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Interview

Le nouveau traitement des pourvois à la Cour de cassation

Un décret n° 2021-1341 du 13 octobre 2021 relatif au traitement des pourvois formés devant la Cour de cassation a été publié au Journal officiel du 15 octobre. Entretien avec Chantal Arens, Première présidente de la Cour de cassation et François Molinié, président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, sur une nouvelle étape de la réforme de la Cour de cassation, avant beaucoup d’autres.

le 26 octobre 2021

La rédaction : Depuis plusieurs années, la Cour de cassation s’est engagée dans une vaste réflexion sur ses méthodes de travail et la meilleure manière de traiter les pourvois. Le décret du 13 octobre 2021 s’inscrit-il dans ce mouvement ?

Chantal Arens : Le décret du 13 octobre 2021 constitue en effet un des prolongements de la réflexion et des actions conduites ces dernières années par la Cour de cassation, en partenariat avec les avocats aux Conseils pour repenser ses méthodes de travail. Très vite, et dans la suite des travaux engagés avant mon arrivée à la tête de la Cour de cassation il m’a paru essentiel d’envisager des circuits distincts de traitement des dossiers, tenant compte, sans filtrage aucun, de la complexité du litige, des enjeux économiques, sociaux, sociétaux qu’il soulève, de la portée normative de l’arrêt. Le rapport du groupe de travail « méthodes de travail à la Cour de cassation » que j’ai installé, composé de magistrats du siège et du parquet général, de personnel de greffe et animé par trois présidents de chambre, a permis de penser concrètement la mise en place des circuits différenciés de traitement des dossiers.

Désormais, pour les dossiers enregistrés après le 1er septembre 2020, les pourvois empruntent l’un des trois circuits suivants : le circuit court qui permet de traiter rapidement les pourvois dont la solution juridique s’impose ; le circuit approfondi, qui concerne les affaires posant une question de droit nouvelle ayant un impact important pour les juridictions du fond ou susceptibles d’entraîner un revirement de jurisprudence et le circuit intermédiaire qui reçoit toutes les affaires ne relevant ni du circuit court ni du circuit approfondi.

Le décret du 13 octobre 2021 consacre cette nouvelle organisation procédurale car il précise les conditions d’un examen approfondi du pourvoi : l’instauration d’une séance d’instruction et la désignation de deux rapporteurs. Le décret entérine par ailleurs les pratiques favorisant le traitement rapide des pourvois qui le justifient. La réforme renforce et organise davantage les échanges entre les chambres de la Cour de cassation, à l’occasion des demandes d’avis qu’elles s’adressent, par la possibilité offerte à un conseiller d’assister aux débats d’une autre chambre.

François Molinié : Le décret du 13 octobre 2021 est, en effet, l’occasion de mettre dans la lumière l’important mouvement de réforme de la Cour de cassation qui se poursuit. Après le temps de la réflexion et des rapports, nous sommes dans une phase opérationnelle dans laquelle la réforme des nouvelles méthodes de travail devient une réalité pour l’ensemble des pourvois formés depuis le 1er septembre 2020, c’est-à-dire ceux qui sont instruits maintenant et seront jugés dans les prochains mois.

La rédaction des mémoires déposés par les avocats aux conseils a sensiblement évolué pour faciliter le travail d’orientation des dossiers dans l’un des trois circuits que vient de présenter la Première présidente afin de ne plus les traiter de façon uniforme. Chaque mémoire ampliatif commence désormais par une présentation des questions soulevées par le ou les moyens de cassation. Il s’agit, ensuite, d’indiquer si un ou plusieurs moyens soulèvent ou non des questions nouvelles, demandent un revirement ou une évolution de la jurisprudence ou mettent en lumière une divergence entre les chambres, ou si, au contraire, ils se fondent sur une jurisprudence constante ou demandent à la Cour de se livrer à un contrôle de la motivation de l’arrêt ou de la dénaturation d’un acte.

Je crois pouvoir dire, après quelques mois, que cette nouvelle présentation et d’autres améliorations quant à la forme des moyens de cassation est bien appréciée par les magistrats de la Cour. Elle permet notamment d’identifier les dossiers susceptibles d’être orientés vers un circuit approfondi qui mobilisera davantage de temps et de ressources.

La rédaction : Le décret renforce la collégialité. De quelle manière et dans quel but ?

Chantal Arens : La collégialité est indéniablement garante de la qualité de la décision de justice. Le constat est celui d’une forte diminution de la collégialité au sein de l’ensemble des juridictions de l’ordre judiciaire, au civil notamment, en raison principalement du manque d’effectifs de magistrats et de fonctionnaires de greffe.

La restauration de la collégialité, à tous les degrés de jugement d’une affaire, doit être un objectif de tous les instants.

