Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Financement des campagnes de 2012 : renvoi de l’association Front national en correctionnelle

La chambre criminelle confirme l’irrecevabilité de l’appel de l’ordonnance du juge d’instruction ayant renvoyé l’association Front national devant le tribunal correctionnel dans l’affaire des kits de campagne aux élections législatives de 2012. 

par Dorothée Goetzle 14 décembre 2018

Cet arrêt de rejet est l’ultime réponse donnée à l’association Front national qui formait un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait déclaré irrecevable son appel de l’ordonnance du juge d’instruction l’ayant renvoyée devant le tribunal correctionnel sous la prévention de recel d’abus de biens sociaux et de complicité d’escroquerie. En l’espèce, à la suite d’un signalement par la Commission nationale des comptes de campagne au procureur de la République, concernant les frais de campagne de candidats du Front national engagés lors des élections législatives de 2012, une information judiciaire était ouverte des chefs notamment d’escroquerie en bande organisée, faux et usage, abus de biens sociaux et recel (v. Rép. adm.,  Élections : contentieux du droit électoral administratif, par B. Maligner). Dans ce cadre, le magistrat instructeur mettait en examen l’association Front national du chef de recel d’abus de biens sociaux et de complicité d’escroquerie.

L’avis de fin d’information était délivré le 13 janvier 2016 et le réquisitoire définitif du procureur de la République était rendu le 11 juillet 2016. Ce document était notifié à l’association Front national le 19 juillet 2016. Par lettre recommandée avec avis de réception, reçue par les juges d’instruction le 19 août 2016, l’association Front national soulevait, d’une part, l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de l’agent judiciaire de l’État, d’autre part, l’incompétence territoriale de la juridiction d’instruction de Paris. Par ordonnance du 5 octobre 2016, les juges d’instruction prononçaient divers renvois devant le tribunal correctionnel, dont celui de l’association Front national des chefs de recel d’abus de biens sociaux et complicité d’escroqueries et de tentatives d’escroqueries. Cette ordonnance étant muette sur les observations transmises par l’association Front national à la suite de la notification du réquisitoire définitif, elle en relevait appel.

Pour déclarer irrecevable cet appel formé contre l’ordonnance des juges d’instruction ayant ordonné le renvoi devant le tribunal correctionnel, la chambre de l’instruction se fonde sur le principe d’application immédiate posé par l’article 112-2, 1, du code pénal. En effet, la prohibition pour le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction d’examiner une contestation de constitution de partie civile après l’envoi de l’avis de fin d’information s’impose depuis l’entrée en vigueur, le 5 juin 2016, de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016. En application de ce principe, la contestation de la constitution de partie civile de l’agent judiciaire de l’État ne pouvait, pour la chambre de l’instruction, être examinée par les juges d’instruction après l’envoi de l’avis de fin d’information.

La chambre criminelle approuve ce raisonnement, en rappelant que, les lois d’organisation judiciaire étant d’application immédiate, les juges d’instruction ne pouvaient pas examiner la contestation d’une constitution de partie civile formée le 19 août 2016, après l’envoi de l’avis de fin d’information.

Il est vrai que depuis la loi du 3 juin 2016, il peut se dégager une impression de contrariété de termes entre l’alinéa premier de l’article 87, qui autorise une constitution de partie civile tout au long de l’information, et l’alinéa 4, visé en l’espèce, qui prohibe toute contestation après la délivrance des avis de fin d’information. Les précisions apportées dans cet arrêt sont bienvenues en ce qu’elles confirment un arrêt récent dans lequel la chambre criminelle avait déjà précisé qu’il résulte de la combinaison de ces alinéas que la prohibition prévue à l’alinéa 4 ne s’applique qu’aux constitutions de partie civile intervenues avant la délivrance des avis de fin d’information (Crim. 25 avr. 2017, n° 16-87.328, Dalloz actualité, 19 mai 2017, obs. C. Benelli-de Bénazé ; JCP 2017. 735).

Concernant ensuite le moyen d’incompétence territoriale, la chambre de l’instruction considérait que, si les parties peuvent invoquer à tout moment le moyen d’ordre public d’incompétence du juge d’instruction, c’est à la condition qu’une telle demande ne soit pas atteinte de forclusion par l’effet d’une disposition de procédure pénale. Or, en l’espèce, la forclusion de la demande découle de l’article 175, alinéa 5, qui ne permettait plus, à la date du 19 août 2016, que le dépôt d’observations complémentaires. Pour les juges du fond, l’association Front national était donc forclose à soulever l’incompétence à la date du 19 août 2016. Là encore, la chambre criminelle approuve ce raisonnement et souligne que, « si la personne mise en examen peut invoquer à tout moment l’incompétence du juge d’instruction en charge du dossier, elle ne peut plus, après l’échéance du délai de forclusion prévu à l’article 175, alinéa 4, du code de procédure pénale, soulever un tel moyen devant ce magistrat ».

Sur ce point également, la position de la chambre criminelle n’est pas une surprise. Elle a en effet déjà précisé à plusieurs reprises que l’expiration du délai de forclusion fait obstacle à ce que les parties invoquent devant la chambre de l’instruction saisie de l’appel d’une ordonnance de règlement rendue en application des articles 177, 178, 179 et 181 les nullités de la procédure antérieure à l’avis de fin d’information régulièrement notifié (Crim. 10 juill. 2002, n° 02-83.179 P, D. 2003. 33, et les obs. , obs. J. Pradel ; RSC 2002. 817, obs. Y. Mayaud ; JCP 2003. IV. 2614).

En l’espèce, c’est donc à bon droit que la chambre de l’instruction n’a pas répondu au moyen d’incompétence territoriale soulevé par le requérant.