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Association de malfaiteurs ou bande organisée : le juste choix

Il résulte du principe ne bis in idem que les juges ne peuvent retenir des faits identiques, procédant de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable, comme éléments constitutifs de l’infraction d’association de malfaiteurs et de la circonstance aggravante de bande organisée.

par Warren Azoulayle 3 juin 2019

Il est un principe cardinal selon lequel la règle ne bis in idem interdit que des faits identiques puissent faire l’objet de différentes qualifications, et donc de plusieurs poursuites pénales. Tantôt controversée pour sa résistance au principe en droit pénal des affaires (Crim. 13 sept. 2017, n° 15-84.823, Dalloz actualité, 28 sept. 2017, obs. W. Azoulay , note S. Detraz ; AJ pénal 2017. 548, obs. P. de Combles de Nayves ; RSC 2017. 807, obs. J.-F. Renucci ; ibid. 2018. 519, obs. F. Stasiak ; 6 déc. 2017, n° 16-81.857, Dalloz actualité, 20 déc. 2017, obs. W. Azoulay ) en ce qu’elle conditionne son application à l’inobservation de son propre critère d’identité d’ordre juridictionnel (RSC 2016. 467, note N. Catelan ), la chambre criminelle a en revanche apporté sa pierre à l’édifice jurisprudentiel quant à savoir s’il est possible, selon les espèces, de retenir un cumul de qualification ou pas. Si l’on peut apercevoir le spectre de son raisonnement qu’elle amorçait trente années auparavant en s’assurant que différentes infractions ne constituent pas un tout indissociable pour être liées entre elles par l’unité d’un dessein afin de s’assurer d’une absence de cumul idéal d’infraction (Crim. 15 janv. 1990, n° 86-96.469, Dalloz jurisprudence), c’est de façon plus évidente, depuis le 26 octobre 2016, qu’elle consacre sa position selon laquelle « des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes », en l’occurrence quant aux infractions de recel et blanchiment (Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552, Dalloz actualité, 7 nov. 2016, obs. S. Fucini ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2017. 35, obs. J. Gallois ; RSC 2016. 778, obs. H. Matsopoulou ; JCP 2017. 16, note N. Catelan ; Dr. pénal 2017. Comm. 4, obs. P. Conte ; Gaz. Pal. 2017. 413, obs. S. Detraz).

L’espèce était l’occasion pour les juges du droit de raisonner de façon semblable et de l’inscrire dans le droit fil de leur jurisprudence. Alors que des individus, certains amis de longue date, d’autres spécialement recrutés pour l’occasion, planifiaient l’attaque d’un véhicule de transport de fonds et de ses convoyeurs, ils orchestraient l’opération de façon à disposer de véhicules volés et faussement immatriculés qu’ils incendieraient par la suite, d’armes, de munitions, de cagoules, de gants et de talkies-walkies. Une fois l’argent récupéré, les individus étaient interpelés. Une information judiciaire était ouverte et le magistrat instructeur les mettaient en accusation devant une cour d’assises qui les condamnaient, en première instance, des chefs, notamment, de vol en bande organisée avec usage d’armes, association de malfaiteurs et destruction en bande organisée par un moyen dangereux pour les personnes, à des peines allant de dix à vingt-cinq ans de réclusion criminelle. Ils interjetaient appel de la décision, en vain, la juridiction du second degré portant les condamnations à douze et vingt-sept ans de réclusion. Formant un pourvoi devant la Cour de cassation, l’un de leurs griefs était tiré du fait que les juges du fond retenaient à la fois la circonstance de bande organisée attachée aux faits de vol et de destruction et l’infraction autonome d’association de malfaiteurs.

Selon la Cour de cassation, l’emploi de véhicules volés en vue de la commission du vol à main armée, l’acquisition d’armes, de munitions et de l’ensemble du matériel nécessaire à l’opération traduisaient là une organisation structurée, exclusive de toute improvisation et une préméditation à commettre le vol, le tout établissant l’existence d’une bande organisée. Or, en reprenant les mêmes faits pour caractériser l’infraction d’association de malfaiteurs, les juges du fond retenaient des faits identiques relatifs tant à la circonstance aggravante qu’à l’infraction, et méconnaissaient donc le principe ne bis in idem puisque « des faits qui procèdent d’une manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent être retenus comme élément constitutif d’une infraction et circonstance aggravante d’une autre infraction ».