Le décret renforce ainsi la collégialité à la Cour de cassation dans la procédure d’avis entre chambres, que j’ai évoquée à l’instant. Les avis entre les chambres existent déjà, sous la forme prévue à l’article 1015-1 du code de procédure civile. Le décret permet désormais aux conseillers rapporteurs des deux chambres saisies d’assister au délibéré d’une autre chambre que celle à laquelle ils sont affectés.

La collégialité au sein d’une même chambre est également renforcée par la possibilité pour le président de chambre de désigner deux rapporteurs pour l’examen d’un même dossier.

Ces avancées procédurales me semblent majeures en ce qu’elles participent à la préservation de la collégialité, vecteur d’une sécurité juridique renforcée.

François Molinié : Le décret du 13 octobre 2021 renforce, en effet, la collégialité, notamment entre les chambres. C’est essentiel. Il arrive fréquemment qu’un pourvoi en cassation nécessite une approche transversale parce qu’il pose des questions juridiques relevant, pour partie au moins, du champ d’attribution d’une autre chambre.

Lorsque la chambre saisie du pourvoi sollicitera l’avis d’une autre chambre, le rapporteur de la première pourra assister au délibéré de la seconde. Et, inversement, le rapporteur de la chambre qui a rendu l’avis pourra assister à celle qui statuera sur le pourvoi.

Ces échanges accrus entre les chambres permettront de répondre, dans certains dossiers, au défi de la complexité du droit et du développement des droits fondamentaux, notamment processuels. En favorisant une approche transversale, la réforme donne à la Cour de cassation les moyens de répondre à ces préoccupations.

La rédaction : Le décret améliore le circuit de l’urgence et le traitement des pourvois qui nécessitent une solution rapide. Pouvez-vous nous décrire comment les pourvois urgents seront examinés par la Cour de cassation ?

Chantal Arens : Il existe déjà une procédure spécifique qui permet à la Première présidente de la Cour de cassation, à la demande d’une des parties ou d’office, de réduire les délais prévus pour le dépôt des mémoires et des pièces. Ainsi, le délai de quatre mois imparti en matière civile aux avocats pour déposer leur mémoire en demande peut être réduit à un mois, voire à quelques heures, comme cela fut le cas récemment dans un dossier de contestation de funérailles qu’il convenait de traiter à très brefs délais.

Pour les dossiers nécessitant un traitement rapide du fait des enjeux qu’ils soulèvent en termes de protection des droits fondamentaux, d’impact sur la société, ou d’urgence intrinsèque à la matière, le décret du 13 octobre 2021 institutionnalise la pratique de la Cour de cassation consistant, d’une part, à solliciter l’avis du Procureur général, d’autre part, à fixer la date d’audience dès la désignation du ou des conseillers rapporteurs.

Au-delà de ces innovations, se poursuit actuellement à la Cour une réflexion sur le signalement des pourvois avec pour objectif d’identifier efficacement et plus en amont les affaires dont l’impact social peut justifier un traitement spécifique.

François Molinié : Le projet favorise le traitement rapide des pourvois qui le justifient. C’est important. Certains pourvois nécessitent, en effet, une intervention à bref délai de la Cour de cassation : enlèvements illicites d’enfants, soins sans consentement, assistance éducative, rétention d’étrangers mais aussi certains contentieux sociaux et économiques…

Lorsque la Cour n’est pas saisie sous la forme d’une demande d’avis, il est indispensable qu’elle puisse statuer à bref délai sur certains pourvois. Le décret du 13 octobre 2021 améliore donc le circuit de l’urgence devant le juge de cassation.

Le cheminement d’un dossier urgent commence souvent par son signalement au parquet général de la Cour de cassation par un avocat aux conseils qui dépose, en parallèle, une demande de réduction des délais.

Désormais, en cas d’urgence, non seulement les délais de remise des mémoires seront réduits après avis systématique du Procureur général mais aussi la date d’audience sera fixée par le président de chambre dès la désignation du rapporteur. Les parties auront donc, rapidement après le dépôt des mémoires, une idée précise de la date à laquelle la Cour de cassation va statuer sur le pourvoi. Il est important de rappeler que certains pourvois sont examinés rapidement par la Cour de cassation y compris en matière économique lorsque la situation le justifie.

La rédaction : Le décret institue une séance d’instruction avant l’audience dans certains dossiers. Quel est l’objet de cette séance et dans quel type de dossier interviendra-t-elle ?

Chantal Arens : Le nouvel article 1013 du code de procédure civile consacre la possibilité de tenir une séance d’instruction avant le dépôt du rapport, lorsque l’affaire nécessite une instruction approfondie, c’est-à-dire lorsque l’examen de la question de droit posée nécessite des échanges entre les magistrats de la chambre concernée et le parquet général.

La procédure se veut très souple puisque la décision d’organiser une séance d’instruction est prise sans forme par le président de chambre, sur demande du conseiller rapporteur, en accord avec l’avocat général.

