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Le droit en débats

La naissance d’une nouvelle distinction entre les fins de non-recevoir. À propos de l’avis du 11 octobre 2022

Dans un avis du 11 octobre 2022, la deuxième chambre civile a décidé que le conseiller de la mise en état n’était pas compétent pour connaître de la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté d’une prétention en cause d’appel car il s’agit d’une fin de non-recevoir relevant de l’appel. Est ainsi créée une nouvelle distinction entre les fins de non-recevoir relevant l’appel et celles touchant à la procédure d’appel, qui mérite d’être éprouvée…

Par Nicolas Hoffschir le 27 Octobre 2022

L’avis rendu le 11 octobre 2022 est curieux. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation y a certes énoncé que le conseiller de la mise en état avait vocation à connaître de l’ensemble des fins de non-recevoir. Mais ce qui a ainsi été donné d’une main a été repris immédiatement de l’autre puisqu’elle a ajouté que la cour d’appel reste compétente pour statuer sur les fins de non-recevoir relevant de l’appel, parmi lesquelles on doit compter les fins de non-recevoir tirées de la nouveauté d’une prétention par rapport à celles formulées en première instance (C. pr. civ., art. 564) ou à celles contenues dans le premier jeu de conclusions (C. pr. civ., art. 910-4) ; en revanche, le conseiller de la mise en état est compétent pour connaître des fins de non-recevoir touchant à la procédure d’appel.

Comme cela a été justement souligné, l’avis revêt essentiellement un caractère « politique » (R. Laffly, note ss. Civ. 2e, avis, 11 oct. 2022, n° 22-70.010 P, Dalloz actualité, 18 oct. 2022, obs. R. Laffly). Mais, hélas, il n’est pas certain qu’il s’oriente dans une direction conforme aux intérêts des justiciables.

Le caractère « politique » de l’avis

L’avis revêt un caractère « politique » ; cette conclusion s’impose alors que les arguments avancés à son soutien paraissent, c’est le moins que l’on puisse dire, peu convaincants.

Une apparence de justification

La distinction entre les fins non-recevoir relevant de l’appel et celles touchant à la procédure d’appel ne constitue qu’une apparence de justification. Elle ne peut être induite des différents textes composant le code de procédure civile : qu’en application de l’article 914 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état connaisse de la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel laisse plutôt entendre qu’il est compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir relevant de l’appel. Elle ne découle pas davantage de l’avis du 3 juin 2021 aux termes duquel la Cour de cassation avait énoncé que « le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge » (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006 P, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; ibid., 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1139 ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ). Cet avis rappelait simplement que le conseiller de la mise en état n’avait pas vocation à infirmer ou à annuler les décisions rendues par les premiers juges ; pour déterminer si le conseiller de la mise en état était compétent pour statuer sur une fin de non-recevoir, il suffisait de se demander si, en l’accueillant, le magistrat aurait mécaniquement été conduit à annuler ou à infirmer une décision rendue en première instance (N. Hoffschir, Les pouvoirs du conseiller de la mise en état à l’égard des fins de non-recevoir, note ss. Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006 P, Gaz. Pal. 2 nov. 2021, p. 61) ; à l’aune de ce critère, sauf à confondre la recevabilité de la prétention et son bien-fondé, rien n’excluait que le conseiller de la mise en état statue sur la fin de non-recevoir tirée d’une demande nouvelle en cause d’appel.

Cette distinction est en réalité reprise d’une « intuition », très simple, exposée dans ces colonnes il y a quelques mois : « le CME est juge de la procédure d’appel et non du fond » (M. Barba, Qui connaît de la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel ?, Dalloz actualité, Le droit en débats, 13 mai 2022). À cela, il était possible de rétorquer que statuer sur des fins de non-recevoir implique bien souvent de trancher un élément relevant du fond du droit, car le droit d’agir lui-même tisse des liens étroits avec le droit substantiel (v. par ex. D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé. Tome 1. Partie générale, 5e éd., PUF, 2021, n° 189 ; P. Mayer, V. Heuzé et B. Rémy, Droit international privé, 12e éd., LGDJ, 2019, n° 517). Mais, en tout état de cause, il ne s’agissait là que d’une intuition. Une intuition peut être juste ; elle peut aussi être erronée, comme celle qui veut que les fins de non-recevoir soient soulevées avant toute défense au fond. Mais, dans tous les cas, elle ne constitue pas une argumentation en elle-même, mais plutôt une l’expression d’une compréhension spontanée d’un problème, qui demande encore à être confirmée ou infirmée par une argumentation logique. L’auteur de cette intuition avait d’ailleurs proposé de la vérifier à la lumière de certains arguments logiques, qui avaient donné lieu à discussion (v. not. T. Le Bars, La compétence du conseiller de la mise en état pour prononcer l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel, Dalloz actualité, Le droit en débats, 7 juill. 2022). Ces arguments sont absents de l’avis qui, pourtant, donne à l’intuition force de loi.

