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Interview

Christophe Pettiti, nouveau président de la CNBF

En décembre dernier, la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) a élu Christophe Pettiti pour prendre les rênes de l’organisme chargé de gérer les retraites des avocats. Entre problématiques liées à la crise sanitaire et inquiétudes persistantes liées au projet de réforme des retraites, le nouveau président revient sur son parcours et sur les différents sujets qui rythmeront son mandat.

le 20 janvier 2021

La rédaction : Vous avez été élu à la présidence de la CNBF pour un mandat de deux ans. Pouvez-vous rappeler brièvement votre parcours, et ce qui vous a amené à occuper cette fonction aujourd’hui ?

Christophe Pettiti : Je suis avocat depuis 1986, spécialisé en droit du travail, de la protection sociale et en droit international des droits de l’homme. Le droit du travail est mon activité dominante ; je suis un vrai « travailliste ». J’ai donc toujours été familiarisé avec la problématique des retraites, principalement côté employeur. C’est pour cette raison qu’il y a seize ans, j’ai commencé à m’intéresser à la CNBF et me suis présenté aux élections des délégués. J’avais envie de voir fonctionner de l’intérieur un organisme de sécurité sociale, a fortiori celui des avocats. J’ai eu la chance qu’on me demande dès le départ de faire partie du conseil d’administration de la caisse. Au cours des deux dernières années, j’ai notamment été en première ligne sur la question de la réforme des retraites. En janvier 2020, j’ai été élu premier vice-président pendant un an par le conseil d’administration, puis président en décembre dernier. Outre mon expérience de longue date à la CNBF, je suis perçu par mes pairs comme un bon technicien de la retraite grâce à mon expérience professionnelle. Je pense que c’est ce qui a en partie motivé mon élection.

La rédaction : Concrètement, quelles sont les principales actions que vous souhaiteriez mener sous votre mandat ?

Christophe Pettiti : Je souhaite privilégier ce qui figurait déjà dans les priorités de mes prédécesseurs, à savoir dans un premier temps la problématique du régime d’invalidité. La CNBF gère en effet l’invalidité et donc les arrêts maladie des avocats à partir du quatre-vingt-onzième jour, les quatre-vingt-dix premiers jours étant pris en charge par les ordres dans le cadre d’un système assurantiel. Le montant forfaitaire de l’indemnité journalière, d’un montant de 61 €, est assez faible, d’autant qu’un arrêt maladie de plus de quatre-vingt-dix jours est souvent lié à des problèmes de santé graves. Depuis un certain temps, la caisse se pose donc la question de l’augmentation du montant de cette prestation, mais cela soulève une problématique de financement dans la mesure où il s’agit d’un régime financé par les cotisations des avocats et les CARPA. Est-ce que la profession accepterait de voir ses cotisations augmenter ? Cela semble compliqué dans le contexte actuel, mais les avocats sont aussi de plus en plus demandeurs de prestations sociales. Des études de la part des actuaires seront donc nécessaires afin d’évaluer la nature des risques, et de quel montant augmenteraient les cotisations. La CNBF va poursuivre cette réflexion en conciliation avec les instances représentatives de la profession.

L’autre problématique liée à ce sujet est la question de l’indemnisation des quatre-vingt-dix premiers jours. Lors de l’amendement de décembre dernier sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), la profession d’avocat a en effet refusé d’être intégrée comme les autres professionnels libéraux dans le régime général afin de pouvoir bénéficier des indemnités journalières de ce régime. Or nous devrons y réfléchir car de nombreuses inégalités existent sur le territoire national ; à Paris, par exemple, les avocats ne sont indemnisés par l’ordre qu’à partir du trente et unième jour d’arrêt seulement, tandis que, dans d’autres barreaux, cela se fait à partir du seizième jour. Par ailleurs, les montants sont faibles. La volonté de la CNBF est donc d’être actrice de ce débat en tant qu’experte technique afin d’apporter un avis éclairé, sans pour autant nécessairement prendre en charge ce risque.

Concernant les arrêts longue maladie, la question des mi-temps thérapeutiques se pose également. Les avocats dans cette situation sont en effet souvent désireux de conserver une activité partielle, tout en bénéficiant des indemnités journalières. Or il est difficile de définir ce qu’est un mi-temps dans une activité libérale. Là aussi, il faudra se pencher sur le sujet afin de trouver un équilibre et une solution.

Enfin, comme tous les ans, le souci de la CNBF est de raisonner à moyen et long terme pour l’équilibre des régimes à l’occasion de la commission de pilotage. Il faut à mon sens réfléchir encore davantage à la manière d’améliorer le régime de base, qui est notre particularité. Ce régime étant solidaire et non lié aux revenus, son équilibre est en effet plus précaire que celui du régime complémentaire, même s’il est en bonne santé financière. Tout cela sous réserve bien sûr que la question de la réforme du régime universel des retraites n’occupe pas à nouveau notre quotidien, comme cela a été le cas pour la précédente présidente de la CNBF.

La rédaction : Justement, à quoi doivent s’attendre les avocats concernant ce projet de réforme qui suscite toujours autant d’inquiétude ?