Il est important de souligner ici qu’il ne s’agit évidemment pas d’un délibéré sur l’affaire, mais plutôt d’une étape d’échanges libres, sans compte-rendu mais dont l’avocat général pourra faire restitution aux avocats aux Conseils, et qui répond à quatre objectifs :

  • analyser les moyens et identifier les questions posées par le pourvoi, pour les appréhender à la lumière du contexte général (économique, social, culturel, sociologique…) ;
  • réfléchir aux différentes orientations possibles ;
  • envisager les consultations pertinentes qui pourraient être mises en œuvre ;
  • le cas échéant, prévoir un calendrier pour le dépôt du rapport et de l’avis, la conférence et l’audience.

François Molinié : Il faut bien comprendre que cette séance intervient à un stade précis de l’instruction : les mémoires en demande et en défense ont été déposés. Le dossier du pourvoi a été repéré comme posant une question importante : il a donc été orienté vers le circuit approfondi. Mais le travail d’instruction proprement dit n’a pas encore véritablement commencé. L’organisation du travail, les recherches à mener, les consultations extérieures à solliciter le cas échéant : tout cela justifie un échange préalable entre magistrats, en amont du dépôt du rapport du conseiller rapporteur et de l’avis de l’avocat général. C’est l’objet précis de cette séance d’instruction. Engager la réflexion sur les différentes pistes de réflexion à explorer.

En aucun cas il ne s’agit d’un pré-délibéré ou d’un travail de révision : il n’y a pas de rapport, pas de projet de décision et pas même de compte-rendu.

Quant aux parties, elles sont tenues informées à chaque étape importante : orientation du dossier vers un circuit approfondi, nomination du ou des rapporteurs, désignation de l’avocat général et date de la séance d’instruction.

En outre, après la séance d’instruction, l’avocat général est chargé d’en restituer la teneur aux avocats aux conseils qui seront ainsi en mesure de tenir leurs clients informés notamment sur les raisons de l’orientation vers le circuit approfondi.

La rédaction : D’autres réformes sont-elles prévues ? En juillet dernier, M. André Potocki a remis un rapport sur « la Cour de cassation 2030 » qui présente plusieurs propositions de réformes ambitieuses pour la Cour. Quelles seront les suites de ce rapport ?

Chantal Arens : J’ai effectivement installé en juillet 2020, avec le Procureur général François Molins, une commission dénommée « Cour de cassation 2030 » présidée par André Potocki, ancien juge français à la Cour européenne des droits de l’homme, qui a réfléchi au rôle et à la place de la Cour de cassation dans son environnement juridique, institutionnel et international, à l’horizon 2030. Le rapport qui nous a été remis avant l’été est riche de trente-sept propositions fortes et ambitieuses pour la Cour de cassation.

Le temps est aujourd’hui aux échanges et aux consultations, en interne et à l’extérieur de la Cour, avec le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel, la Chancellerie, mais également l’université ou la société civile. Il est indispensable de recueillir d’abord les réactions, lever les interrogations que le rapport suscite, avant de traduire les propositions dans les faits.

Certaines, si elles étaient retenues, nécessiteraient pour être efficientes le soutien du ministère de la Justice, comme le service d’appui aux magistrats qui pose des questions de ressources humaines, ou encore la procédure interactive ouverte, qui relèveraient d’une réforme textuelle. D’autres s’inscrivent directement dans l’action que je conduis depuis mon arrivée à la tête de la Cour de cassation. Je pense par exemple au renforcement des échanges avec les cours d’appel, au développement de la communication de la Cour sur son activité juridictionnelle ou sur ses métiers. Je pense également au dialogue nourri qu’entretient la Cour de cassation avec les juges européens et internationaux.

La Cour de cassation a commencé sa mue il y a maintenant quelques années. Elle se poursuivra à l’avenir.

François Molinié : En tant que président de l’Ordre des avocats aux conseils et de membre de la commission « Cour de cassation 2030 », je puis témoigner que la réflexion sur la mise en œuvre concrète et effective des propositions du rapport remis en juillet dernier est en cours. Elle est même très active et je pense qu’elle débouchera rapidement sur de nouvelles avancées sous l’impulsion de la Première présidente et du Procureur général, notamment pour ce qui peut être fait à droit constant.

Certaines propositions impliquent directement les avocats aux conseils comme le rapport le souligne. Je pense, par exemple, aux circuits différenciés et notamment au circuit court qui est alimenté par les affaires les plus simples mais aussi au renforcement de l’oralité, ou bien encore à la modernisation du système informatique de la Cour de cassation.

Comme par le passé, l’Ordre des avocats aux conseils sera un partenaire actif des chantiers de transformation et de modernisation de la Cour de cassation.

 

Propos recueillis par Laurent Dargent, Rédacteur en chef

Chantal Arens et François Molinié

Chantal Arens est Première présidente de la Cour de cassation

François Molinié est président de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation