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Interview

Quinquennat Macron : quelle évolution du droit immobilier (urbanisme et construction) ?

Alors que le quinquennat de l’actuel président de la République française se termine, Dalloz actualité a souhaité retracer, à travers une série d’entretiens, les grandes évolutions juridiques à l’œuvre durant ces cinq dernières années sous l’effet conjugué de l’action des pouvoirs exécutif et parlementaire, voire des décisions de justice, et réfléchir aux évolutions à venir. Focus sur l’évolution du droit immobilier (urbanisme et construction).

le 14 mars 2022

A chaque élection, son lot de promesses… l’élection présidentielle de 2017 n’y coupa pas. Pour une grande part, les thématiques étaient néanmoins éculées au risque de ne pas pouvoir être réalisées, faute d’avoir pensé les nouveaux leviers financiers et juridiques adéquats. Construire davantage de logements, principalement au profit des ménages modestes et des jeunes, amplifier le renouvellement urbain, favoriser les mixités fonctionnelle et sociale, semblent des promesses obligées. L’antienne est connue, la concrétisation plus fragile. Les premiers mois d’un mandat, méfiant à l’égard de l’industrie immobilière, l’ont montré. Cependant, d’autres engagements plus nouveaux ont été pris : rénover le bâti pour des raisons énergétiques et environnementales, ne plus créer aucune nouvelle norme de construction, sur fond de simplification du droit et d’abaissement des coûts de construction. Reste que le quinquennat écoulé a été marqué par une crise sanitaire inédite, aux multiples répercussions. Assurément, elle a constitué un frein ; vraisemblablement elle a aussi catalysé, accéléré et sans doute révélé les tendances du quinquennat à venir. Analyse avec Jean-Francois Giacuzzo et Matthieu Poumarède, professeurs à l’université Toulouse Capitole.

 

La rédaction : Ce quinquennat a été marqué par la crise de la covid-19. Quels premiers enseignements peut-on en retirer ?

Jean-François Giacuzzo et Matthieu Poumarède : Cette crise sanitaire inédite a, d’une certaine manière, donné l’occasion d’éprouver l’unité du droit immobilier. En dépit de leurs différences notionnelles et logiques, les droits de l’urbanisme et de la construction font corps. Ils sont le droit de l’utilisation du sol à des fins de construction et d’aménagement. Alors que se suspendait le cours du temps juridique (Ord. n° 2020-306 du 25 mars 2020), il est rapidement apparu qu’il ne serait pas possible de relancer un pan important de l’économie si le moment premier – celui de l’autorisation d’utilisation du sol – restait trop longtemps figé dans la période juridiquement protégée, au risque de bloquer le moment second – celui de la construction (Ord. n° 2020-427 du 15 avr. 2020 et n° 2020-539 du 7 mai 2020).

Au-delà, la crise sanitaire a accentué la prise de conscience des enjeux du droit immobilier du XXIe siècle : le développement durable (la dégradation de l’environnement étant peut-être à l’origine de la crise sanitaire ; les crues de juillet 2021 en Allemagne ayant depuis donné sa teneur au spectre du dérèglement climatique vivifié par les excès de la construction) ; l’amélioration du cadre de vie (la vie « urbaine » n’apparaissant plus comme la panacée… surtout si elle est confinée) ; la construction de logements (neufs ou rénovés).

La rédaction : D’ores et déjà, le flot continu des réformes du droit immobilier pendant ce quinquennat (ELAN, Climat et résilience, 3DS, etc.) a tenté de répondre à ces enjeux. À quel obstacle se heurte-t-il ?

