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Refus de restitution d’un bien saisi : étendue du contrôle de proportionnalité

Hormis le cas où le bien constitue, dans sa totalité, l’objet ou le produit de l’infraction ou la valeur de ceux-ci, le juge qui en refuse la restitution doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une saisie de patrimoine.

par Sébastien Fucinile 19 mai 2020

Le contentieux de la restitution des biens saisis pose encore et toujours des difficultés, surtout s’agissant des restitutions sollicitées après que la juridiction saisie a épuisé sa compétence. C’est ainsi que, par un arrêt du 18 mars 2020, la chambre criminelle a rappelé que, « hormis le cas où le bien saisi constitue, dans sa totalité, l’objet ou le produit de l’infraction ou la valeur de celui-ci, le juge qui en refuse la restitution doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée au droit de propriété de l’intéressé, au regard de la situation personnelle de ce dernier et de la gravité concrète des faits, lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une saisie de patrimoine ». Si la formule n’est pas nouvelle – elle a déjà été appliquée à la confiscation et à la saisie –, elle est relativement nouvelle s’agissant de la restitution.

Les dispositions relatives à la restitution de biens saisis posent, en raison de leur rédaction en partie défectueuse, de nombreuses difficultés. Ainsi en est-il notamment de l’article 41-4 du code de procédure pénale relatif à la restitution de biens demandée au cours de l’enquête ou lorsqu’aucune juridiction n’a été saisie ou que la juridiction saisie a épuisé sa compétence. Cet article, modifié à de multiples reprises, permet de refuser la restitution de biens saisis pour plusieurs motifs. Ainsi, l’alinéa 2 prévoit qu’« il n’y a pas lieu à restitution lorsque celle-ci est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, lorsque le bien saisi est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction ou lorsqu’une disposition particulière prévoit la destruction des objets placés sous main de justice ». Le deuxième motif, relatif au refus de restitution lorsque le bien est l’instrument ou le produit de l’infraction, a été ajouté par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016. Ainsi, sur le fondement des dispositions antérieures à cette loi, la chambre criminelle a considéré que la restitution doit être ordonnée si l’on ne se situait pas dans les deux conditions admises (Crim. 20 avr. 2017, n° 16-81.679, Dalloz actualité, 4 mai 2017, obs. W. Azoulay ; RTD com. 2017. 465, obs. B. Bouloc ). Par la suite, la chambre criminelle a élargi les motifs de non-restitution : en effet, l’article 41-4 du code de procédure pénale ne prévoit pas, comme motif de non-restitution, le fait que la confiscation du bien est prévue par la loi ou le fait que la restitution est de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité, contrairement aux autres articles relatifs à la restitution au cours de l’instruction (C. pr. pén., art. 99) ou au cours du jugement (C. pr. pén., art. 481). Or l’article 41-4 s’applique à la phase préalable à la saisine d’une juridiction, de sorte qu’il est nécessaire de pouvoir faire état de ces motifs. La chambre criminelle a alors considéré qu’un refus de restitution, au cours de l’enquête, pouvait également se fonder sur ces motifs (Crim. 6 nov. 2019, n° 18-86.921, Dalloz actualité, 4 déc. 2019, obs. C. Fonteix ; D. 2019. 2138 ; AJ pénal 2020. 36, obs. M. Hy ). De la sorte, alors que les motifs de non-restitution s’allongent, la question de la motivation du refus de restitution se pose. Si la Cour de cassation exige de longue date une motivation de la décision de la chambre de l’instruction refusant la restitution d’un bien saisi (Crim. 10 juill. 1996, n° 95-85.629, RSC 1997. 152, obs. J.-P. Dintilhac ; 5 déc. 2001, n° 01-80.315, D. 2002. 620 ), il en va autrement du contrôle du caractère proportionné du refus de restitution.

C’est en matière de confiscation que la Cour de cassation a commencé à exiger du juge du fond de contrôler le caractère proportionné de la mesure. Elle a commencé par affirmer que le principe de proportionnalité « ne peut s’appliquer à la confiscation d’un bien qui, dans sa totalité, est le produit ou l’objet des infractions dont le prévenu a été déclaré coupable » (Crim. 7 déc. 2016, n° 16-80.879, Dalloz actualité, 11 janv. 2017, obs. D. Aubert ; AJ pénal 2017. 142, obs. O. Violeau ). Elle a ensuite précisé, au visa de l’article 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l’homme, que « le juge qui prononce une mesure de confiscation de tout ou partie d’un patrimoine » doit, entre autres, « apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété » (Crim. 8 mars 2017, n° 15-87.422, Dalloz actualité, 3 avr. 2017, obs. C. Fonteix ; D. 2017. 648 ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RDI 2017. 240, obs. G. Roujou de Boubée ). Plus récemment encore, la chambre criminelle, par une formule quasiment identique à celle de l’arrêt commenté, a affirmé l’exigence du contrôle du caractère proportionné de la confiscation, avec la même exception et dans les mêmes conditions d’invocation par l’intéressé (Crim. 27 juin 2018, n° 16-87.009, Dalloz actualité, 24 juill. 2018, obs. M. Recotillet ; D. 2018. 1494 ; ibid. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; Rev. sociétés 2018. 674, note B. Bouloc ; RTD com. 2018. 804, obs. B. Bouloc ). Par un arrêt du même jour, la chambre criminelle a étendu cette exigence de motivation aux saisies (Crim. 27 juin 2018, n° 17-84.280, Dalloz actualité, 6 sept. 2018, obs. C. Fonteix ; D. 2018. 1441 ; ibid. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ).

