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Loueur de meublé professionnel : inconstitutionnalité de l’obligation d’immatriculation au RCS

L’article 151 septies VII du code général des impôts, qui exigeait l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour qu’un loueur en meublé ait le statut de professionnel et puisse ainsi bénéficier de certains avantages fiscaux, est déclaré inconstitutionnel en vertu du principe d’égalité des charges publiques.

par Ariane Gailliardle 19 février 2018

La location d’un immeuble à usage d’habitation garni de meubles bénéficie d’un régime fiscal autonome. La jurisprudence judiciaire la traite comme une activité civile (V., par ex., Civ. 15 févr. 1921), qualification qu’elle retient par exclusion des critères de la commercialité. Mais le droit fiscal lui attribue un régime commercial : la jurisprudence administrative rattache cette activité à la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et non celle des revenus fonciers, peu important que l’activité soit exercée à titre professionnel ou non (V., par ex., CE 30 oct. 1968, n° 70952, Dupont 1969. 27). En revanche, dans les modalités d’imposition, le loueur de meublé bénéficie d’avantages fiscaux lorsqu’il exerce son activité à titre professionnel. Il est en effet soumis, dans certains cas, au régime des plus-values professionnelles en cas de cession d’immeubles et ses déficits sont imputables sur le revenu global.

L’article 151 septies VII du code général des impôts, qui a fait l’objet de la question prioritaire de constitutionnalité, prévoit les conditions du statut de loueur en meublé professionnel. Dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 6 novembre 2014, cet article disposait que « l’activité de location directe ou indirecte de locaux d’habitation meublés ou destinés à être loués meublés est exercée à titre professionnel » sous trois conditions.

La première condition concerne l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Cette condition s’était adoucie : alors qu’il était auparavant exigé que l’immatriculation se fasse par la personne physique locataire, il peut s’agir, depuis 2008, de tout membre du foyer fiscal.

Les deux autres conditions sont relatives au montant des recettes annuelles de l’activité, qui doit d’abord excéder 230 000 € et ensuite, excéder les autres revenus du foyer fiscal (revenus relatifs à une liste de bénéfices fixée par l’article, parmi lesquels les bénéfices industriels et commerciaux autres que ceux de l’activité de location meublée, les bénéfices agricoles, les bénéfices non commerciaux).

Il est à noter que si aujourd’hui ces trois conditions sont cumulatives, les deux dernières pouvaient auparavant être alternatives.

À l’occasion d’un litige devant le tribunal administratif, puis devant la cour administrative d’appel, une personne physique exerçant l’activité de loueur de locaux meublés s’est vu, lors d’un contrôle de l’administration fiscale, refuser l’application de l’avantage fiscal relatif aux loueurs de locaux meublés professionnels en raison de sa non immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Soutenant que cette première condition, fixée par l’article 151 septies § VII du code général des impôts, était impossible à réunir, il a formulé une question qui a été renvoyée devant le Conseil d’État, puis transmise par une décision du 20 novembre 2017 au Conseil constitutionnel.

La norme contrôlée était relative à l’article 151 septies § VII comprise dans trois versions :

  • celle issue de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005 ;
  • celle issue de la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 ;
  • et celle résultant de l’ordonnance du 30 janvier 2009 portant diverses mesures relatives à la fiducie.

L’objet du contrôle était la condition relative à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Le requérant soutenait qu’il s’agissait par cette condition d’une volonté pour le législateur d’instituer « une formalité impossible à satisfaire par les personnes physiques exerçant cette activité, dès lors qu’elles ne sont pas autorisées à s’inscrire en cette qualité ». Il y voyait également une différence de traitement injustifiée entre les personnes physiques et les personnes morales.

Il est, en l’état actuel des dispositions fiscales et commerciales, difficile de lui donner tort, du moins pour les loueurs en meublés professionnels à titre occasionnel. En effet, aux termes de l’article L. 123-1 du code de commerce, l’immatriculation au RCS concerne « les personnes physiques ayant la qualité de commerçant ». Or, le même code entend les commerçants comme « ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle » (art. L. 121-1). Si la législation commerciale donne un caractère commercial aux « entreprises de locations de meubles » (art. L. 110-1, 4°), il n’en va pas ainsi pour les locations d’immeubles en meublés, sauf lorsque celles-ci s’accompagnent des fournitures visées à l’article L. 110-1, 6°. Exclues du critère commercial, de telles activités sont donc traitées comme des activités civiles.