Jean-François Giacuzzo : La responsabilité politique est, sans doute, le premier obstacle. En raison de la conception française de la décentralisation, le droit de l’urbanisme reste déterminé par l’État. D’importants efforts ont été fournis pour en améliorer la lisibilité et rendre plus efficace l’action des collectivités territoriales. L’architecture du SCoT a été restructurée pour lui redonner son rôle de document stratégique à l’échelle du bassin d’emploi (Ord. n° 2020-744 du 17 juin 2020). La hiérarchie des normes d’urbanisme s’est aussi clarifiée. Elle s’articule très largement sur les rapports de conformité et de compatibilité, la « prise en compte » étant plus anecdotique (Ord. n° 2020-745 du 17 juin 2020). Si, à moyen terme, ces réformes devraient simplifier la tâche des pouvoirs locaux, il n’en demeure pas moins qu’ils doivent à court terme en suivre le rythme, modifier leurs documents ou en adopter de nouveaux, et sans cesse ajuster, voire redéfinir les projets politiques qu’ils portent. N’est pas encore advenu l’âge de la maturité du droit de l’urbanisme, c’est-à-dire celui de sa rationalisation et sa simplification, mais aussi de sa stabilité normative.

Matthieu Poumarède : Au surplus, les mutations auxquelles est confrontée l’industrie de la promotion immobilière nécessitent un déploiement sans précédent de financements auquel il n’est guère certain que les acteurs de la promotion, au premier chef les maîtres de l’ouvrage, soient en mesure de répondre. Il faut dire que le quinquennat n’a pas débuté, à ce titre, sous les meilleurs auspices. Symbolique, le maintien d’un impôt sur la fortune immobilière, alors qu’était supprimé l’ISF, ne pouvait laisser indifférente une industrie immobilière (et ses investisseurs), en attente d’une réforme de la fiscalité immobilière d’une tout autre nature. Tandis que par ailleurs, et surtout, le logement, dans le budget de l’État, était expressément désigné comme un (sur)coût dont le secteur HLM, en restructuration, et les accédants modestes feront rapidement les frais. Si une certaine logique comptable demeure, ainsi qu’en témoigne la révolution copernicienne d’ores et déjà annoncée des aides à la pierre, la politique immobilière s’est par la suite normalisée, jusque dans la loi 3DS du 21 février 2022, pérennisant, tout en l’assouplissant, le dispositif SRU.

La rédaction : Cette politique immobilière demeure confrontée à de multiples tensions : transition environnementale, crise sanitaire, etc. Sont-elles conciliables ?

Jean-François Giacuzzo et Matthieu Poumarède : Difficilement. Il en résulte, à l’évidence, que des injonctions convergentes, mais parfois aussi contradictoires ont été adressées tout au long du quinquennat aux acteurs publics et privés du droit immobilier : construire plus et moins artificialiser les sols ; construire moins cher tout en construisant mieux ; rénover massivement le parc existant sans abandonner le neuf. Le législateur n’échappe pas à ses propres contradictions. Appelant de ses vœux la simplification du droit immobilier, il cède à la tentation du flux constant des réformes textuelles. Censées contribuer à la clarification et la rationalisation de la matière, elles créent une instabilité qui décourage les acteurs du secteur.

La rédaction : D’aucuns prétendent que les textes qui ont marqué le « quinquennat immobilier » sont décevants. Qu’en est-il exactement ?

Jean-François Giacuzzo : Cette impression résulte du fait que les textes promulgués sont moins radicaux que ne le laissait supposer leur processus d’élaboration – la Conférence de consensus sur le logement préludant la loi ELAN ; la Convention citoyenne pour le climat précédant la loi Climat et résilience ; le Grand débat national annonçant l’adoption de la loi 3DS. Il n’en demeure pas moins qu’ils devraient durablement bouleverser les pratiques immobilières. Outre les « ordonnances covid-19 » et divers textes destinés à adapter l’activité immobilière à la contrainte sanitaire, se sont principalement succédé : le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme ; la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) ; l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis ; la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat ; l’ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020 relative à la réécriture des règles de construction et recodifiant le livre Ier du code de la construction et de l’habitation ; l’ordonnance n° 2020-744 du 17 juin 2020 relative à la modernisation des schémas de cohérence territoriale ; l’ordonnance n° 2020-745 du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicables aux documents d’urbanisme ; les arrêtés du 30 mars 2021 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de maîtrise d’œuvre et du 30 mars 2021 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux ; la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (Climat et résilience) ; la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS)…

Matthieu Poumarède : Cette appréhension est également due au fait que le « quinquennat immobilier » a été animé par un paradoxe : d’un côté, le droit immobilier doit être plus économe (en surfaces, en énergie, en matériaux et, faut-il le dire, en normes) ; l’abandon de certains grands projets au cours des cinq dernières années l’illustre (Notre-Dame des Landes, Europea city, etc.) ; de l’autre, le droit immobilier demeure au service de la croissance et de davantage de constructions de logements, mais aussi de grandes infrastructures décidées ou réalisées au cours de ce mandat (Grand Paris express, LGV GPSO, etc.).

