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Interview

« ll s’agit non seulement de former des juristes qui soient à la hauteur de la machine, mais plus encore qui soient capables de la dominer » - Entretien avec le Doyen Guylain Clamour

Notre environnement juridique connaît de profondes mutations. Les professions juridiques et judiciaires sont en pleine transformation. L’automatisation, l’accès facilité à l’information, les outils de communication en ligne et l’intelligence artificielle bouleversent leur quotidien. Percevoir ces changements comme une menace ou une opportunité dépendra de la façon dont les juristes les abordent et s’y adaptent. Pour nous aider à mieux comprendre ces évolutions et leurs implications, sur les professionnels du droit en général, et la profession d’avocat en particulier, Krys Pagani, avocat, professeur associé à l’Université Paris-Saclay, directeur de la collection du Cercle Lefebvre Dalloz et co-créateur du Cercle K2, nous propose une série de grands entretiens avec des universitaires, avocats, magistrats, notaires, administrateurs et mandataires judiciaires, commissaires de justice, experts comptables,… qui ont démontré au cours de leur carrière professionnelle une forte capacité d’anticipation et d’adaptation pour naviguer avec succès dans des univers complexes et incertains.

le 15 octobre 2024

Cette série d’entretiens est réalisée en partenariat avec le Cercle Lefebvre Dalloz.

 

Krys Pagani : Le nombre d’étudiants en faculté de droit est en nette augmentation. De 180.000 étudiants dans les années 2000, les facultés de droit en France comptaient environ 240 000 étudiants en 2023, soit une augmentation de 4,5 % par rapport à 2020. Les facultés de droit doivent gérer cette pression démographique tout en maintenant la qualité de l’enseignement. Comment y parviennent-elles ?

Guylain Clamour : Les chiffres ont augmenté pour des raisons démographiques et, probablement, d’intérêt pour les études juridiques qui offrent de multiples possibilités d’insertion professionnelle dans le monde du droit, et bien au-delà. Concrètement, l’augmentation du nombre d’étudiants dans les facultés de droit provient nécessairement de l’accroissement, dans certaines universités, du nombre de places offertes. Mais une telle évolution des capacités d’accueil varie considérablement en fonction des établissements. Certains ont la possibilité matérielle d’accueillir davantage d’étudiants, tandis que d’autres ne peuvent l’envisager ne serait-ce qu’en raison de la taille des amphithéâtres et du nombre de salles. Malgré les efforts que certaines universités ont pu consentir, il demeure cependant un plafond de verre : celui du taux d’encadrement qui s’avère particulièrement bas dans les facultés de droit. À la lumière d’une étude qui a été menée au sein de la conférence des doyens, le ratio moyen est aujourd’hui d’un enseignant pour 45 étudiants avec des hypothèses à un enseignant pour 66 étudiants. Par la force des choses, les capacités d’accueil sont ainsi nécessairement limitées et une certaine tension existe dans l’accès à la licence en droit et, plus encore, pour ce qui concerne l’accès en master. S’agissant plus particulièrement de l’accès en licence, il faut aussi avoir en tête que le nombre considérable de candidats n’est pas forcément en rapport avec une véritable volonté d’entamer des études juridiques ce qui, au fil des désistements, permet de puiser très largement dans la liste d’attente. Enfin, dans l’outil Parcoursup, les classements effectués par les commissions d’examen des vœux sont systématiquement pondérés par un taux de boursiers et un taux de bacheliers hors académie afin de conserver le caractère universaliste du service public de l’enseignement supérieur, l’accès aux formations étant ainsi régulé dans une logique d’égalité des chances et de mérite républicain.

Krys Pagani : En application de la loi n° 2016-1828 du 23 novembre 2016 portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement français au système Licence-Master-Doctorat (LMD), les étudiants ne sont plus sélectionnés entre le master 1 et le master 2 mais dès la fin de la licence. Cette nouvelle sélection constitue une étape décisive pour les étudiants en droit. Quel regard portez-vous sur cette réforme ? 

Guylain Clamour : La sélection en master est en effet un sujet majeur pour les étudiants comme pour les enseignants-chercheurs. Le choix d’effectuer cette sélection à la fin du L3 et non plus à la fin du M1, qui s’explique, théoriquement, à la lumière du système licence-master-doctorat (LMD), s’avère bien peu pertinent pour les études en droit dans lesquelles, au demeurant, le niveau bac + 4 permet toujours une insertion professionnelle bien plus significative qu’avec un niveau licence. Mais, plus fondamentalement, le moment lui-même de cette sélection est sûrement à l’origine de nombreuses déconvenues. Les étudiants doivent en effet opérer leur choix au cours de la troisième année de licence, et au plus tard au début de leur sixième semestre, alors qu’ils n’ont pas encore étudié l’ensemble des matières qui leur permettraient d’être parfaitement éclairés sur leur choix de master. Par exemple, ils ne peuvent pas, en licence, être suffisamment renseignés sur l’intérêt et les potentialités du droit bancaire, du droit des assurances, du droit rural ou, encore, du droit de la commande publique et de nombreux étudiants font des choix de master à la lumière des appétences qu’ils ont seulement pu déterminer au cours de leurs deux premières années de licence, c’est-à-dire principalement en droit pénal, droit privé général, droit civil ainsi qu’en droit du travail et en droit des affaires. Dans ces différents domaines, il y a une véritable tension dans l’accès aux masters avec des étudiants qui in fine se retrouvent sans...

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Guylain Clamour

Guylain Clamour est professeur de droit public à l'Université de Montpellier. Il est actuellement doyen de la Faculté de droit et de science politique, poste qu'il occupe depuis 2019, avec un nouveau mandat courant jusqu'en 2029. Il a précédemment dirigé le Centre de recherches et d'études administratives de Montpellier (CREAM). Spécialiste en droit administratif, il a coordonné plusieurs colloques et a publié de nombreux articles et ouvrages juridiques. Ses recherches couvrent divers aspects du droit public, notamment le droit public des affaires.