L’argument insuffisant de la bonne administration de la justice

Pour justifier son avis, la deuxième chambre civile énonce encore que l’examen de la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté d’une prétention en appel implique que les parties n’aient plus la possibilité de déposer de nouvelles conclusions après l’examen par le juge de ces fins de non-recevoir car il « importe […] dans le souci d’une bonne administration de la justice, d’éviter que de nouvelles fins de non-recevoir soient invoquées au fur à mesure du dépôt de nouvelles conclusions et de permettre au juge d’apprécier si ces fins de non-recevoir n’ont pas été régularisées ». À première vue, cet argument paraît transposable à toutes les fins de non-recevoir dont la cause est susceptible de disparaître au cours du temps : l’autorité de la chose jugée attachée à une décision peut toujours être remise en cause par l’exercice d’une voie de recours, l’intérêt ou la qualité à élever une prétention peuvent toujours apparaître au cours de l’instance…

En réalité, ce qui pose difficulté est moins la possibilité d’une éventuelle régularisation que le risque de « remise en cause » de la décision rendue par le conseiller de la mise en état : alors que la nouveauté d’une prétention doit être appréciée au regard de celles formulées en première instance (C. pr. civ., art. 564) ou dans un premier jeu de conclusions (C. pr. civ., art. 910-4), l’irrecevabilité ne peut être prononcée lorsque la prétention litigieuse est destinée à faire écarter les prétentions adverses ou à faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait, autant d’événements qui peuvent survenir jusqu’à la clôture des débats ; en somme, une prétention qui devrait être déclarée irrecevable un jour par le conseiller de la mise en état pourrait ne plus avoir à l’être le lendemain au regard de l’évolution des débats… Il s’agit là d’un effet de bord inhérent à la compétence reconnue au juge ou au conseiller de la mise en état de statuer sur les fins de non-recevoir. Mais cet effet de bord a un remède : si ces évènements surviennent postérieurement à la décision du conseiller de la mise en état prononçant l’irrecevabilité d’une prétention, l’autorité de la chose jugée attachée à son ordonnance ne fait pas obstacle à ce que la prétention soit à nouveau soumise au magistrat ou à la cour : « l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice » (Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-12.140 P, Dalloz actualité, 19 janv. 2021, obs. C. Bléry ; Com. 20 avr. 2017, n° 15-14.998 NP ; Civ. 1re, 8 févr. 2017, n° 16-12.650 NP ; Civ. 2e, 6 mai 2010, n° 09-14.737 P, D. 2010. 1291 ; RTD civ. 2010. 615, obs. R. Perrot ). On peut toujours avancer qu’il vaut mieux, en vue d’une bonne administration de la justice, que la cour d’appel statue après le dépôt des dernières écritures pour éviter ces remises en cause de l’autorité de la chose jugée. Mais c’est oublier que la cour n’est pas tenue de vider le litige dans une unique décision, de sorte que le remède n’évite pas nécessairement le mal… En outre, attendre le dépôt des dernières écritures pour déterminer si une prétention est recevable, c’est prendre le risque que celle-ci soit instruite en pure perte et cela n’est pas forcément conforme à la bonne administration de la justice… Cette dernière remarque établit que le décret n’était pas manifestement incompatible avec l’objectif de bonne administration de la justice.

Ces justifications paraissent finalement assez faibles et ne devraient pas justifier de remettre en cause la volonté politique exprimée dans le décret du 11 décembre 2019 de confier à la compétence du juge ou du conseiller de la mise en état le soin de statuer sur les fins de non-recevoir.

Les conséquences de l’avis

L’avis génère des incertitudes et il n’est pas certain que retarder le moment pour statuer sur les fins de non-recevoir serve les intérêts des justiciables.

