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Interview

Réforme constitutionnelle : elle peut « constituer un changement de notre droit fondamental »

Selon Christian Huglo, associé fondateur du cabinet Huglo-Lepage – spécialiste en droit de l’environnement et en droit public –, l’inscription de la préservation de l’environnement, de la biodiversité et de la lutte contre le changement climatique à l’article premier de la Constitution française n’aura de sens que si sa rédaction maintient une obligation de résultat pour l’État. Il revient sur l’importance de la sémantique en droit constitutionnel.

le 16 février 2021

Le projet de réforme constitutionnelle, qui a été déposé à l’Assemblée nationale fin janvier, prévoit de faire figurer à l’article premier de la Constitution la mention selon laquelle la République française « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Le Conseil d’État a rendu public son avis sur le projet gouvernemental. « Compte tenu des effets potentiellement puissants et largement indéterminés résultant de l’emploi du terme “garantit” […], le Conseil d’État suggère de lui préférer le terme “préserve”. Ce terme permet à la fois de répondre à la volonté du gouvernement de renforcer l’exigence environnementale et de tenir compte de l’évolution récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, tout en assurant une cohérence avec la Charte de l’environnement qui emploie ce même terme en plusieurs de ses articles », estiment les magistrats de la plus haute juridiction administrative. Un avis qui pourrait inspirer des amendements parlementaires déposés au cours du débat législatif.

 

La rédaction : Que pensez-vous de la réforme ? Est-elle cosmétique ?

Christian Huglo : Sur le terrain juridique, il faut se demander si elle pourrait ajouter quelque chose et ne pas faire double emploi avec la Charte de l’environnement. La rédaction du texte du projet de loi constitutionnelle est très précise : elle emploie le terme « garantir ». La question s’est déjà posée en 2018 car une première révision constitutionnelle avait été proposée. Mais elle est rénovée car elle est aujourd’hui présentée comme l’application de la Convention citoyenne pour le climat. Dans le verbe garantir, il y a une obligation de résultat.

Mais ce mot sera-t-il conservé au gré du débat législatif ? S’il disparaît, la réforme n’aura plus aucun sens. Le Conseil constitutionnel a déjà eu à se prononcer sur la question du contenu d’un certain nombre de principes de l’article 1. Il évoque l’égalité homme-femme par exemple. Si, comme le souhaite le Conseil d’État, dans son avis du 21 janvier 2021, les parlementaires remplacent le mot « garantir » par « favoriser », qu’est-ce que cela provoquera ? Le Conseil constitutionnel a déjà indiqué, en 2015, que le mot « favorise », lorsqu’il est employé dans la Constitution, n’a aucun sens juridique. Ce n’est pas « de nature à constituer un droit ou une liberté susceptible d’être appréhendés dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité », estiment les Sages. L’avis du Conseil d’État est donc totalement opposé à la réforme.

La rédaction : Et sur la question d’un éventuel double emploi avec la Charte de l’environnement ?

Christian Huglo : Ses travaux préparatoires montrent qu’elle a été fondée sur l’idée de la protection climatique. Cela ressort aussi des considérants et du préambule. Or, jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel, sauf dans une décision du 31 janvier 2020 (décis. n° 2019-823 QPC), avait refusé d’appliquer les dispositions du préambule de la Charte.

Mais, depuis, d’autres décisions vont dans un sens contraire : on pense aux décisions des Sages rendues en décembre 2020 sur les néonicotinoïdes et la loi ASAP. Dans ces deux dernières décisions, l’appréciation du Conseil constitutionnel est très en retrait sur la question des principes. Les Sages autorisent les néonicotinoïdes dont on connaît parfaitement les effets… Dans ce cas particulier, on permet à une activité d’aller dans un sens contraire à celui qui avait été interdit par la décision du 31 janvier 2020. Il n’est donc pas possible de dégager avec certitude une continuité dans le raisonnement du Conseil constitutionnel quant à la Charte de l’environnement. Dans ces conditions, je pense que l’introduction du mot « garantir » à l’article 1 de la Constitution me semble pouvoir constituer un changement de notre droit fondamental.

La question sous-jacente est aussi de savoir si ce droit de l’environnement et climatique deviendra plus effectif. On s’aperçoit que, d’un côté, il y a une affirmation de principes mais que, de l’autre côté, dans la réalisation, il n’y a pas grand-chose. La preuve avec la décision du Conseil d’État sur l’affaire Grande-Synthe du 19 novembre 2019 que nous avons obtenue avec Corinne Lepage [avec cette décision, il est demandé au gouvernement d’ici fin février de justifier son choix de ne pas prendre de mesures complémentaires sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour respecter les objectifs pris par la France dans le cadre des accords de Paris].

La rédaction : Le fait que cela soit la République française qui devra garantir ces différents sujets environnementaux vide-t-il de son sens la réforme ?

Christian Huglo : Le texte de l’article premier de la Constitution évoque plus précisément la « France », qui est « une république indivisible ». Or la France, c’est l’État. La République n’est qu’une forme de gouvernement. De mon point de vue, l’État sera donc bel et bien engagé par cette réforme.

 

Propos recueillis par Sophie Bridier

Christian Huglo

Christian Huglo est avocat au barreau de Paris, spécialiste en droit de l’environnement et en droit public. Il intervient dans les procédures contentieuses, notamment dans les affaires internationales de pollution, d’environnement et d’expertise juridique, ainsi que dans la stratégie d’entreprise dans le domaine de l’environnement.