation d’un sursis et a prononcé sur les intérêts civils. Le prévenu a formé un pourvoi en cassation.

Quant à la violation du principe non bis in idem

Nul ne peut être poursuivi et sanctionné plusieurs fois pour les mêmes faits, selon le principe non bis in idem (Rép. pén., Peine, par J.-P. Céré et L. Grégoire, nos 125 s.). Dans l’arrêt sous commentaire, le prévenu soulevait sa violation, en raison du cumul des sanctions pénales et fiscales pour la fraude fiscale, mais aussi concernant le cumul de cette infraction avec son blanchiment.

Le cumul de sanctions pénales et fiscales

L’infraction de fraude fiscale suppose bien souvent l’addition de sanctions de nature fiscale et pénale. Comme l’a rappelé la chambre criminelle dans l’arrêt soumis à commentaire, selon l’article 1741, alinéa 1er, du code général des impôts, le fait de se soustraire ou tenter de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt est passible de sanctions pénales, indépendamment des sanctions fiscales applicables en vertu de l’article 1729 du même code.

Elle a ajouté que le Conseil constitutionnel avait émis des réserves d’interprétation à l’occasion de plusieurs décisions (Cons. const. 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 QPC, Dalloz actualité, 27 juin 2016, obs. J. Gallois ; D. 2016. 2442 , note O. Décima ; ibid. 1836, obs. C. Mascala ; ibid. 2017. 1328, obs. N. Jacquinot et R. Vaillant ; AJ pénal 2016. 430, obs. J. Lasserre Capdeville ; Constitutions 2016. 361, Décision ; ibid. 436, chron. C. Mandon ; RSC 2016. 524, obs. S. Detraz ; 22 juill. 2016, n° 2016-556 QPC, D. 2016. 1569 ; 23 nov. 2018, n° 2018-745 QPC, Dalloz actualité, 4 déc. 2018, obs. P. Dufourq ; ibid. 7 déc. 2018, obs. J. Gallois ; AJDA 2019. 1803, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2018. 2237, et les obs. ; ibid. 2019. 439, point de vue J. Roux ; ibid. 2320, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; Constitutions 2018. 465, Décision ).

En application de ces réserves, la chambre criminelle a posé plusieurs conditions au prononcé de sanctions pénales lorsque le prévenu de fraude fiscale a fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale pour les mêmes faits (Crim. 11 sept. 2019, n° 18-81.067, n° 18-81.040 et n° 18-84.144, Dalloz actualité, 19 sept. 2019, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2019. 564 ; Rev. sociétés 2020. 251, note J.-H. Robert ; 23 oct. 2019, n° 18-85.088, Dalloz actualité, 12 nov. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 2097 ; AJ pénal 2020. 25, étude C. Litaudon ; Rev. sociétés 2020. 308, note B. Bouloc ; RTD com. 2019. 1022, obs. B. Bouloc ).

Ce fut ensuite au tour de la Cour de justice de l’Union européenne de se prononcer à la suite d’une question préjudicielle qu’elle lui avait transmise (CJUE 5 mai 2022, aff. C-570/20, Dalloz actualité18 mai 2022, obs. J. Gallois ; RTD eur. 2023. 294, obs. A. Maitrot de la Motte ). Alors, la Cour de cassation a ajouté à ces exigences, en matière de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, impôt entrant dans le champ de l’Union européenne, et en conséquence soumis à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux, une double obligation pour le juge pénal.

D’une part, lorsque le prévenu justifie avoir fait l’objet, à titre personnel de sanctions fiscales et s’il est saisi d’un moyen en ce sens, le juge doit vérifier qu’il était raisonnablement prévisible, au moment où l’infraction a été commise, que celle-ci était susceptible de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale. D’autre part, lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l’objet, à titre personnel, d’une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, après avoir constaté le montant des pénalités fiscales appliquées, il incombe au juge de s’assurer que la charge finale résultant de l’ensemble des sanctions prononcées, quelle que soit leur nature, ne soit pas excessive par rapport à la gravité de l’infraction qu’il a commise (Crim. 22 mars 2023, n° 19-80.689 et n° 19-81.929, D. 2023. 1162 , note L. Saenko ; ibid. 1546, chron. L. Ascensi, M. Fouquet,...

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