La rédaction : Alors que le quinquennat s’achève, peut-on en dresser le bilan en matière d’urbanisme et de promotion immobilière ?

Jean-François Giacuzzo : On peut assurément tenter de dresser ce bilan, même s’il se heurte à des difficultés méthodologiques. La première est que les nouvelles règles, dont la mise en œuvre a été entravée par la crise de la covid-19, n’ont pas toutes eu le temps de produire un commencement d’effet sur les autorités d’urbanisme et les opérateurs de la promotion. Les tempi ne correspondent pas : l’andante immobilier est plus lent que l’allegretto des mandatures politiques. Néanmoins, afin de ne pas esquiver l’exercice du bilan, une méthodologie hybride peut être proposée. Dans la mesure du possible, elle s’appuie sur l’examen de données. En outre, elle se fonde sur une double analyse des textes : d’un côté, leur contrôle « abstrait » qui en cherche la cohérence ; de l’autre, leur contrôle plus « concret » au vu de leurs effets probables sur les politiques publiques et les opérations de construction. Le bilan devrait ainsi permettre de mettre en exergue les réussites et les contradictions, sinon des échecs du « quinquennat immobilier », mais aussi les défis du droit immobilier de demain.

La rédaction : Économe, résilient, durable, etc., le droit immobilier du XXIe siècle doit répondre à un singulier défi : sans bloquer le développement économique et social, il doit préserver les ressources naturelles et diminuer drastiquement ses émissions. Quelles voies ont-elles été empruntées au cours de ces cinq dernières années ?

Jean-François Giacuzzo et Matthieu Poumarède : Au cours du quinquennat, la solution a emprunté deux voies principales, ouvertes lors des décennies précédentes, la densification urbaine et la régénération urbaine. À l’instar de la mise en place d’une nouvelle filière à responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment par la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, elles empruntent l’une et l’autre à une économie circulaire.

La rédaction : Sur fond d’économie circulaire, la densification urbaine s’accélère donc au cours de ce quinquennat ?

Jean-François Giacuzzo : Disons plutôt que l’arsenal législatif s’est renforcé. Même si les résultats s’améliorent, l’artificialisation des espaces naturels, agricoles et forestiers (NAF) est restée à un niveau élevé (entre 20 000 et 23 000 ha/an) durant le quinquennat, principalement au bénéfice de l’habitat. Pourtant, depuis 1983, le droit de l’urbanisme intègre des préoccupations environnementales. Il est en quelque sorte un instrument du développement durable. Le législateur a progressivement déplacé le curseur vers le paramètre « durable ». La préservation des sols et des écosystèmes s’est affirmée avec les lois SRU du 13 décembre 2000, Grenelle II du 12 juillet 2010 et ALUR du 24 mars 2014.