La question du caractère proportionné se pose également s’agissant d’un refus de restitution. En effet, auparavant, la restitution ne pouvait être refusée, en dehors du cas où une juridiction est saisie, que si le bien est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ou si une disposition particulière prévoit sa destruction. En autorisant le refus de restitution dans le cas où le bien est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction, la loi du 3 juin 2016 a changé la physionomie de cette institution. En effet, désormais, à l’issue d’une procédure par laquelle une juridiction n’a pas prononcé la confiscation de ces biens, et ne s’est pas prononcée sur leur restitution, il est possible de refuser de les restituer au motif qu’ils sont l’instrument ou le produit de l’infraction. C’était le cas dans l’arrêt commenté : le prévenu a été condamné définitivement pour pratiques commerciales trompeuses par une cour d’appel, qui n’a pas prononcé la confiscation des biens dont la restitution était demandée, à savoir une somme d’argent figurant sur un compte bancaire et un ordinateur portable. Leur restitution était sollicitée par le propriétaire des biens, ce que la cour d’appel a refusé, en considérant que ces biens étaient le produit et l’instrument de l’infraction commise.

La chambre criminelle a alors considéré qu’un contrôle de proportionnalité devait s’appliquer en cas de refus de restitution, exactement dans les mêmes conditions qu’en cas de confiscation : il n’y a pas lieu à un tel contrôle lorsque le bien saisi constitue, dans sa totalité l’objet ou le produit de l’infraction, ou la valeur de celui-ci ; ce contrôle ne doit s’opérer que si une telle garantie est invoquée ou il doit y être procédé d’office lorsqu’il s’agit d’une saisie de patrimoine. Dans son étendue, le contrôle de proportionnalité doit se faire au regard de la situation personnelle du demandeur et de la gravité concrète de l’infraction. Ce n’est pas la première fois que la chambre criminelle fait référence au contrôle de proportionnalité s’agissant d’un refus de restitution. Elle avait précisé, il y a quelques mois, que le principe de proportionnalité n’est pas applicable « pour contester le refus de restitution d’un bien saisi qui constitue le produit ou l’objet de l’infraction au regard du droit de propriété » (Crim. 25 sept. 2019, n° 18-86.700, Dalloz jurisprudence). Mais elle avait également affirmé qu’un contrôle de proportionnalité devait s’opérer en cas de refus de restitution d’un bien présentant un danger pour la sécurité des personnes et des biens consécutif à une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (Crim. 21 mai 2019, n° 18-84.004, Dalloz actualité, 21 juin 2019, obs. L. Jay ; D. 2019. 1109 ; AJ pénal 2019. 400, obs. M. Hy ). Il s’agissait dans cet arrêt du refus de restitution du véhicule qui a servi à commettre l’infraction et dont le refus de restitution s’est fondé non pas sur le fait que le bien était l’instrument de l’infraction mais sur le fait qu’il présentait un danger. Par l’arrêt commenté, la chambre criminelle affirme pour la première fois de manière générale l’exigence d’un contrôle de proportionnalité du refus de restitution, en posant clairement les critères et les conditions d’un tel contrôle, identiques à celui devant s’opérer en cas de confiscation. En l’espèce, les biens dont la restitution était demandée étaient pour partie le produit et l’instrument de l’infraction commise. Le contrôle du caractère proportionné du refus de restitution aurait alors eu vocation à s’appliquer si la garantie avait été invoquée par le demandeur, ce qui n’avait pas été le cas.

Si un tel contrôle est bienvenu s’agissant d’un refus de restitution d’un bien saisi, il n’en demeure pas moins que la possibilité de refuser la restitution d’un bien qui est le produit ou l’instrument de l’infraction, après que la juridiction saisie a épuisé sa compétence, est particulièrement contestable. Si des interrogations subsistent quant à la nature juridique du refus de restitution, celui-ci s’apparente en effet davantage en une peine qu’en une mesure de sûreté lorsqu’il s’agit de refuser la restitution du produit de l’infraction. Si la juridiction n’a pas prononcé la peine de confiscation de ces biens alors qu’elle était encourue, la possibilité d’en refuser la restitution apparaît comme une nouvelle peine de confiscation s’ajoutant aux peines prononcées par la décision définitive, remettant ainsi en cause l’autorité de la chose jugée (v. sur ce point M. Hy, obs. ss Crim. 6 nov. 2019, AJ pénal 2020. 36 ).