La formule est désormais connue et a pu être rappelée avec autant de constance que d’abondance depuis 2016, qu’il s’agisse du cumul des infractions d’abus de biens sociaux et d’autoblanchiment (Crim. 7 déc. 2016, n° 15-87.335, Dalloz actualité, 18 janv. 2017, obs. J. Gallois ; ibid. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RTD com. 2017. 205, obs. L. Saenko ), du faux, usage de faux et escroquerie (Crim. 25 oct. 2017, n° 16-84.133, RTD com. 2018. 227, obs. L. Saenko ), ou encore du cumul de deux délits d’abus de confiance pour les mêmes faits (Crim. 17 janv. 2018, n° 17-80.418, JA 2018, n° 574, p. 11, obs. X. Delpech ), la liste n’étant qu’énonciative (pour d’autres exemples, v. Crim. 24 janv. 2018, n° 16-83.045, Dalloz actualité, 15 févr. 2018, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2018. 196, obs. E. Clément ; RSC 2018. 412, obs. Y. Mayaud ).

En effet, si la notion de bande organisée, définie à l’article 132-71 du code pénal, et celle d’association de malfaiteurs, visée par l’article 450-1 du même code, sont étroitement similaires, elles ne sont en aucun cas identiques. Ainsi, le Conseil constitutionnel a pu énoncer que « la bande organisée suppose la préméditation des infractions et, à la différence de l’association de malfaiteurs, une organisation structurée entre ses membres » (Cons. const., 2 mars 2004, décis. n° 2004-492 DC, Estier, D. 2004. 2756 , obs. B. de Lamy ; ibid. 956, chron. M. Dobkine ; ibid. 1387, chron. J.-E. Schoettl ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RSC 2004. 725, obs. C. Lazerges ; ibid. 2005. 122, étude V. Bück ; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri ), formule reprise par les juges du droit à de nombreuses reprises (Crim. 8 juill. 2015, n° 14-88.329, Dalloz actualité, 31 août 2015, obs. C. Benelli-de Bénazé , note R. Parizot ; ibid. 2465, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi et S. Mirabail ; AJ pénal 2016. 141, obs. C. Porteron ; 22 juin 2016, n° 16-81.834, Dalloz jurisprudence ; 2 nov. 2017, n° 17-84.811 ; 20 juin 2018, n° 17-83.423 ; 10 avr. 2019, n° 18-83.053, Dalloz actualité, 3 mai 2019, obs. W. Azoulay ) de sorte que « la seule constitution d’une équipe de plusieurs malfaiteurs ne peut suffire à qualifier la bande organisée dès lors que cette équipe ne répond pas au critère supplémentaire de structure existant depuis un certain temps [et] qu’en outre, les équipes de malfaiteurs n’étaient pas toujours constituées de la même manière mais de façon variable » (Crim. 8 juill. 2015, n° 14-88.329, préc.).

Cela ne signifie toutefois pas que les cumuls soient prohibés de façon automatique en ce sens que la juridiction suprême a par le passé approuvé le cumul de l’association de malfaiteurs et de la circonstance aggravante de bande organisée (Crim. 19 janv. 2010, n° 09-84.056, Dalloz actualité, 2 mars 2010, obs. M. Bombled ) ou encore le cumul du faux, usage de faux et escroquerie (Crim. 16 janv. 2019, n° 18-81.566, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. D. Goetz ; AJ pénal 2019. 155, obs. Y. Mayaud ). C’est en revanche à la condition que les qualifications portent sur des faits dissemblables ou qu’ils soient caractérisés par plusieurs intentions coupables (Crim. 16 avr. 2019, n° 18-84.073 et 17 avr. 2019, n° 18-83.025, Dalloz actualité, 16 mai 2019, obs. S. Fucini ; D. 2019. 819 ).