Les incertitudes découlant l’avis

L’avis consacre une distinction nouvelle, celle entre les fins de non-recevoir relevant de l’appel et celles touchant à la procédure d’appel. La difficulté est de cerner les contours de ces nouvelles catégories juridiques en disposant simplement de quelques indices : la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté d’une prétention en cause d’appel constitue une fin de non-recevoir relevant de l’appel, tandis que celle tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou des conclusions des parties doit être qualifiée de fin de non-recevoir touchant à la procédure d’appel. L’avis devrait en réalité conduire à priver le conseiller de la mise en état de la possibilité de statuer sur les fins de non-recevoir dont l’objet est une prétention, même nouvelle, en cause d’appel.

Il convient déjà d’observer que la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté d’une prétention en cause d’appel est relative et contingente à une procédure donnée ; elle n’implique pas de prendre parti sur l’existence du droit de son auteur d’élever cette même prétention dans une autre procédure. Il y aurait une certaine incongruité méthodologique à affirmer que le conseiller de la mise en état devrait néanmoins statuer sur les causes d’irrecevabilité qui, par opposition, peuvent être qualifiées d’absolues car elles ne sont pas attachées à une procédure donnée : statuer sur l’existence du droit d’agir de l’auteur de cette prétention au regard de l’intérêt ou de la qualité à agir, de la prescription ou de l’autorité de la chose jugée ne paraît possible que si la prétention est recevable en cause d’appel…

Scruter la démarche du juge lorsqu’il apprécie la nouveauté d’une prétention formulée pour la première fois en cause d’appel conforte une telle analyse : le juge doit alors examiner les prétentions soulevées en première instance et déterminer si celles élevées en cause d’appel poursuivent la même finalité (C. pr. civ., art. 564). Une démarche intellectuelle comparable doit être suivie pour statuer sur d’autres fins de non-recevoir dont l’objet est une prétention : afin de déterminer si un droit est prescrit, il faut parfois examiner la finalité d’une prétention pour apprécier la portée de son effet interruptif ; lorsqu’il est recherché si une prétention se heurte à l’autorité de la chose jugée attachée à une précédente décision, il est parfois nécessaire de déterminer si certains moyens, que le défendeur s’est abstenu de soulever lors d’une précédente instance, auraient pu entraîner le rejet partiel ou définitif de la demande qui était formée à son encontre…

Tout cela laisse entendre que si le conseiller de la mise en état ne peut statuer sur une fin de non-recevoir ayant pour objet une prétention sur laquelle il a été statué en première instance (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006 P, préc.), il ne devrait pas davantage pouvoir statuer sur la recevabilité d’une prétention nouvelle en cause d’appel et la réforme opérée par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 devrait finalement n’avoir que peu d’incidences à cet égard. Il est vrai que l’on pourrait objecter à cette analyse que la distinction entre les fins de non-recevoir relatives à l’appel et celles touchant à la procédure d’appel n’a vocation qu’à résoudre, au regard de l’idée de bonne administration de la justice, la problématique liée à la nouveauté d’une prétention en cause d’appel. Mais tant que la Cour de cassation ne l’aura pas énoncé, des incertitudes demeureront…

Le risque pour les parties

Il convient en outre de rappeler que l’irrecevabilité génère un grand risque pour les parties dès lors que, pour interpréter l’article 2243 du code civil, la Cour de cassation estime qu’une fin de non-recevoir peut conduire au rejet définitif d’une prétention (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 19-14.935 NP ; Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 17-10.663 P, Dalloz actualité, 8 avr. 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 648 ; Com. 26 janv. 2016, n° 14-17.952 P, Dalloz actualité, 15 févr. 2016, obs. F. Mélin ; D. 2016. 310 ) : l’irrecevabilité de la demande en cause d’appel pourrait, même si la Cour de cassation ne paraît pas avoir eu l’occasion de statuer sur ce point, remettre en cause l’effet interruptif attaché à cette demande. Permettre au conseiller de la mise en état de statuer sur les fins de non-recevoir portant sur des prétentions nouvelles aurait pu au moins permettre de statuer rapidement sur ces moyens de défense…

En définitive, le chemin emprunté par la Cour de cassation n’est pas celui prescrit par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 et, pour ne rien arranger, il est jalonné d’incertitudes…