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Contester une correctionnalisation : fin du filtrage de la chambre de l’instruction

La recevabilité de l’appel interjeté contre une ordonnance de requalification n’est pas subordonnée à la mention dans l’acte d’appel de l’objet de ce recours, lequel peut être apprécié en fonction des motifs exposés par mémoire devant la chambre de l’instruction. 

par Warren Azoulayle 19 décembre 2017

La correctionnalisation d’une affaire criminelle est un procédé prétorien consistant à user d’une fiction en droit, tout se passant comme si le crime pour lequel un individu est poursuivi était un délit, nonobstant le principe selon lequel un acte pénalement qualifiable doit l’être sous la plus haute acception pénale applicable, ainsi que le caractère d’ordre public des règles de compétence en matière pénale (v. not. Rép. pén., Compétence, par F. Agostini, n° 123). La loi Perben II (n° 2004-204, 9 mars 2004) ne venait pas créer la possibilité de correctionnaliser des faits criminels, mais doter la pratique d’un cadre légal jusqu’ici absent. Elle permettait également à l’individu mis en examen de contester un tel dispositif afin que soit reconnue la compétence d’une cour d’assises.

En l’espèce, un individu était mis en examen des chefs, notamment, de tentative de meurtre en bande organisée. À l’issu de l’information judiciaire, le magistrat instructeur rendait une ordonnance de requalification des faits en violences n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail commises avec usage d’une arme, et renvoyait l’individu devant le tribunal correctionnel. Estimant que ces faits constituaient un crime, il interjetait appel de l’ordonnance de correctionnalisation rendue. Les juges du second degré retenaient pour autant qu’il ne résultait d’aucun élément que l’appel interjeté entrait dans l’un des cas prévus par l’article 186-3 du code de procédure pénale et déclaraient l’acte non admis. Il formait un pourvoi devant la Cour de cassation et arguait qu’il ne ressort pas de la lettre du texte une obligation de mentionner dans l’acte d’appel l’objet de ce recours, lequel se déduisait nécessairement des pièces de la procédure. La Cour de cassation, accueillant le raisonnement de la partie demanderesse, considère pour sa part que l’appel d’une ordonnance de requalification s’apprécie, entre autres, en fonction des motifs exposés par mémoire devant la chambre de l’instruction.

En effet, la position de la juridiction suprême sur l’articulation des articles 186 et 186-3 du code de procédure pénale, et sur la possibilité pour un mis en examen de contester la correctionnalisation de faits devant la chambre de l’instruction, a par le passé été dissemblable et changeante, conférant par là même un caractère d’imprévisibilité aux décisions qu’elle rendait.

Elle avait d’abord considéré que l’acte d’appel devait faire apparaître de manière non équivoque que ce recours était exercé en application de l’article 186-3 du code de procédure pénale (Crim. 15 mars 2006, n° 05-87.299, D. 2006. 1247  ; AJ pénal 2006. 269  ; Crim. 22 août 2007, n° 07-84.087, Dalloz jurisprudence), pour ensuite revenir sur cette exigence et admettre que la disposition n’avait pas à être spécialement visée dans l’acte d’appel (Crim. 10 déc. 2008, n° 08-86.812, Dalloz actualité, 2 févr. 2009, obs. M. Léna ; AJ pénal 2009. 137, obs. L. Ascensi ; RSC 2009. 405, obs. R. Finielz  ; 25 nov. 2009, n° 09-84.814, Dalloz actualité, 20 janv. 2010, obs. C. Girault ; AJ pénal 2010. 85, obs. L. Ascensi ).

Sa position n’était pas ancrée et se trouvait par la suite précisée, la chambre criminelle prononçant l’irrecevabilité d’un appel interjeté au motif que l’appelant n’évoquait l’article 186-3 du même code dans aucun acte de la procédure devant la juridiction du second degré (Crim. 23 février 2011, n° 10-81.767, Dalloz actualité, 9 mars 2011, obs. M. Léna ; AJ pénal 2011. 368, obs. J.-B. Perrier ). Elle précisait là sa pensée en considérant que l’idée n’était plus d’exiger la référence à cette disposition seulement dans la déclaration d’appel, mais aussi dans le mémoire déposé devant la chambre de l’instruction (Crim. 27 sept. 2011, n° 10-88.028, Dalloz jurisprudence).

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) venait sanctionner ce formalisme excessif privant le justiciable de son droit d’accès à un tribunal (CEDH, 5e sect., 15 mars 2012, Poirot c. France, req. n° 29938/07, Dalloz acutalité, 5 janv. 2012, obs. O. Bachelet[Correctionnalisation judiciaire : le « formalisme excessif » condamné à Strasbourg] ; RSC 2012. 142, obs. Y. Mayaud ; JA 2012. 452, obs. E. Benazeth). Elle affirmait avec exactitude que la lettre de l’article 186-3 du code de procédure pénale n’exige nullement d’indiquer l’objet du recours exercé (§ 42), qu’il se déduisait des informations contenues dans l’acte d’appel que le recours de la requérante était exercé en application de l’article 186-3, ce que le président de la chambre de l’instruction ne pouvait ignorer (§ 43), soulignant que cette interprétation des règles procédurales excessivement formelle (§ 44) privait le justiciable de son droit d’accès un tribunal non seulement en lui retirant la possibilité d’un examen au fond de son recours par la chambre de l’instruction, mais aussi celle d’un contrôle par la Cour de cassation, l’ordonnance de non-admission étant insusceptible de recours (§ 45).

La Cour de cassation formulera par la suite que la recevabilité de l’appel interjeté contre une ordonnance de requalification peut s’apprécier « non seulement au vu des indications figurant dans l’acte d’appel, mais aussi en fonction des motifs de ce recours exposés par mémoire devant la chambre de l’instruction » (Crim. 4 juin 2014, n° 14-80.544, Dalloz actualité, 23 juin 2014, obs. C. Fonteix ; AJ pénal 2014. 591, obs. J. Lasserre Capdeville ). Plus encore, elle étendait cette recevabilité à la prise en compte des pièces annexées à l’acte d’appel (Crim. 1er oct. 2014, n° 14-83.979, Dalloz jurisprudence). Elle censure depuis pour excès de pouvoir les non-admissions de la chambre de l’instruction prononcées au motif que l’acte d’appel ne précise pas l’objet de ce recours et neutralise le filtrage de son président avec constante (Crim. 11 janv. 2017, n° 16-86.362, Dalloz jurisprudence), allant jusqu’à affirmer qu’aucune limitation particulière ne saurait être apportée à l’exercice des droits de la défense (Crim. 13 avr. 2016, n° 16-80.373, Dalloz jurisprudence).

En effet, la correctionnalisation se veut être, entre autres, une modalité de gestion (V., not., Rép. pén., Tribunal correctionnel, par M. Redon, n° 12) du « stock » de dossiers auquel l’institution judiciaire doit faire face, dont elle use pour plusieurs raisons, qu’il s’agisse de maximiser la célérité d’une réponse pénale apportée à moindre coût, de contrecarrer l’imaginaire et éventuelle clémence d’un jury populaire ou encore d’éviter à une partie plaignante de venir déposer à la barre. Ce faisant, respecter, et non offrir, la possibilité pour une personne poursuivie d’interjeter appel d’une ordonnance fondée sur une fiction correctionnalisante n’est ni superfétatoire ni surabondant de bienveillance. C’est une interprétation ad litteram de l’article 186-3 du code de procédure pénale.