Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Interview

Quinquennat Macron : quelle évolution de la justice civile ?

Alors que le quinquennat de l’actuel président de la République française se termine, Dalloz actualité a souhaité retracer, à travers une série d’entretiens, les grandes évolutions juridiques à l’œuvre durant ces cinq dernières années sous l’effet conjugué de l’action des pouvoirs exécutif et parlementaire, voire des décisions de justice, et réfléchir aux évolutions à venir. Focus sur l’évolution de la justice civile.

le 23 mars 2022

Alors que le quinquennat devait débuter avec les chantiers de la justice, la réforme de la justice civile est d’ores et déjà engagée dans de nouveaux états généraux appelant d’énième décrets de procédure civile à venir, après beaucoup d’autres, parfois d’ampleur, souvent de corrections de réformes passées. Après cinq ans de réforme, bilan sur l’évolution de la justice civile avec Maxime Barba, agrégé des facultés de droit, professeur en droit privé à l’université Grenoble Alpes, David Gaschignard, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, et Romain Laffly, avocat associé, Lexavoué.

 

La rédaction : Quelle perception avez-vous de la quantité de textes de procédure civile durant ce quinquennat ?

Romain Laffly : On sait que quantité ne rime pas toujours avec qualité. Mais quelle meilleure illustration que la procédure civile pour laquelle le législateur est atteint de frénésie textuelle ! Ici, l’amoncellement des textes n’a d’égal qu’une piètre qualité rédactionnelle amenant les rédacteurs, dès la publication, à revoir, trop souvent, leur copie. Il n’est pas normal que le premier jet ne soit pas le dernier et que le législateur soit sans cesse amené à corriger de multiples erreurs qui sautent aux yeux des praticiens dès la première lecture.

Déjà, lorsque le décret est dit de simplification de la procédure ou des modes de saisine, il faut se méfier ! La réforme introduite par le décret du 11 décembre 2019 entrée en vigueur en janvier 2020, retouchée par le décret du 27 novembre 2020 puis complétée par le décret du 11 octobre 2021, en est l’illustration. Car, s’il y a bien sûr de bonnes choses avec la suppression des tribunaux de grande instance (TGI) et tribunaux d’instance (TI) au profit d’un tribunal judiciaire (TJ) et l’extension de la représentation obligatoire par avocat, les réformes souffrent toujours d’un mal très français, celui des exceptions, sans même évoquer celles de l’application surréaliste des textes dans le temps. Il n’est pas normal que les juges soient occupés à statuer sur le point de savoir si telle disposition est applicable ou non aux instances en cours. Ou le syndrome du pourquoi faire simple quand on peut tout compliquer. Dans les procédures douanières, fiscales ou d’expropriation, en première instance ou en appel, on finit par ne plus comprendre comment l’État ou les collectivités publiques peuvent être représentés, comment elles doivent notifier leurs écritures et selon quel procédé. L’impréparation de la réforme de la prise de date devant le tribunal judiciaire illustre aussi un autre syndrome, celui de l’effet d’annonce. On décide unilatéralement, et l’on réfléchit ensuite comment corriger le tir devant les multiples « bugs » et difficultés juridiques et pratiques : interruption des délais de prescription, choix de la chambre concernée selon le contentieux, etc. Et la réforme de la prise de date est encore, devant le manque de moyens de la justice, une tendance lourde des dernières années consistant en un transfert des charges habituelles des juridictions et des greffes sur les avocats. On en oublierait presque les épisodes de l’indication du téléphone mobile de l’avocat en première instance et des pièces dans la déclaration d’appel…

Quant aux cours d’appel, le bilan a déjà été dressé par l’Inspection générale de la justice (IGJ) et son excellent rapport remis au garde des Sceaux le 21 novembre 2019. Pour une fois étaient interrogés les principaux acteurs du procès, greffiers, magistrats et avocats qui tous dénonçaient des réformes procédurales « à visées essentiellement gestionnaires », devenues « variables d’ajustement pour absorber les flux ». Ce rapport était annonciateur de « l’appel des 3 000 » de novembre 2021. Les magistrats y dénonçaient déjà une « vision mécaniste et productiviste », en conflit avec la conception qu’ils ont de leur métier. Alors plutôt que de dresser des bilans, formons le souhait que ces acteurs soient interrogés en amont des réformes plutôt qu’en aval. Dans l’intérêt de tous, il faudrait maintenant appuyer sur pause. Les textes ne sont pas même assimilés qu’ils laissent la place à d’autres venus les compléter et les praticiens dans un abîme de perplexité, comme vient encore d’en apporter la preuve l’arrêté du 25 février 2022. Il était censé contrer le déjà célèbre arrêt de la deuxième chambre civile du 13 janvier 2022 sur l’annexe à la déclaration d’appel, mais au lieu de cela, la communauté des juristes s’est déchirée pour en appréhender le sens. On rêverait de phrases simples écrites en français.