Le « quinquennat immobilier » approfondit le sillon de la non-consommation des espaces : la loi ELAN affine le principe de la lutte contre l’étalement urbain, assouplit la vénérable loi Littoral pour permettre la construction dans les « dents creuses » (C. urb., art. L. 121-8), cependant que la loi Climat et résilience fixe l’objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN). La portée pratique de cette dernière mesure devrait être considérable. En effet, l’objectif est de diviser par deux le rythme de l’artificialisation d’ici 2030 afin d’atteindre le but de l’absence de toute artificialisation en 2050. Les collectivités territoriales sont particulièrement mobilisées et la portée politique des documents d’urbanisme s’en trouve démultipliée. Via leur SRADDET, les régions doivent fixer par tranches de dix ans la trajectoire de la non-artificialisation, en la déclinant entre les différents secteurs géographiques (notamment en tenant compte des besoins en logement et en matière de développement économique). Cette trajectoire doit ensuite être précisée par les SCoT et les PLU. Les débats seront nombreux puisqu’ils sont censés définir de manière précise et chiffrée le périmètre définitif de la ville de demain, et plus largement les capacités d’extension désormais comptées des différents secteurs géographiques. Le sujet est sensible. Par exemple, le PLUIH de la métropole de Toulouse a été annulé en raison d’une mauvaise évaluation de la consommation des espaces naturels et agricoles. Aussi, la loi 3DS prévoit qu’à la demande de la commune ou de l’EPCI compétent en matière de PLU, le représentant de l’État prendra formellement position sur la sincérité de l’analyse de la consommation d’espaces NAF, ainsi que sur la cohérence des objectifs chiffrés de modération de la consommation de l’espace et de lutte contre l’étalement urbain (C. urb., art. L. 153-16-1).

Pour sa part, l’aménagement commercial ne peut en principe plus engendrer d’artificialisation du sol depuis la loi Climat et résilience. Certes, une exception décriée est prévue pour les projets de moins de 10 000 m². Néanmoins, la tendance est indéniablement au recentrage de la ville.

Matthieu Poumarède : Le développement urbain peut difficilement s’envisager sans la densification ; il convient de rechercher « l’optimisation de l’utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser » (C. urb., art. L. 300-1, rédac. loi Climat et résilience). La plus grande attention est portée au recyclage des friches et du foncier déjà artificialisé, désormais aux jonctions des législations (urbanisme et ICPE) et doté d’un fonds de 650 millions d’euros dans le cadre du plan de relance. La surélévation des immeubles – défi juridique et financier difficile à surmonter – est sans cesse facilitée jusque dans la réforme de la copropriété initiée par l’ordonnance n° 19-1101 du 30 octobre 2019 – tandis que la dynamique instaurée par la loi ELAN visant à transformer des bureaux en logement, « serpent de mer des politiques de logement », demeure pour l’heure quasi anecdotique (1 % des logements neufs selon la FPI) alors même que le contexte, par le développement du télétravail, semble y être favorable, et que les techniques de conception (architecture « générique ») et de construction des ouvrages favorisent par ailleurs les bâtiments mutables et tous usages.

La rédaction : La densification appelle donc la régénération urbaine ?

Matthieu Poumarède : Ces deux mouvements, expression d’un immobilier circulaire, participent en effet du renouvellement urbain.

La régénération urbaine s’est d’abord traduite au cours du quinquennat par une volonté forte, confortée, semble-t-il, par les conséquences de la crise de la covid-19, de redynamiser les territoires. Initié en mars 2018, le programme Cœur de ville ambitionne ainsi de revitaliser 222 territoires concernant 234 villes moyennes hexagonales et ultramarines, tandis que le programme Petites villes de demain s’adresse depuis le 1er octobre 2020 aux villes de moins de 20 000 habitants. Pour ce faire, entre autres, la loi ELAN a institué les opérations de revitalisation des territoires (ORT). Ces conventions conclues entre les collectivités et l’État visent à faciliter la rénovation du parc de logements, renforcer l’attractivité commerciale en centre-ville, faciliter le déroulement des projets d’urbanisme opérationnel et mieux maîtriser le foncier. Avec 278 conventions signées au 31 octobre 2021, particulièrement dans le cadre des deux programmes précités, le succès est au rendez-vous. C’est donc logiquement que la loi 3DS du 21 février 2022 en a étendu le champ d’application.

