Posons d’abord les termes du débat. L’article 564 du code de procédure civile dispose qu’à peine « d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ». Pendant longtemps, la question de l’éventuelle compétence du conseiller de la mise en état pour prononcer cette fin de non-recevoir ne se posait pas sérieusement, car aucun texte ne pouvait être invoqué en ce sens. En vertu de l’article 914 du code de procédure civile (article 911, jusqu’en 2011), ce magistrat avait pour mission de se prononcer sur la recevabilité de l’appel et, à partir de 2011, sur celle des conclusions de l’intimé ou de l’intervenant forcé qui dépassait le délai qui lui était imparti pour conclure. Toujours par application de l’article 914, il était également compétent, depuis 2017, pour déclarer irrecevables les actes de procédure non conformes aux exigences de l’article 930-1 relatif à la communication électronique. Mais, faute de texte en ce sens, le conseiller de la mise en état ne pouvait pas sanctionner l’irrecevabilité d’une simple demande nouvelle. Cette prérogative revenait à la cour d’appel elle-même. De plus, le renvoi général effectué par l’article 910 (jusqu’en 2011), puis par l’article 907 (à partir de 2011), à l’article 771 du code de procédure civile – qui jusqu’en 2020 listait les pouvoirs du juge de la mise en état – ne changeait rien à la situation. En effet, l’article 771 ne confiait pas au juge de la mise en état du tribunal de grande instance la mission de se prononcer sur les fins de non-recevoir.
Tout a changé avec le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019. Depuis le 1er janvier 2020, les instances introduites à compter de cette date sont soumises au nouvel article 789 du code de procédure civile qui, en son 6°, accorde compétence au juge de la mise en état du tribunal judiciaire pour « statuer sur les fins de non-recevoir ». Le renvoi de l’article 907 du même code à l’article 789 (qui a remplacé l’article 771) implique qu’en appel le conseiller de la mise en état (CME), quand il existe, est désormais compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir (v. P. Gerbay et N. Gerbay, Procédure civile : à la recherche d’un nouveau souffle, JCP 2020. 1193, n° 2 ; N. Gerbay, note crit. ss Paris, 2 juin 2020, JCP 2020. 884). La question s’est évidemment très vite posée de savoir comment il fallait articuler cette disposition générale et le texte spécial de l’article 914 qui attribue compétence au CME pour prononcer les irrecevabilités dont il dresse la liste. Soit l’article 914 du code de procédure civile devient inutile sur les fins de non-recevoir qu’il mentionne, en raison de la généralité de l’article 789, 6° ; soit il convient de faire de l’article 789 une interprétation restrictive qui maintiendrait intégralement la raison d’être de l’article 914.
Le 3 juin 2021, la Cour de cassation a précisé que le conseiller de la mise en état ne pouvait connaître ni des fins de non-recevoir tranchées par le juge de la mise en état ou par le tribunal ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui avait été jugé au fond par le premier juge (Civ. 2e, 3 juin 2021, n° 21-70.006, R. Laffly, Avis de la Cour de cassation sur les fins de non-recevoir : here it is, Dalloz actualité, 17 juin 2021 ; D. 2021. 1139 ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero ). Ce point de vue est parfaitement logique, car la mission du CME, lorsqu’il se prononce sur une fin de non-recevoir, n’est pas de statuer sur l’appel à la place de la cour. Si, en première instance, une fin de non-recevoir a été tranchée et que le jugement est, sur ce point, déféré à la cour, il est certain que seule la cour pourra se prononcer : la question de recevabilité jugée en premier ressort constitue l’objet même de l’appel. Pareillement, il ne faudrait pas que, sous couvert de trancher une fin de non-recevoir, le conseiller de la mise en état remette en cause ce qui a été jugé sur le fond par les premiers juges. La mission du CME consiste simplement à régler des problèmes préalables de procédure relatifs à la seule instance d’appel. On ne peut donc qu’approuver l’avis du 3 juin 2021.