Maxime Barba : C’est difficile de ne pas tomber d’accord avec Romain Laffly sur ce point. Les textes sont trop nombreux et surtout, mais c’est lié, trop rapprochés. Mon collègue Rudy Laher a évoqué, à propos du décret du 11 octobre 2021, la réforme de la réforme de la réforme de la procédure civile. Je crois qu’on en est effectivement plus très loin. Et, chose assez exceptionnelle, il n’aura fallu attendre que six petits mois pour qu’un nouveau décret de procédure civile paraisse. Je pense à ce fameux décret du 25 février 2022 accompagné de l’arrêté que Romain Laffly évoquait à l’instant. Et l’on sait déjà (ou l’on devine assez) qu’un nouveau décret paraîtra en fin d’année, lequel tirera sans doute les conclusions réglementaires des états généraux de la justice. Il y a de quoi désespérer, y compris du côté de l’universitaire qui a pourtant généralement davantage de temps à consacrer à l’étude des textes que les praticiens.

Je partage donc volontiers le constat global d’un emballement réglementaire durant ce quinquennat, qui évoque un état de réforme permanente de la justice civile pour reprendre la formule mémorable employée par Thierry Le Bars dans ses réflexions désabusées sur le sujet. Les textes sont trop nombreux et, cela va souvent de pair, trop mal écrits. D’ailleurs, c’est le comble, ce sont souvent les défaillances d’un précédent texte rédigé dans la précipitation qui vont (notamment) justifier la parution d’un nouveau texte aux fins de correction. Pensons à la réforme de 2019 qui avait confié au juge de la mise en état la connaissance des fins de non-recevoir… sans anticiper les répercussions sur la compétence du conseiller de la mise en état à hauteur d’appel… ce qui justifia une nouvelle intervention réglementaire. Pensons encore à la réforme des modes de saisine en première instance qui avait conduit, par un malheureux jeu de renvoi, à exiger l’indication des pièces… dans la déclaration d’appel… ce qui nécessita une nouvelle correction. On s’y perd. Et la Chancellerie semble d’ailleurs se perdre elle-même dans les multiples renvois dont elle a le secret (il faut d’ailleurs maudire consciencieusement et régulièrement cette législation par renvoi, indigeste au possible).

Disons du reste les choses franchement : à la Chancellerie, on nourrit sans doute le sentiment que les praticiens (magistrats, greffiers, avocats et autres) peuvent se mettre à jour en procédure civile à la façon des logiciels. Sitôt le nouveau texte paru, il leur suffirait de le télécharger et de l’installer pour s’actualiser ! Mais ces choses-là prennent du temps : parce qu’il faut assimiler le contenu des nouveaux textes (mal rédigés…) ; parce qu’il faut ensuite en penser les implications pratiques et théoriques ; parce qu’il faut prendre le temps d’en maîtriser les dispositions transitoires, d’une complexité parfois effrayante ; parce que, enfin, il faut implémenter concrètement l’ensemble. Le tout en gardant un œil sur la jurisprudence de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, qui n’est pas non plus avare d’innovations. Donc, de grâce, un moratoire des réformes de procédure civile serait bienvenu, qui permettrait à tous les praticiens de s’installer confortablement et durablement dans le droit judiciaire privé en vigueur. Il faut aussi, côté exécutif, retrouver la confiance dans l’institution judiciaire en général et la Cour de cassation en particulier, laquelle est parfaitement capable de corriger les scories des textes. La doctrine jouera ensuite son rôle critique dans une vaste entreprise de coconstruction de la procédure civile, qui a fait ses preuves et continuera de les faire. L’essentiel est que la justice civile n’a pas besoin d’un texte de procédure civile tous les six mois pour fonctionner et pour s’adapter. C’est plutôt l’inverse.

