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Refus de restitution d’un bien saisi et nécessité de contrôler la proportionnalité de l’atteinte portée à l’intimité de la vie privée et familiale

Encourt la cassation l’arrêt de la chambre de l’instruction qui confirme le refus de restitution d’un objet placé sous main de justice en ce qu’il est utile à la manifestation de la vérité, sans contrôler la proportionnalité de l’atteinte portée par ce refus au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante, alors qu’il se trouvait invoqué. 

Contexte de l’affaire

Au cours d’une instruction des chefs de détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, recel et blanchiment, divers documents bancaires, un cahier de compte ainsi qu’une tablette de type iPad ont été saisis au domicile de la requérante et dans un immeuble appartenant à la société dont elle est gérante. Cette dernière et la société ont, par requête, sollicité la restitution de ces biens.

Le juge d’instruction ayant rejeté cette demande, les requérantes ont interjeté appel de la décision, mais la chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance de refus de restitution des scellés.

Les intéressées se sont alors pourvues en cassation en arguant que la chambre de l’instruction aurait dû expliquer en quoi ces saisies étaient nécessaires et proportionnées à l’atteinte portée au droit au respect des biens de la requérante et de sa société, tiers aux poursuites. De plus, selon la requérante, la chambre de l’instruction aurait dû contrôler l’atteinte portée à l’intimité de sa vie privée, au regard de l’absence de lien démontré entre les objets saisis, insusceptibles de constituer l’objet ou le produit de l’infraction, et les faits de l’enquête ; ainsi qu’au regard de l’ancienneté de la saisie. Enfin, elle met en avant qu’aucune charge, aucun indice ou présomption n’ont été réunis à son encontre malgré les investigations réalisées pendant plus de trois années.

Faisant droit à l’argumentaire de la requérante, la chambre criminelle est venue casser et annuler la décision attaquée en ses seules dispositions ayant confirmé le rejet de la demande de restitution de la tablette de type iPad.

Concernant l’atteinte portée au droit au respect des biens

Dans son pourvoi, la requérante évoquait en premier lieu une atteinte portée à son droit de propriété et se fondait ainsi sur l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme.

Si la chambre criminelle ne répond pas à cet argument, elle a déjà admis que le juge refusant la restitution doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée au droit de propriété de l’intéressé, dès lors qu’une telle garantie est invoquée, ou procéder à cet examen d’office en présence d’une saisie de patrimoine (Crim. 18 mars 2020, n° 19-82.978, Dalloz actualité, 19 mai 2020, obs. S. Fucini ; D. 2020. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2020. 372, obs. M. Hy ). Un tel contrôle est réalisé lorsque le bien constitue l’instrument de l’infraction, que la mesure soit effectuée en nature (Crim. 25 sept. 2019, n° 18-86.627 ; 25 sept. 2019, n° 18-86.641) ou même en valeur (Crim. 6 nov. 2019, n° 19-82.683, Dalloz actualité, 4 déc. 2019, obs. S. Goudjil ; D. 2019. 2139 ; ibid. 2020. 567, chron. A.-L. Méano, L. Ascensi, A.-S. de Lamarzelle, M. Fouquet et C. Carbonaro ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ). La solution est en revanche différente lorsque le bien saisi constitue, en nature ou en valeur, le produit ou l’objet de l’infraction (Crim. 4 mai 2017, n° 16-87.330 F-D ; 25 sept. 2019, n° 18-85.211 F-D et n° 18-85.216 F-D ; V. Matthieu Hy, [Focus] Droit des saisies pénales et confiscations : repères jurisprudentiels, La lettre juridique, sept. 2021). Il convient toutefois de préciser que, par un arrêt du 19 avr. 2023 (Crim. 19 avr. 2023, n° 22-82.994 FS-B, Dalloz actualité, 8 juin 2023, J. Pidoux ; D. 2023. 782 ; AJ pénal 2023. 303, obs. M. Hy ; RTD com. 2023. 477, obs. B. Bouloc ), la chambre criminelle a admis en matière de confiscation que l’on puisse contrôler la proportionnalité de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué alors que ce bien constituait le produit de l’infraction poursuivie dans la mesure où l’illicéité de l’origine du bien confisqué est indifférente de l’éventualité d’une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire.

En l’espèce, la tablette saisie ne correspondait, en nature ou en valeur, ni à l’objet ni au produit de l’infraction. Pour autant, la chambre criminelle n’a pas répondu à cet argument alors qu’aucun contrôle de proportionnalité n’a été effectué en dépit de l’invocation du droit de propriété par l’intéressée. Il semblerait que cela s’explique simplement par l’absence de disproportion entre les saisies et le droit de propriété.

En effet, la chambre criminelle retient habituellement, lorsque le bien saisi n’est pas le produit ni l’objet de l’infraction, que le contrôle de proportionnalité s’effectue au regard de la gravité concrète des faits, de la situation personnelle du mis en cause et de sa personnalité (Crim. 12 juin 2019, n° 18-83.396, Dalloz actualité, 8 juill. 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 1230 ; ibid. 1858, obs. C. Mascala ; AJ pénal 2019. 444, obs. Y. Mayaud ; 24 oct. 2018, n° 18-80.834, Dalloz actualité, 6 déc. 2018, obs. C. Fonteix ; D. 2019. 53 , note P. Petitprez ; ibid. 2018. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S....

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