Cela étant, dans cet avis, la Cour de cassation ne répond pas à la question – qui ne lui était pas posée – de savoir si le CME est compétent pour statuer sur la recevabilité d’une prétention nouvelle en appel. Toutefois, elle apporte une importante précision en déclarant que la réforme de décembre 2019, « qui a conféré au juge de la mise en état la compétence, énoncée à l’article 789, 6°, du code de procédure civile, pour « statuer sur les fins de non-recevoir », s’applique également au conseiller de la mise en état ». Une partie de la réponse à la question qui nous occupe est ainsi apportée : comme le juge de la mise en état en première instance, le conseiller de la mise en état est compétent, en appel, pour se prononcer sur des fins de non-recevoir. Oui, mais lesquelles ?
Dans la mesure où ni l’article 907 ni l’article 789 du code de procédure civile ne font état d’une exception qui toucherait au prononcé de l’irrecevabilité des demandes nouvelles, il nous semble assez évident que le CME est compétent pour se prononcer sur cette défense procédurale. Ubi lex non distinguit…
Bien qu’elle ait pour elle le mérite de la simplicité, cette interprétation des articles 907 et 789 a suscité des réticences en doctrine comme parmi les praticiens. Était-il judicieux d’attribuer une prérogative supplémentaire aux conseillers de la mise en état, alors qu’ils étaient notoirement surchargés de travail ? L’opportunité de la réforme de 2019 peut, sur ce point, être discutée. Il n’en reste pas moins que la volonté du pouvoir réglementaire telle qu’elle ressort de textes non équivoques nous semble claire. Il appartient au conseiller de la mise en état de se prononcer sur toutes les fins de non-recevoir, pourvu que cela ne remette pas en cause ce qui a été jugé au fond en première instance et pourvu que la fin de non-recevoir ne soit pas l’objet même de l’appel. Or, par hypothèse, la question de la recevabilité d’une demande nouvelle en appel n’a pas été tranchée par la juridiction de première instance et la décision prononçant sa recevabilité ou son irrecevabilité ne remet nullement en cause ce qui a été jugé sur d’autres prétentions par le tribunal. Pour nous, il est donc certain que le CME est compétent pour se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de la nouveauté d’une prétention formulée pour la première fois à hauteur d’appel.
Quels sont alors les arguments que l’on pourrait invoquer à l’encontre de cette lecture des textes ? M. Barba évoque, dans une approche « intuitive », le fait que la question toucherait « trop étroitement au fond et à l’effet dévolutif » pour que le CME, qui est « juge de la procédure d’appel et non du fond », puisse avoir compétence (à rappr. R. Laffly, art. préc.). L’argument ne nous convainc pas. En effet, la question de savoir si une demande est nouvelle et si elle entre dans les conditions posées par le code pour être malgré tout recevable (C. pr. civ., art. 564 s.) ne touche pas au fond du litige, puisque le juge saisi de cette fin de non-recevoir ne s’interroge pas sur le bien-fondé de la prétention nouvelle. Il se demande simplement si la prétention est nouvelle et, par exemple, si elle repose sur la survenance ou la révélation d’un fait durant l’instance, si elle est l’accessoire d’une prétention initiale ou s’il s’agit d’une demande reconventionnelle… Rien, dans la démarche du juge ne le conduit à statuer sur le fond de cette prétention. La question n’est pas non plus liée à l’effet dévolutif car, précisément, la prétention qui est nouvelle en appel n’a pas été soumise à la juridiction de première instance. L’effet dévolutif ne se produit que sur la matière litigieuse à laquelle le tribunal était confronté, qu’il l’ait traitée intégralement ou non. Ce qui est en cause, lorsqu’une demande nouvelle est présentée en appel, c’est la fonction d’achèvement de la voie d’appel. Or cette fonction a tout à voir avec le principe du double degré de juridiction auquel on prétend déroger et rien à voir avec l’effet dévolutif. Par définition, lorsque le double degré de juridiction est écarté, il ne peut y avoir d’effet dévolutif sur la question qui a échappé à la connaissance du tribunal, puisqu’il ne peut y avoir de transmission de cette question du tribunal à la cour pour que cette dernière la juge en fait et en droit.