Dernière chose : la Chancellerie a pris l’habitude d’accompagner ses textes de divers documents annexes destinés à les expliciter (notice de présentation et, de façon plus originale, FAQ). En soi, c’est intéressant et on ne s’en plaindra pas. Sauf à faire observer que la Chancellerie paraît prendre prétexte de l’existence de ces textes pour se permettre de rédiger des textes incompréhensibles ! Or la règle doit par principe être renversée : c’est d’abord et avant tout le texte (décret, arrêté, etc.) qui doit être lisible par lui-même, isolément considéré ; il ne doit pas être rendu lisible par une source informelle périphérique. Je crois donc qu’il y a là une dérive à endiguer rapidement.

David Gaschignard : Quand je vous entends me vient immédiatement à l’esprit cette sourde colère qui irrigue le préambule de la déclaration des droits de 1789 : « afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables […] ». Et il est vrai qu’on a le droit d’être en colère, mais je ne suis pas sûr que cela fasse avancer les choses. Ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas besoin de meilleures règles, mais de règles stables, quelles qu’elles soient, à charge pour les praticiens de les assimiler et pour la jurisprudence de les polir.

Pour autant, au-delà de ce maelstrom législatif et réglementaire, il y a des orientations d’ensemble plutôt inquiétantes qui se confirment. J’en discerne au moins trois : la première, c’est ce que j’appellerais la caporalisation de la procédure, qui se vérifie au niveau des délais qui se multiplient, tous prescrits à peine de caducité ou de forclusion, de la présentation des écritures, qu’on veut de plus en plus normaliser, et même des modalités de transmission des actes, avec des exigences de plus en plus strictes et parfois carrément capricieuses. On ressent ce phénomène à hauteur de cassation : trop de pourvois tournent uniquement autour des questions de procédure, avec en filigrane la responsabilité des professionnels qui menace d’être engagée. La seconde, c’est la tendance à éloigner les justiciables, et même leurs avocats, des prétoires : on la voit clairement à l’œuvre avec les modes alternatifs de règlements des litiges, sans doute vertueux en soi, mais qui peuvent prendre un tour délétère lorsqu’ils constituent des préalables obligatoires. Ralentissement de l’issue effective du litige et pressions indues sur le justiciable qui est dans son bon droit, ce sont des fruits empoisonnés qu’on est en droit de redouter. Cette même tendance est à l’œuvre avec la suppression de la justice de proximité, la régression du maillage territorial, la dématérialisation des procédures, la tentation de supprimer l’audience, la création de la juridiction nationale des injonctions de payer, heureusement enterrée pour l’heure. Enfin, on voit se multiplier les juridictions spécialisées. Ce qui avait été initié avec la compétence exclusive de certains tribunaux et de la cour d’appel de Paris pour les litiges, pourtant pas si complexes, relatifs aux ruptures de relations commerciales établies, est en train d’essaimer dans les domaines les plus variés, la propriété littéraire et artistique, les marques, l’adoption, le contentieux de la sécurité sociale. On comprend qu’il s’agit pour les magistrats d’être à l’aise dans les matières correspondantes, mais on voit poindre d’innombrables problèmes de compétence juridictionnelle, sans compter que toute juridiction spécialisée secrète son propre droit, de plus en plus réservé aux seuls initiés.

La rédaction : Quelle conséquence a eu la crise sanitaire sur la justice civile ?

Romain Laffly : Pour moi, la crise sanitaire a révélé deux choses. L’incroyable obsolescence, non programmée cette fois, des outils informatiques des juridictions et une installation inquiétante des procédures sans audience ou en « mode dégradé ». Alors que la Chancellerie communiquait, lors du confinement de mars-avril 2020, sur la continuité du service public, l’immense majorité des contentieux civils et commerciaux s’est arrêtée net. Le justiciable n’avait plus accès au juge et les dossiers ont été, à de rares exceptions, renvoyés sine die ou à des dates très lointaines puisque les autres affaires restaient bien sûr fixées. Naïvement, si l’on connaissait les problèmes de débit du réseau et la faible capacité du RPVJ, on pensait que ce gel des audiences allait au moins permettre aux magistrats, à distance, de récupérer un temps utile pour rendre des décisions, mais on s’est vite aperçu qu’ils ne disposaient d’aucun moyen pour travailler à distance. Et que dire du logiciel de traitement de texte WordPerfect totalement inadapté. Bref, les deux mois de perdus ne se sont pas comptés en mois mais en années.

