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Au procès Merah, le cas du « solitaire » Fettah Malki

L’autre accusé du box a subi une petite demi-journée d’interrogatoire. La cour doit déterminer si Fettah Malki, qui a fourni une arme et un gilet par balles à Mohamed Merah, était conscient du projet terroriste du « tueur au scooter ».

par Julien Mucchiellile 24 octobre 2017

Fettah Malki est cet accusé taciturne, qui, depuis trois semaines, bulle dans son box. Lundi 23 octobre, la cour enfin le sonne : « Vous êtes connu comme un commerçant ? – Oui, j’achète et je revends ». Quand il est libre, il vend de la drogue, des armes, et toutes sortes de produits demandés dans le Toulouse interlope, ce qui fait de lui un délinquant d’habitude, dit de « droit commun ».

Mais le 22 mars 2012, lorsque les policiers du Raid inspecte le corps inerte du terroriste Mohamed Merah, ils trouvent sur lui un gilet par balles siglé « Police », et, dans l’arsenal grâce auquel il a tenu tête 32 heures face aux policiers d’élite, un pistolet automatique « Uzi ». Le temps passe. En mai 2013, les traces papillaires de Fettah Malki sont identifiées sur un billet de banque découvert dans une voiture louée par Mohamed Merah. Au terme de neuf interrogatoires répartis sur quatre jours de garde à vue, il est établi par les policiers que le gilet et l’Uzi ont été cédés à Mohamed Merah par Fettah Malki, 34 ans, qui comparait depuis trois semaines au côté d’Abdelkader Merah, pour association de malfaiteurs en vue de commettre un acte terroriste. Cela signifie pour l’accusation qu’en vendant les armes à Mohamed Merah, il avait conscience de les vendre à un potentiel terroriste – ce qu’il nie farouchement.

Fettah Malki, tout d’abord, c’est un caractère ; il faut en saisir la dimension profondément solitaire et rêveuse pour comprendre à quel point l’orgueilleuse radicalisation de Mohamed Merah lui a échappé. « Je savais que Mohamed était religieux », pas qu’il était extrémiste, explique-t-il au président de la cour d’assises spécialement composée. Tout ce qu’il sait, il le tient de la rumeur et des bruits de la cité. C’est un taiseux qui rêvasse au quartier, et dont les fréquentations se cantonnent aux affaires. Il ne traîne pas avec les autres, mais près des autres. Ils partagent simplement l’espace.

« Je suis un délinquant, on ne me parle pas de religion »

Tous ces gens, dont Mohamed Merah, sont des « connaissances » dont il sait peu de choses, car ça ne l’intéresse pas. C’est important, pour Fettah Malki, qu’on le croie sur ce point : « Moi, je n’aime parler des gens, je ne parle jamais de personne ». Le président, un rien agacé : « Mais alors, vous faites quoi dans les discussions ? – Je suis tout le temps à me ronger les ongles, je suis assis et j’ai la tête ailleurs. » Le dossier comporte sept témoignages de jeunes, plus ou moins proches du futur tueur, qui s’étalent sur plusieurs pages à propos du prosélytisme volubile du jeune Merah.

Ces phrases sont lues à l’accusé, pour lui faire comprendre qu’on s’étonne de son ignorance. Fettah Malki répète : « M. le président, je suis un délinquant moi, les gens ne me parlent pas de religion. Je m’en fous qu’il soit radical ou pas, ça ne m’intéresse pas. Je ne m’intéresse pas à la vie des gens. Mohamed Merah m’a déjà parlé de religion, mais ça rentrait par une oreille et ça sortait par une autre. » Ou encore, sur les vidéos de décapitations que Mohamed Merah aimait montrer à ses camarades : « J’avais 30 ans, lui 23 ans, j’étais un ancien, il me respectait, qu’est-ce qu’il va me montrer des vidéos pour me caresser dans le sens du poil ? », s’escrime-t-il. Son avocat Me Édouard Martial l’interroge : « Si je comprends bien, c’est pas la peine qu’on vous parle de sourate ? » Négatif. L’avocat lit une autre déclaration : « Il ne m’a jamais parlé de politique ou de religion », dit un certain M. Slimani à propos de Mohamed Merah, dont il était vraiment très proche. Il entend démontrer par là que Mohamed Merah affichait son fanatisme de manière aléatoire, et surtout, n’affichait pas ses intentions aux premiers venus. Me Martial : « Pouviez-vous savoir qu’il allait commettre ces actes ? – Ça ne m’a jamais traversé l’esprit, jamais de la vie, c’est impossible, s’il m’avait parlé de cela, je ne lui aurais jamais donné. »

