Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Interview

« Nous ne sommes pas des contrôleurs internes des partis politiques »

Le contrôle des comptes de campagne fait l’objet de polémiques récurrentes. Dalloz actualité s’est entretenu avec Jean-Philippe Vachia, le nouveau président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Une commission lancée dans un ambitieux projet de dématérialisation et qui va devoir faire face à une longue séquence électorale.

le 17 novembre 2020

La rédaction : La crise sanitaire change-t-elle quelque chose pour le contrôle des comptes des municipales ?

Jean-Philippe Vachia : Nous sommes en pleine période d’examen d’environ 5 200 comptes des élections municipales, avec un délai de six mois pour les étudier, trois mois s’il y a un recours contre l’élection. Nous avons déjà achevé les 820 comptes « contentieux » du premier tour. Nous rendrons nos dernières décisions le 11 mars.

Face à la crise sanitaire, nous avons une approche compréhensive pour les listes qui, par exemple, ont eu du mal à résilier leur bail ou ont engagé des dépenses pour un meeting finalement annulé. Nous nous sommes également focalisés sur les irrégularités significatives, pour distinguer l’essentiel de l’accessoire.

La rédaction : Vous avez un enjeu fort sur la dématérialisation. Où en êtes-vous ?

Jean-Philippe Vachia : Nous sommes entrés dans une phase active. Mon prédécesseur, le président François Logerot, avait attribué un marché à la société Docapost pour la fourniture d’une plateforme de dépôt des comptes, dont l’accord-cadre a été signé fin juillet.

L’hébergement de la plateforme sera assuré par le ministère de l’Intérieur. L’objectif est d’être opérationnel pour le dépôt des comptes des élections de 2022. Au moment du dépôt, les mandataires et experts-comptables pourront déposer le compte et les pièces justificatives, comme les factures ou les listes de donateurs.

Nous attendons beaucoup de cette dématérialisation pour améliorer le contrôle. L’idée serait de faire des études transversales, avec des algorithmes. Nous pourrons ainsi faire apparaître des choses que nous ne voyons pas avec le papier. Cela nous aidera aussi à vérifier qu’une personne n’a pas donné plus de 4 600 € à plusieurs candidats d’une même élection.

La rédaction : Ça ne sera pas un outil de contrôle en temps réel ?

Jean-Philippe Vachia : Non. Un compte s’établit à un instant T, qui reprend l’ensemble des opérations passées. L’idée d’un contrôle en temps réel semble simple mais est très difficile à mettre en place. Il faudrait savoir quoi regarder, sachant que nous avons plusieurs enjeux. Nous ne sommes pas des contrôleurs internes des partis politiques. Cela serait d’ailleurs très intrusif au quotidien d’une campagne.

La rédaction : De nombreux candidats se plaignent de difficultés pour ouvrir un compte bancaire, pourtant obligatoire. Que faire ?

Pour ces municipales, il y a eu un problème notamment pour les candidats, non affiliés et débutants, face aux refus des banques d’ouvrir un compte ou d’attribuer des moyens de paiement. Un projet de décret prévoit d’accélérer les choses, notamment la procédure du droit au compte. Le médiateur du crédit aux candidats, avec qui nous échangeons, rendra prochainement son rapport.

La rédaction : Les présidentielles ont souvent été marquées par des scandales financiers. Qu’est-ce qui garantit qu’ils ne se renouvelleront pas ?

Jean-Philippe Vachia : En 2012, la CNCCFP avait constaté un montant de dépenses éludées de plus d’un million d’euros. Le rejet du compte de Nicolas Sarkozy s’est traduit par l’absence de remboursement forfaitaire de l’État. Pour ce qui a été découvert après, je reste prudent tant que la décision de justice n’a pas été rendue. Il semblerait que l’UMP aurait financé une partie de la campagne, en payant d’autres factures.

Mais la CNCCFP ne pouvait pas voir, et continue à ne pas pouvoir, ce qui peut se passer dans les dépenses d’un parti politique. Pour deux raisons : les comptes annuels des partis arrivent bien après ceux de la campagne. De plus, nous ne pouvons faire d’observations sur les dépenses des partis, contrairement aux dépenses de campagne. La loi ne le prévoit pas et l’article 4 de la Constitution protège la liberté d’exercice des partis politiques. Derrière, il y a l’idée que les pouvoirs publics n’ont pas à se mêler du fonctionnement d’un parti politique. C’est une question démocratique lourde.

La rédaction : Êtes-vous demandeurs de plus de moyens juridiques ?

Jean-Philippe Vachia : Nous souhaiterions pouvoir accéder à la comptabilité du parti politique l’année d’une présidentielle. L’objectif serait de pouvoir vérifier l’exhaustivité de la déclaration que nous fait un parti, des dépenses qu’il a engagées pour la campagne.

La rédaction : Faut-il aller plus loin dans la transparence ?

Jean-Philippe Vachia : Actuellement, il y a déjà à la CNCCFP un pôle de cinq personnes qui se consacrent à l’anonymisation des comptes. Nous donnons ces comptes, c’est notre devoir. Peut-être avec la dématérialisation, cela sera simplifié. Je souhaite toutefois que nous regardions comment mettre en ligne nos décisions, une fois les différents recours épuisés.

 

 

Propos reccueillis par Pierre Januel

Jean-Philippe Vachia

Président de la CNCCFP