La distanciation entre le justiciable et son juge a également perduré bien après la période de confinement et de nombreux barreaux ont vainement dénoncé les atteintes à l’État de droit, à commencer par la suppression d’audiences de plaidoirie ou à la limitation du temps parole. De même, l’accès aux greffes et aux magistrats a été terriblement restreint et continue souvent à l’être, ce qui est totalement anormal. L’état d’urgence sanitaire est devenu, et devient, au gré de ses prorogations, la norme. On s’est lentement installé dans un régime d’exception.

Maxime Barba : Tout d’abord et incontestablement, la crise sanitaire a révélé le retard de l’équipement informatique des juridictions civiles et notamment des personnels de greffe. Je dis « révélé », parce que le fait n’était évidemment ignoré d’aucun praticien et certainement pas des premiers intéressés qui réclament des moyens supplémentaires depuis des années (en vain). C’est dommage qu’il ait fallu attendre une telle crise pour les entendre et commencer à envisager de les équiper de façon satisfaisante (on se refuse à dire que les juridictions civiles sont désormais bien équipées ; on peut simplement dire qu’elles sont mieux équipées qu’avant). La Cour des comptes a tout récemment, dans un rapport présenté le 26 janvier 2022 à la commission des finances du Sénat, confirmé ce que chacun savait déjà, à savoir que le ministère de la Justice accusait un très fort retard s’agissant de la transformation numérique de l’institution judiciaire. Précision : le retard porte sur les applicatifs (le software) comme sur les équipements « en dur  » (le hardware). C’est un retard global. Le tout sans évoquer les sommes faramineuses engagées dans cette transformation numérique (ratée donc). Bref, la crise sanitaire a mis en lumière l’informatique vieillissante de notre institution judiciaire, ce qu’il faut mettre au débit de l’exécutif (ou plutôt : des exécutifs qui se sont succédé).

Ensuite, la crise sanitaire a aussi montré, au crédit cette fois de l’exécutif, que la Chancellerie pouvait se montrer réactive lorsque nécessaire. En témoignent les fameuses ordonnances covid qui ont notamment permis de reporter le terme de certains délais cruciaux de procédure civile. Bien sûr, tout n’était pas idéal ; mais il s’est agi de parer au plus urgent et l’on peut dire, avec le bénéfice de la rétrospective, que l’exécutif n’a pas totalement failli à cet égard.

Enfin, et il faut y insister, on doit dire que l’exécutif a une fois encore fait la preuve de ce que les états d’urgence (sanitaires en l’occurrence) étaient parfois le théâtre d’expérimentations législatives destinées à s’installer dans le temps. La doctrine et les praticiens alertent régulièrement sur ce point : le droit d’exception a souvent une tendance à devenir commun. Le constat, porté notamment en matière pénale relativement à l’état d’urgence sécuritaire, est hélas d’une certaine pertinence en procédure civile. Ainsi, les mécanismes d’exception de gestion des audiences civiles en temps de covid semblent, doucement mais sûrement, se fondre dans le droit commun (il faut mettre en lien les ordonnances covid et les décrets les plus récents de procédure civile pour le réaliser, notamment le décret du 27 novembre 2020). Cela risque de se faire au détriment, on l’aura compris, de ce moment d’humanité qu’est normalement l’audience civile où l’on se voit, où l’on se parle, où le justiciable cesse d’être un dossier pour devenir un visage et une voix (fût-elle portée par son avocat). Comme l’indiquaient Corinne Bléry et Georges Teboul, ce n’est rien moins que l’humanité de la justice qui est en cause. Il faudra rester vigilant sur ce point et veiller à ce qui fut adopté comme droit d’exception demeure d’exception.

David Gaschignard : Il faut en effet reconnaître que la Chancellerie a su être extrêmement réactive et, me semble-t-il, efficace. Je mets ce petit bémol car on n’a peut-être pas encore vu remonter toutes les difficultés d’application des textes pris dans l’urgence. Néanmoins, on n’en a pas vu beaucoup émerger et les textes, plutôt bien rédigés dans l’ensemble, ont été publiés avec une célérité remarquable. Qu’on y songe : l’état d’urgence a été annoncé le 16 mars 2020 au soir et le 25 mars, nous avions les ordonnances relatives à l’adaptation des règles de procédure à l’état d’urgence. Les pouvoirs publics ont frappé fort, avec un report massif des délais, et plutôt bien.