Au-delà, et plus généralement, la rénovation du parc existant, notamment de logements, constitue depuis quelques années, à n’en pas douter, un défi majeur que l’industrie de la promotion immobilière est appelée à relever par les pouvoirs publics. Ce mouvement n’est pas le fait de ce quinquennat : il est d’abord la suite logique du renforcement continuel de la performance environnementale des bâtiments neufs marquée par le franchissement d’une nouvelle étape avec l’entrée en vigueur de la RE2020 au 1er janvier 2022. Mais ces cinq dernières années ont connu une accélération sans précédent, catalysée tant par la prise de conscience des changements climatiques à l’œuvre, que par la crise de la covid-19 et le plan de relance qui s’en est suivi. Sans doute, pour l’heure, les « recettes » sont les mêmes ; faciliter la rénovation environnementale du bâtiment passe toujours par un accompagnement financier et fiscal incitatif : le dispositif, à succès, MaPrimeRénov’ en place depuis le 1er janvier 2020 et étendu au 1er octobre 2020 rejoint les différents leviers existants, y compris juridiques, depuis plus de dix ans. Mais, surtout, ce quinquennat a été l’occasion de faire concrétiser, à petits pas feutrés, l’idée que la rénovation environnementale des immeubles est une charge nécessaire de leur détention. Les jalons de la lutte contre les passoires thermiques passent désormais par de réelles contraintes. Attendu depuis dix ans, le « décret tertiaire » du 23 juillet 2019 inaugure de véritables obligations de rénovation énergétique, tandis que les lois Énergie et climat du 8 novembre 2019 puis Climat et résilience du 21 juillet 2021 créent un arsenal visant à contraindre les propriétaires de passoires thermiques, posant jusqu’à des interdictions de louer.

Si la rénovation massive du parc existant est désormais le nouveau « mantra » des pouvoirs publics, beaucoup reste à faire. D’une part, cela heurte de plein fouet le modèle sur lequel l’industrie de l’immobilier est bâtie depuis près d’un demi-siècle : l’on ne construit plus pour des siècles, en même temps que l’on n’habite plus pour des générations. D’autre part, tout à fait paradoxalement, le propriétaire est alors contraint de rénover, non pour lui et les siens, mais pour autrui, alors même qu’il n’y a guère d’intérêt économique à réaliser cet investissement : c’est au moment où il vend ou au moment où il loue, que commencent à se cristalliser des injonctions environnementales. Dans un secteur, le bâtiment, qui compte plusieurs millions de (petits) propriétaires individuels, l’on comprend alors la complexité de la tâche à laquelle les pouvoirs publics entendent s’atteler.

Assurément, cela conduit à ne pas réduire, parallèlement, l’effort de construction, ainsi que les promoteurs en sommaient les pouvoirs publics au mois de septembre 2020. Il doit demeurer soutenu afin de permettre le renouvellement du parc existant.

La rédaction : Le quinquennat est sans doute l’un de ceux durant lesquels il a été le moins construit. Si la crise de la covid-19 en est une cause conjoncturelle, la tendance semble être davantage structurelle. Quelles réponses ont été apportées pour tenter d’inverser cette tendance, afin de retrouver un immobilier de croissance ?

Jean-François Giacuzzo : Il faut d’abord aller plus vite ! Pour ce faire, le droit de l’urbanisme propose une parade en sécurisant les autorisations d’utilisation du sol. Est-ce la fin du contentieux de l’urbanisme ? En tous les cas, dans la continuité du mouvement initié par le rapport Construction et droit au recours de mai 2013, le « quinquennat immobilier » a singulièrement renforcé la position des titulaires d’autorisations d’urbanisme, au détriment des tiers. Le décret du 17 juillet 2018 contraint les requérants : il prévoit la cristallisation des moyens (C. urb., art. R. 600-5), accélère le rythme des procès (dix mois) lorsque sont en cause des autorisations de construire des logements (C. urb., art. R. 600-6), restreint l’intérêt à agir des voisins et des associations (C. urb., art. R. 600-4). Les actions visant à obtenir l’annulation d’une autorisation d’urbanisme ne sont plus possibles au-delà du délai de six mois (et non plus un an) à compter de l’achèvement de la construction ou de l’aménagement (C. urb., art. R. 600-3). La loi ELAN exige que les associations soient constituées au moins un an avant le dépôt de la demande de permis (C. urb., art. L. 600-1-1), et facilite l’action en dommages et intérêts contre les recours abusifs (C. urb., art. L. 600-7).