Un autre argument est avancé à l’encontre de la compétence du CME : l’article 789, 6°, du code de procédure civile ne viserait pas toutes les fins de non-recevoir, mais uniquement celles visées à l’article 122 du même code : « défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». Une telle opinion constitue une pétition de principe, à savoir que l’article 789 ne viserait que les fins de non-recevoir mentionnées à l’article 122, ce que rien dans sa rédaction ne permet d’affirmer. De plus, la lettre même de l’article 122 révèle que la liste qu’on y trouve n’est pas limitative et ne fait qu’illustrer la notion de « défaut de droit d’agir ». Quand bien même l’article 789 se référerait à l’article 122, il n’exclurait donc pas les irrecevabilités non énumérées à l’article 122.
Enfin, les praticiens et universitaires partisans de la compétence de la cour d’appel avancent parfois que reconnaître la compétence du conseiller de la mise en état conduirait celui-ci à empiéter sur le périmètre de la cour d’appel (v. not. M. Barba, art. préc.). C’est tout à fait exact, mais c’est précisément ce qu’a voulu le pouvoir réglementaire lorsqu’il a conféré aux magistrats de la mise en état, en première instance comme en appel, la mission de se prononcer sur certaines questions à la place de leur juridiction d’appartenance. Et si l’on devait considérer qu’il est anormal que le CME se prononce sur la recevabilité d’une prétention nouvelle en appel, on devrait dire qu’il est tout aussi anormal que le juge de la mise en état se prononce à la place du tribunal judiciaire sur la recevabilité d’une demande incidente. En effet, qu’est-ce qu’une demande incidente, si ce n’est une demande nouvelle qui apparaît au cours du procès, postérieurement à la présentation des demandes initiales ? C’est justement parce que les demandes incidentes sont nouvelles que les articles 70 et 325 du code de procédure civile subordonnent leur recevabilité à l’existence d’un lien suffisant entre elles et une ou plusieurs prétentions originaires. La problématique de la recevabilité d’une prétention nouvelle en appel est la même que celle qui touche à la recevabilité d’une demande incidente en première instance. La seule différence qui les sépare réside dans leurs régimes respectifs. Les conditions de recevabilité des prétentions nouvelles en appel, parmi lesquelles on retrouve le fameux « lien suffisant », sont plus restrictives qu’en premier ressort, tout simplement parce que l’apparition d’une demande nouvelle en appel est plus lourde de conséquences que si elle était apparue en première instance. À une atteinte au principe d’immutabilité du litige à l’égard des parties s’ajoute ici une atteinte au double degré de juridiction. Mais, fondamentalement, le problème est le même en premier ressort comme en appel : il s’agit de dire si une prétention nouvelle est ou non recevable. Et si le juge de la mise est compétent pour statuer sur cette question de recevabilité à la place du tribunal, il n’existe aucune raison, en droit, pour dénier cette même compétence au CME, lorsqu’une prétention apparaît pour la première fois au stade de l’appel.
Reste que la jurisprudence des juges du fond est divisée et que bon nombre de magistrats, notamment à la cour d’appel de Paris, sont favorables à la compétence de la cour plutôt qu’à celle du CME. On attend donc avec impatience l’arrêt par lequel la Cour de cassation arrêtera sa position. Il est à souhaiter qu’elle fera prévaloir la logique et la cohérence des textes sur des considérations de politique jurisprudentielle qui conduiraient immanquablement à des distinctions byzantines entre les différentes fins de non-recevoir et provoqueraient à coup sûr de nouveaux contentieux sur des questions de simple compétence au sein des cours d’appel. Le pouvoir réglementaire a voulu mettre fin, en 2019, à la bizarrerie qui consistait à confier aux magistrats de la mise en état le soin de se prononcer sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l’instance tout en leur refusant la mission de statuer sur les fins de non-recevoir. Pour une fois qu’une réforme de procédure est cohérente, on peut espérer que, le moment venu, la Cour de cassation ne fera pas des nouveaux textes une interprétation déformante.