En revanche, tout le monde a pu constater la pauvreté famélique des juridictions quant à l’équipement informatique. Je subodore que, crise aidant, on a comblé une partie de ce retard à marche forcée, sans grand plan d’ensemble et avec les moyens connus et existants, ce qui n’a peut-être pas été un mal.

La crise du covid, qui n’est pas terminée, aura sans doute des conséquences de plus long terme, pour le système judiciaire comme pour toute la société : défiance à l’égard de la rencontre physique, recours accru au travail à distance et la tentation de conférer un caractère pérenne à des mesures d’exception.

La rédaction : Quelles sont les modifications institutionnelles ou procédurales qui, selon vous, sont marquantes de ce quinquennat ?

Romain Laffly : Comme praticien de la procédure civile, je retiens avant tout la réforme de l’exécution provisoire. Car, si des réformes d’importance ont été menées (extension de la représentation obligatoire par avocat ou de la procédure accélérée au fond par exemple), celle-ci induit un changement de paradigme : l’exception est érigée en principe. Pouvait-on s’y attendre ? Sans doute, si l’on occulte, une nouvelle fois, ce que disaient les praticiens peu de temps avant la réforme. Le rapport de l’IGJ de novembre 2019 rappelait en effet que la généralisation de l’exécution provisoire de droit à l’ensemble des contentieux n’était souhaitée ni par la doctrine, ni par les magistrats, ni par les avocats. On sait ce qu’il advint, moins d’un mois plus tard, avec le décret du 11 décembre 2019. C’est là encore symptomatique. Voilà une réforme qui fait l’unanimité contre elle, mais on la fait quand même. En instaurant une exécution de droit à titre provisoire des décisions de première instance, le but recherché était notamment de limiter l’accès au juge d’appel. Mais il fallait ignorer la pratique pour ne pas voir qu’il s’agissait d’une fausse bonne idée. Car là où les avocats, une fois la décision rendue, négociaient souvent au regard de l’effet suspensif de l’appel, la partie perdante n’a désormais d’autre choix que de former appel pour saisir le premier président aux fins d’arrêt d’exécution provisoire. Et l’on constate que les nouvelles conditions de l’arrêt de l’exécution provisoire ne sont pas si terribles que cela et même plus souples s’agissant des appels des ordonnances de référés. Quant aux observations à faire valoir sur l’exécution provisoire dès la première instance, on constate qu’elle ne présente que peu d’intérêt et ne sont en réalité destinées qu’à anticiper la problématique de la recevabilité de la demande d’arrêt d’exécution provisoire devant le premier président de la cour d’appel.

L’autre innovation importante est certainement la compétence donnée au juge et au conseiller de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir. Mais si le mécanisme introduit entre les pouvoirs du juge de la mise en état et du tribunal est plutôt habile, on regrettera juste que n’ait pas été pensé, de la même manière, le rôle du conseiller de la mise en état du fait de sa position particulière en appel. Devant tant de questionnements, la Cour de cassation a dû intervenir le 3 juin 2021, selon la procédure d’avis, afin de donner une orientation sur le champ de compétence du conseiller de la mise en état, l’application dans le temps du texte, notamment sur déféré puisque ce recours contre les ordonnances statuant sur les fins de non-recevoir avait totalement été oublié par le décret du 11 décembre 2019 !