Fettah Malki ne savait pas, dit-il – où ne voulait-il pas voir ? Un jour, il acquiert deux armes, un Colt et un petit Uzi automatique. Il n’a pas besoin d’argent, il les revendra plus tard. Il débarque un soir de pluie chez Christelle, sa compagne, qui vit dans la commune de L’isle-en-Dodon, à 80 kilomètres de Toulouse. « Il m’a demandé d’enterrer les armes, j’ai creusé dans le jardin, entre le puits et le grillage, avec une petite cuillère ». C’était début 2011. Un an plus tard – les enquêteurs établissent que c’est le 27 février à une heure du matin – Mohamed Merah vient au domicile de Christelle, pour acheter un gilet par balles volé à la police, que Fettah Malki a acheté en novembre 2011 à deux jeunes de « La Reynerie ». « J’ai déterré les armes pour lui montrer », elles étaient rouillées, la peinture écaillée. Mohamed Merah monte et démonte l’Uzi avec une dextérité surprenante, puis se propose de les emporter pour les nettoyer. « Mais je préférais le faire moi-même », explique l’accusé. Peu après le 6 mars, il se ravise. « J’avais peur que mon ex », c’est-à-dire Christelle, « me balance à la police », à la suite d’un conflit de couple. Il confie l’Uzi à Mohamed Merah « pour qu’il le nettoie », quelques jours avant l’assassinat d’Imad Ibn Ziaten, survenu le 11 mars.

« Mais vous croyez que le terrorisme ça se chante dans toutes les rues ? »

Fettah Malki a beaucoup varié dans ses déclarations. L’avocate générale évoque de nombreuses « versions », lui parle « d’évolutions ». Au début, il était un délinquant dépassé par la gravité de l’accusation, qui cherchait à se dépêtrer de cette situation, qu’aujourd’hui encore il juge « terrible ». On lui rappelle sans cesse ses mensonges passés, qu’on lui jette au visage pour mettre en doute sa défense d’aujourd’hui. Les parties civiles ne croient pas qu’il ait pu fréquenter le terroriste sans connaître, sinon ses desseins, l’extrémisme qui l’habitait. « Mais vous croyez que le terrorisme ça se chante dans toutes les rues ? », s’énerve enfin l’accusé. « Tout le monde traîne ensemble aux Izards », décrète un avocat, qui n’adhère pas au caractère solitaire, mutique et rêveur que l’accusé affiche. « Comment ça on traîne ensemble ? Mais pas du tout, on se croisait, sans plus ». On spécule sur la proximité entre Mohamed Merah et Fettah Malki. Ce dernier insiste : il le voyait rarement, il le crissait, c’était un « jeune ». Qu’importe, Me Méhana Mouhou, qui représente la famille d’Imad Ibn Ziaten, donne de la voix : « Vous allez dire que vous connaissez Mohamed Merah, et que vous êtes le seul à ne pas savoir qu’il est radicalisé ! » En face, Mes Martial et Christian Etelin s’étouffent. « Ils sont sept ! Sur des milliers d’habitant ! », à témoigner dans ce sens. Me Etelin rit jaune en secouant la tête. Me Martial se moque : « Vous êtes content, hein ! Quelle équipe ! », lance-t-il à l’aréopage de robes noires qui leur fait face.

L’avocate générale, du ton cassant qui est le sien, pointe de nouvelles contradictions. Elles paraissent secondaires. Enfin, elle sort une phrase que l’accusé aurait prononcée au psychiatre qui l’examinait. Une phrase qui, en substance, signifie que Fettah Malki aurait effacé ses empreintes sur l’arme s’il avait su que la police était à ses trousses. « C’est une phrase terrible », dit-elle gravement. Les bancs sont saisis d’effroi. Fettah Malki explose : « C’est déformé ! C’est pas du tout ce que j’ai dit ! Je voulais dire que si j’avais voulu commettre ces actes, on ne m’aurait pas eu aussi facilement. Et je le redis aujourd’hui ! »

Les psychiatres sont entendus ce mardi 24 octobre.