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Précisions sur la motivation de la peine de confiscation

Il incombe au juge qui décide de confisquer un bien de s’assurer d’abord de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser ensuite la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu.

par Méryl Recotilletle 24 juillet 2018

Depuis plus d’un an (pour un rappel concis de la jurisprudence, v. Dalloz actualité, 11 avr. 2018, obs. L. Priou-Alibert isset(node/190060) ? node/190060 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>190060, obs. sous Crim. 21 mars 2018, n° 16-87.296 P), la Cour de cassation exerce un important contrôle sur la motivation des critères servant à justifier le prononcé d’une peine correctionnelle. La difficulté est que, la plupart du temps, lorsqu’elle estime que les juges du fond ne se sont pas assez expliqués sur les critères de motivation de la peine, la haute juridiction se borne à renvoyer les parties sans déterminer quelles étaient exactement ses attentes.

Néanmoins, une évolution est peut-être envisageable car, dans un arrêt du 27 juin 2018, les juges de la chambre criminelle ont pris l’initiative de détailler expressément leurs exigences en matière de motivation d’une peine de confiscation (sur la peine de confiscation, v. Rép. pén., Confiscation, par A. Beziz-Ayache). En l’espèce, le prévenu a été convoqué par le procureur de la République devant le tribunal correctionnel du chef d’abus de biens sociaux pour avoir établi, en qualité de dirigeant d’une société, des fausses factures pour un montant de 775 556 € afin d’obtenir le paiement de prestations fictives de tenue de séminaires dans un château, du chef d’exécution d’un travail dissimulé. Il lui est également reproché de ne pas avoir déclaré des suppléments de rémunération, d’un montant de 373 300 €, perçus par la société grâce au recours à de fausses factures, ni réglé les cotisations patronales et salariales y afférentes. Il a finalement été poursuivi du chef de blanchiment de fraude fiscale et de travail dissimulé commis de façon habituelle, pour avoir encaissé les sommes provenant de ces fausses factures. Le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable et l’a condamné à une peine d’amende, d’interdiction de gérer et a prononcé la confiscation de fonds saisis sur un compte bancaire. Le prévenu et le ministère public ont interjeté appel.

La cour d’appel a confirmé le jugement du tribunal correctionnel mais sa motivation était étonnamment pauvre en rapport avec l’importance des peines prononcées. Certes, elle a relevé l’exceptionnelle gravité des faits et des circonstances de la cause. Cependant, les juges du second degré sont restés quasiment silencieux sur la personnalité du prévenu, se contenant de relever l’absence d’antécédent judiciaire. Les précédents jurisprudentiels nous apprennent pourtant que les juges doivent exposer les raisons pour lesquelles la personnalité d’un auteur, qu’il s’agisse d’un citoyen, d’un élu ou d’un chef d’entreprise justifie les peines prononcées (concernant la motivation insuffisante d’une peine prononcée contre un chef d’entreprise, v. par ex. Crim. 15 mars 2017, n° 16-83.838, Dalloz actualité, 7 avr. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé  ; inversement, concernant la motivation suffisante d’une peine prononcée contre un chef d’entreprise, v. Crim. 1er févr. 2017, n° 15-85.199, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. S. Fucini  ; ibid. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ). C’est pourtant sur cette maigre base que la cour d’appel a estimé que l’amende délictuelle de 300 000 €, l’interdiction, pour une durée de dix ans, d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société ainsi que la confiscation des fonds saisis sur le compte courant devaient être confirmées. La cassation ultérieure de cet arrêt était prévisible.

D’une part, au visa des articles 130-1, 132-1 et 132-20, alinéa 2, du code pénal, ensemble les articles 485, 512 et 593 du code de procédure pénale, la chambre criminelle a considéré que la cour d’appel ne s’est expliquée ni sur la personnalité du prévenu et sa situation personnelle ni sur ses ressources et charges qu’elle devait prendre en considération pour prononcer les peines d’amende et d’interdiction de gérer.

D’autre part, la cassation a été prononcée en raison d’une insuffisance de la motivation de la mesure de confiscation en vertu de l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et des articles relatifs à la motivation des peines prononcées (C. pén., art. 131-21 et 132-1). Mais cette fois-ci, la haute juridiction ne n’est pas contentée de rappeler que, hormis le cas où la confiscation, qu’elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit de l’infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété de l’intéressé lorsqu’une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d’office lorsqu’il s’agit d’une confiscation de tout ou partie du patrimoine (Crim. 8 mars 2017, n° 15-87.422 P, Dalloz actualité, 3 avr. 2017, obs. C. Fonteix ; ibid. 2501, obs. C. Ginestet  ; RDI 2017. 240, obs. G. Roujou de Boubée  ; Dr. pénal 2017. Comm. 83, obs. E. Bonis-Garçon ; Gaz. Pal. 2017, n ° 13, p. 17, note A. Mihman ; 15 mars 2017, n° 16-83.838 P, Dalloz actualité, 7 avr. 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé ; 27 févr. 2018, n° 17-81.998, Dalloz jurisprudence ; 21 mars 2018, n° 16-87.296 P, préc.). Les juges de la Cour de cassation ont ajouté, et c’est là l’aspect novateur de l’arrêt, qu’il incombe au juge qui décide de confisquer un bien de s’assurer d’abord de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser ensuite la nature et l’origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s’expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété du prévenu. Ses exigences ainsi exposées, la Cour de cassation a invalidé l’arrêt de la cour qui n’a pas précisé « à quel titre le bien a été confisqué ».

Une telle décision comporte un réel apport dans le contentieux relatif à la motivation des peines correctionnelles, la Cour de cassation ayant dégagé un canevas de la motivation de la mesure de confiscation. La question qui se pose désormais est de savoir si cette décision demeurera isolée ou bien si les juges de la chambre criminelle vont exprimer systématiquement le contenu à développer pour motiver chaque critère.