Maxime Barba : Sur le plan institutionnel d’abord, je retiens bien sûr la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance pour donner naissance à cette superstructure juridictionnelle qu’est le tribunal judiciaire. Dans une moindre mesure, mais c’est évidemment lié, on a assisté à la disparition du juge d’instance au profit du fameux JCP, pour juge des contentieux de la protection. S’agissant de cette vaste réforme institutionnelle, initiée par la loi de programmation pour la justice de mars 2019 et parachevée par les décrets de fin d’année, mon impression reste assez mitigée ; étant précisé que l’on a surtout vu le TJ fonctionner en temps de crise sanitaire et qu’il n’est donc pas évident d’avoir un vrai recul. Pour le moment, j’ai surtout l’impression, après d’autres, qu’on a fait du neuf avec du vieux. La refonte semble surtout superficielle. D’ailleurs, les textes n’ont pas suivi, en particulier ceux du code de l’organisation judiciaire, qui continuent d’évoquer en parlant des tribunaux de proximité (ou chambres de proximité) la compétence matérielle de ces derniers, là où il faudrait plutôt parler de répartition matérielle ou de répartition administrative interne au TJ. La réforme de la première instance civile me semble encore à faire, en s’inscrivant dans un temps long, jalonné des concertations nécessaires. Plus généralement, je m’inquiète des tendances à la spécialisation des institutions juridictionnelles françaises. Aujourd’hui, on trouve des tribunaux de commerce spécialisés, des tribunaux judiciaires spécialisés (ou spécialisables) et même des chambres de proximité auxquelles on peut conférer des compétences supplémentaires. Les autorités ont visiblement pris goût à la spécialisation juridictionnelle, en première instance comme en appel. Or on perd en lisibilité ce qu’on espère gagner en efficacité. Surtout, il y a là un facteur d’éloignement du justiciable et possiblement, à terme, de désertification judiciaire. Je crois qu’il faudra rester vigilant. Les lieux de justice de proximité doivent demeurer. Des mouvements auront sans doute lieu dans les prochaines années s’agissant de l’architecture juridictionnelle française (des signes annonciateurs sont déjà là). Il faudra rappeler régulièrement dans ce cadre le besoin de proximité de la justice civile, qui reste la justice ordinaire du quotidien.

Sur le plan de la procédure proprement dite, je retiendrais, outre la réforme de l’exécution provisoire en matière civile, l’avènement de la procédure accélérée au fond laquelle, une fois n’est pas coutume, me semble bien pensée. Il y a quelques années, on ne s’y retrouvait plus entre les vrais référés et les procédures comme en matière de référés ou en la forme des référés, qui empruntaient le véhicule procédural des référés mais débouchaient sur une décision au fond non provisoire. Désormais, la PAF a le mérite de clarifier les choses. Le nom lui-même est évocateur puisqu’il s’agit bien d’une procédure accélérée (comme en matière de référés) débouchant sur une décision au fond (à la différence des référés). Sinon, il faut encore mentionner la fameuse prise de date, qui est une petite révolution pratique. Plus récemment, des efforts ont été faits en faveur de la médiation, jusque devant la Cour de cassation. Il faudra tirer un bilan de cette réforme du 25 février 2022 dans quelques années.

David Gaschignard : Je commencerai, en ce qui me concerne, par la réforme qui n’a pas eu lieu, à savoir le filtrage des pourvois à la Cour de cassation, qui menaçait tout l’édifice institutionnel. En lieu et place, la Cour a organisé des circuits différenciés de traitement des pourvois, qui devraient lui permettre de mieux traiter les questions juridiques les plus sensibles.

Pour autant, l’innovation la plus significative, sur le plan institutionnel, est certainement la création du tribunal judiciaire. Cette réforme se voulait de simplification mais hélas, on a davantage le mot que la chose. Auparavant, on savait à peu près comment saisir le tribunal de grande instance, le tribunal d’instance ou le tribunal des affaires de sécurité sociale, désormais, certes, le justiciable ne devrait plus se heurter à des difficultés de compétence, hormis ce qui a déjà été dit à propos des tribunaux spécialisés, mais il ne sait plus forcément très bien comment saisir le tribunal judiciaire : par requête ou par assignation, avec ou sans ministère obligatoire d’avocat, l’écheveau n’est pas toujours aisé à démêler. De même, les parties ne sont pas libres de choisir le juge qui, à l’intérieur du tribunal judiciaire, est compétent, ce qui pourrait occasionner des ralentissements et des surprises.

Ce quinquennat a commencé avec les chantiers de la procédure civile, il s’achève sur les états généraux de la justice, et l’insatisfaction demeure, tout simplement parce que ce dont a besoin la justice, ce n’est pas forcément d’immenses réformes, mais de juges, de greffiers, de locaux et de matériels. Ceci étant dit, on ne forme pas ces agents en six semaines, et ce quinquennat semble tout de même avoir été celui d’une prise de conscience avec un effort budgétaire soutenu et une augmentation réellement significative des postes ouverts aux concours. Le commencement étant plus que la moitié du tout, on n’est donc pas obligé de désespérer totalement.

Propos recueillis par Laurent Dargent

Maxime Barba, David Gaschignard et Romain Laffly

Maxime Barba est agrégé des facultés de droit, professeur en droit privé à l’université Grenoble Alpes.

David Gaschignard est avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Romain Laffly est avocat associé, Lexavoué.