Le raisonnement est implacable : à la loi fiscale, qui prévoit un avantage pour les loueurs de meublés professionnels et en donne les conditions, répond la loi commerciale, qui rend cette condition impossible à réunir pour la personne physique qui loue en meublé de façon occasionnelle. Et la pratique judiciaire a entériné cette rigueur : de nombreux greffes des tribunaux de commerce ont, appliquant la logique la plus rigoriste, refusé d’accepter l’inscription au registre du commerce et des sociétés. L’administration fiscale a bien tenté de surmonter ce refus en admettant la qualité de loueur en meublé professionnel à celui qui, s’étant confronté à un refus d’immatriculation par un greffe du tribunal de commerce, atteste malgré tout des deux autres conditions fixées par l’article 151 septies VII, à condition de rapporter la décision du greffe portant refus (Rép. min. n° 68, JO Sénat 13 avr. 1995, p. 880, Lambert ; BOI-BIC-CHAMP-40-10, 5 avr. 2017, § 80).

Mais cette tolérance n’a pas empêché l’article 151 septies § VII de faire l’objet de la présente QPC.

Le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 34 de la Constitution, qui permet au législateur de fixer « les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives », mais en fondant son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il propose. Le Conseil s’est ainsi intéressé au but poursuivi par le législateur : il a considéré « qu’en subordonnant le bénéfice de l’exonération à l’inscription au registre du commerce et des sociétés, le législateur a entendu empêcher que des personnes exerçant l’activité de loueur en meublé à titre seulement occasionnel en bénéficient ».

Le problème est alors relatif, non pas à l’objectif poursuivi, mais aux critères fixés pour poursuivre cet objectif : après avoir étudié les règles du code de commerce, le Conseil constitutionnel a considéré qu’« en subordonnant le bénéfice de l’exonération à une condition spécifique aux commerçants, alors même que l’activité de location de biens immeubles ne constitue pas un acte de commerce au sens de l’article L. 110-1 (…), le législateur ne s’est pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction du but visé ».

Ce raisonnement l’a conduit à déclarer la disposition inconstitutionnelle, pour méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques.

La déclaration d’inconstitutionnalité emporte l’abrogation de la disposition du code général des impôts.

Pour bénéficier du statut de loueur en meublé exerçant son activité à titre professionnel, il reste désormais deux conditions relatives au seuil de revenus ; à la différence de la condition relative à l’immatriculation au RCS, ces conditions ne nécessitent aucune formalité de réalisation.

D’où la question de savoir, en premier lieu, si les personnes physiques qui sont actuellement loueurs de meublés et qui remplissent les deux conditions des revenus pourront être « automatiquement » considérées comme exerçant l’activité à titre professionnelle pour l’année 2018.

En second lieu, se pose la question de l’impérativité de ce nouveau statut pour la personne physique réunissant les deux conditions relatives aux revenus mais souhaitant garder, pour son activité de location en meublé, le statut de non professionnel qui lui est parfois plus profitable, notamment dans certains cas de revente du bien. Auparavant, le loueur en meublé qui le souhaitait pouvait ne plus être traité comme un professionnel en se désinscrivant du RCS. Or, la décision du Conseil constitutionnel supprime la possibilité de passer d’un statut à l’autre au gré des avantages fiscaux envisagés. Le Conseil constitutionnel, qui a vu une atteinte à l’égalité des charges publiques, ne s’intéresse bien évidemment pas aux conséquences d’une déclaration d’inconstitutionnalité. Toutefois, derrière la technique constitutionnelle se dissimule un choix de politique fiscale : l’avantage octroyé aux loueurs en meublé professionnels avait initialement été souhaité pour éviter les risques d’évasion fiscale (V. les propos tenus par M. Blin, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, cité dans le commentaire de la décision n° 2017-689 QPC du 8 févr. 2017, mis en ligne sur le site du Conseil constitutionnel). En élargissant les conditions pour être loueur en meublé professionnel, on lutte ainsi davantage contre l’évasion fiscale…