Christophe Pettiti : Mon sentiment est que, jusqu’aux prochaines élections présidentielles, il n’y aura pas de réforme du régime des retraites. Le jour où le sujet sera à nouveau abordé – et il le sera forcément –, la réforme pourra alors être de deux natures : soit on revient à une réforme du régime universel, qui signifierait la disparition de la CNBF, soit la réforme est uniquement financière et basée sur l’âge et le nombre de trimestres. J’espère que c’est cette deuxième option qui serait alors retenue. Mais en dehors de la réforme du régime universel, la crainte que l’on peut avoir concerne les réserves : les caisses de retraite qui en ont devront-elles les transférer dans le régime général afin de compenser les déficits ? C’est une vraie problématique. Les réserves sont pour nous très importantes dans la mesure où elles nous permettront de combler un rapport démographique qui sera un jour moins favorable, et de repousser la date à laquelle le régime serait en déficit technique.

La rédaction : Quel est votre sentiment sur ce qui s’est passé avant que la crise sanitaire ne vienne donner un coup d’arrêt au projet de réforme des retraites, et quelle est la position de la CNBF en cas de retour prochain de ce sujet sur le devant de la scène ?

Christophe Pettiti : Lorsque le débat sur la réforme des retraites battait son plein, la CNBF s’est positionnée comme le sachant de la profession. En revanche, nous n’avons pas été partie prenante du débat, ce que je trouve personnellement très dommage. Si la crise sanitaire n’avait pas mis un frein au projet de loi, celui-ci aurait été voté définitivement. Et juridiquement, la CNBF aurait aujourd’hui disparu. Dès le début du projet, Jean-Paul Delevoye a eu l’intelligence politique de refuser de discuter avec les caisses de retraite des professions libérales, et notamment avec la CNBF, car il savait pertinemment que bon nombre des arguments techniques du gouvernement seraient réfutés. Mais s’il devait y avoir à nouveau demain un projet de loi, quel qu’il soit, il faudra que la profession impose la présence du technicien autour de la table. Et ce d’autant plus qu’à la différence des autres caisses de retraite, les instances dirigeantes de la CNBF sont exclusivement composées d’avocats élus par leurs pairs, qui ont donc la double qualité de représentation et de technicien. Ce débat est très complexe ; il n’y a que la technique qui permettra de trouver une solution.

La rédaction : Votre mandat est également marqué par la crise sanitaire et ses conséquences économiques sur la profession d’avocat. Pouvez-vous revenir sur les aides mises en place, qui ont parfois été jugées insuffisantes, et sur ce qui est envisagé en cas de poursuite de cette crise ?

Christophe Pettiti : En 2020, la CNBF a baissé la cotisation forfaitaire de tous les avocats, ce qui a représenté 28 millions d’euros en tout, et a également pris des mesures ciblées : une première en avril sans véritables données sur la situation du barreau, puis un mécanisme d’aide qui a concerné tous les avocats qui avaient subi une baisse de leurs recettes en avril et mai 2020 et dont le revenu professionnel en 2019 était inférieur à 40 000 €. Ce mécanisme a pris fin le 31 décembre dernier. En tout, ce sont 60 millions d’euros qui ont été provisionnés pour aider les confrères en difficulté, dont 40 millions directement prélevés dans les réserves du régime d’invalidité. Or, lorsqu’on touche aux réserves de la caisse, c’est l’équilibre général du système à long terme qui est en question. Par ailleurs, la CNBF est l’une des seules institutions de la profession à avoir baissé les cotisations. Mais si les problématiques liées à la crise sanitaire devaient perdurer en 2021, la caisse agirait de la même façon, en faisant de l’aide ciblée pour les confrères en difficulté.

La rédaction : Hors contexte sanitaire, en quoi les difficultés rencontrées actuellement par la profession pourraient-elles encore impacter la CNBF ?

Christophe Pettiti : Les revenus sont faibles au sein de la profession d’avocat, ce qui est anormal au regard du travail réalisé. Et qui dit faibles revenus dit faibles retraites, et une mise en difficulté du régime de base. Par ailleurs, l’un des débats qui agitent actuellement la profession concerne le fait de limiter l’accès au métier et aux écoles d’avocats ; c’est une très mauvaise idée du point de vue des retraites. Si l’on réduit le nombre de cotisants, dans la mesure où il y aura de plus en plus de départs à la retraite, le régime va se retrouver en situation de déséquilibre beaucoup plus tôt que prévu. De même pour l’avocat en entreprise : si cela devait se concrétiser, il faudra à tout prix que les avocats concernés restent affiliés à la CNBF et ne deviennent pas salariés du régime général soumis à l’Agirc-Arrco, sous peine de mettre en difficulté la caisse de retraite.

 

Propos recueillis par Chloé Enkaoua, journaliste

Christophe Pettiti

Avocat au barreau de Paris depuis 1986, Christophe Pettiti exerce en droit du travail et de la protection sociale, et en droit international des droits de l’homme. Il est secrétaire général de l’Institut de formation en droits de l’homme du barreau de Paris, et vice-président de l’Institut des droits de l’homme des avocats européens. Il a également été membre du réseau d’experts de la Commission des communautés européennes sur l’application des directives Égalité de 1987 à 1996. Ancien administrateur et vice-président de la CNBF, il en est aujourd’hui président.