Ces dispositions sont complétées par le renforcement des pouvoirs du juge de l’urbanisme. Il devient une sorte d’« arbitre à l’anglaise », moins enclin à annuler définitivement qu’à laisser (sur)vivre les autorisations. Avec la loi ELAN, il a l’obligation de prononcer l’annulation partielle du permis si l’illégalité n’affecte qu’une partie du projet et il invite le titulaire à demander la régularisation (C. urb., art. L. 600-5). Il doit surseoir à statuer si un vice est régularisable et inviter le titulaire à obtenir la régularisation, y compris après l’achèvement des travaux (C. urb., art. L. 600-5-1). D’une certaine manière, la loi ELAN supprime aussi le double degré de recours en prévoyant qu’en cas de permis modificatif, de décision modificative ou de mesure de régularisation intervenue en cours d’instance (donc, potentiellement en appel), cette mesure ne peut être que contestée dans l’instance en cours.

Toutefois, moins qu’une disparition, le contentieux de l’urbanisme pourrait subir un « effet ciseaux ». D’un côté, le voisin d’un projet obtient de plus en plus difficilement l’annulation d’un permis. De l’autre, le contentieux des documents d’urbanisme gagne en intensité. Les annulations de PLU se multiplient. La tendance devrait s’accentuer puisque l’article 97 de la loi 3DS incite les documents d’urbanisme à intégrer les dispositions du code de commerce au regard desquelles sont appréciées les autorisations d’exploitation commerciales adossées aux permis de construire. Or, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, les contentieux pourraient se multiplier. Il n’est donc pas surprenant que la loi ELAN protège les autorisations d’urbanisme, en codifiant des solutions jurisprudentielles : l’annulation ou la déclaration d’illégalité d’un document d’urbanisme est en elle-même sans effet sur l’autorisation délivrée antérieurement si l’illégalité est étrangère aux règles d’urbanisme applicables au projet (C. urb., art. L. 600-12-1).

L’annulation partielle et la régularisation sous les bons auspices du juge administratif permettent au projet de muter, survivre et à terme, se réaliser. En plaçant la régularisation, c’est-à-dire le dialogue entre le pétitionnaire et l’administration, au cœur du procès de l’autorisation d’urbanisme, le législateur rend quasi non annulables les projets qui ont déjà été négociés en amont de la délivrance de l’autorisation. À trop se méfier du voisin, le contentieux de l’urbanisme le transforme en collaborateur bénévole du service de la légalité de l’autorisation d’urbanisme ! Pour leur part, les autorités décentralisées se voient largement substituer le pouvoir d’appréciation du juge administratif en tant qu’il devient un acteur essentiel de la régularisation.

Derrière le constat, la question principale reste posée : l’évolution du contentieux de l’urbanisme permet-elle l’augmentation du nombre des constructions ? D’un côté, ce contentieux mute. Il était en constante augmentation jusque dans les années 2010, notamment en raison des recours abusifs. Or le Conseil d’État souligne, dans son Rapport public de 2021, que devant les tribunaux administratifs, il reste majoritaire en 2020 (68 %), mais diminue de 7 % alors que le contentieux des PLU augmente de 60 %. Signe que les requérants sont possiblement découragés par les régularisations, devant les cours administratives, le contentieux de l’urbanisme et de l’environnement, diminue de 14 %. Enfin, il constitue toujours une part importante de l’activité du Conseil d’État (15,9 %), même s’il a jugé une cinquantaine d’affaires en moins qu’en 2019. De l’autre côté, il est difficile de jauger les effets de cette refondation sur la construction elle-même. Certes, la crise de la covid-19 fausse peut-être les résultats décevants de la loi ELAN, notamment sur les constructions de logements. Néanmoins, il convient sûrement d’actionner d’autres leviers que celui du découragement définitif des requérants.

Matthieu Poumarède : Il est apparu nécessaire dès le début du quinquennat de relancer la construction ! S’il est une constante depuis de longues années, c’est bien, celle des hausses des prix de l’immobilier. Les causes sont identifiées ; parmi elles : hausse continuelle du coût du foncier que les contraintes précédemment étudiées ne feront que renforcer à l’avenir, augmentation du prix des matériaux, intimement lié à celui de l’énergie, poids croissant de la réglementation environnementale, mais aussi incapacité structurelle d’atteindre les objectifs de mise en chantier de logements afin de répondre à la demande.

Loin du choc de l’offre annoncé en début de mandat, ce quinquennat aura en effet été celui de la baisse de la production de logements, y compris en secteur libre, et ce depuis 2019… sans que la crise de la covid-19 ou même les élections municipales en soient les seules causes. Diverses pistes sont désormais envisagées pour renverser la tendance.

S’attaquer au coût du foncier en est une, particulièrement dans les zones tendues. Explorés au cours du quinquennat, les mécanismes de dissociation du foncier et du bâti, paraissent désormais la « panacée » ; c’est finalement le couple office foncier solidaire/bail réel solidaire qui sera renforcé en même temps que le champ du bail réel solidaire sera élargi afin de favoriser l’accession à la propriété par la loi 3DS du 21 février 2022.

Autre voie : la libéralisation des techniques de construction. Annoncée le 20 septembre 2017, à l’aube du quinquennat, la réécriture du livre 1er du code de la construction et de l’habitation est une réalité depuis le 1er juillet 2021. L’objectif est de faciliter la réalisation de projets de construction que l’on souhaite plus rapides et moins coûteux, tout en favorisant l’innovation. Comment ? En insérant dans notre corpus législatif ce qui a été dénommé le « permis d’expérimenter » qui, peu ou prou, conduit à faire de chaque maître d’ouvrage son propre législateur, en doublant une logique de moyens par une logique de résultat. L’ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020 détermine ainsi les conditions dans lesquelles le maître d’ouvrage peut déroger à la réglementation sous réserve de mettre en œuvre une « solution d’effet équivalent » (CCH, art. L. 112-16). Si ce basculement est sans doute bien moins anodin qu’il pourrait paraître au premier abord, il ne semble toutefois pas avoir encore porté ses fruits. Il est vrai que les crises se succédant conduisent pour l’heure les maîtres d’ouvrage sur d’autres terrains (coûts des matériaux, délais d’exécution, etc.).

Enfin se dessine une dernière piste : mettre un terme au modèle français d’aide à la pierre… dont le rapport coût/bénéfice est sur la sellette depuis plus de dix années. Les dispositifs « Pinel », « Pinel breton », et demain « Super Pinel », pourraient, en effet, être le chant du cygne d’une politique de soutien à la demande de logement, appelée à être revue de fond en comble. Le big bang est d’ailleurs déjà annoncé : il passera par une montée en charge des investisseurs institutionnels, plus efficiente et plus économique (d’un coût inférieur de 35 % par logement). Cette transition inédite après quarante ans d’aide à la pierre destinée aux candidats à l’achat, devra assurément être accompagnée de mesures rassurant l’industrie de la promotion immobilière.

Rédaction : Pour conclure, quelles sont les perspectives du prochain quinquennat immobilier ?

Jean-François Giacuzzo et Matthieu Poumarède : Le « quinquennat immobilier » avait (mal) débuté par la « lorgnette » des (sur)coûts d’un modèle, alors, jugé peu efficace. Depuis lors, la crise conjoncturelle de la covid-19, par l’accentuation des déficiences structurelles, a contribué à convaincre les pouvoirs publics de l’importance environnementale, économique et sociale d’un secteur immobilier en profonde mutation. Dans le même temps, elle a aussi laissé apparaître de nouveaux enjeux. Parmi eux, la qualité. Qualité des documents d’urbanisme et des projets ; qualité du bâti et, plus avant, qualité de vie constitueront sans doute, avec l’accès au logement pour tous, l’un des défis politiques à relever par le « quinquennat immobilier » à venir.

Jean-François Giacuzzo et Matthieu Poumarède

Jean-Francois Giacuzzo est professeur de droit public à l'université Toulouse Capitole, IEJUC

Matthieu Poumarède est professeur de droit privé à l'université Toulouse Capitole, IEJUC.