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Interview

Retraite des avocats : « l’amendement a pour résultat de soumettre tous les avocats à une cotisation supplémentaire »

Christophe Pettiti, premier vice-président de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF), revient sur l’amendement du gouvernement, voté mercredi 26 février, qui prévoit d’instaurer le financement de la hausse des cotisations retraite des avocats par la base des droits de plaidoiries et de la contribution équivalente. Mais pas seulement.

le 27 février 2020

La rédaction : Un amendement du gouvernement a été déposé vendredi 21 février. L’amendement propose de mettre en place un dispositif de solidarité pour les avocats dont le revenu est inférieur à 3 PASS (1 PASS = 41 136 € pour 2020) : afin de compenser la hausse des cotisations, pourquoi ne pas utiliser le produit des droits de plaidoiries, celui de la contribution équivalente et les produits des réserves de la CNBF ?. Est-ce ainsi qu’il faut poser la question, d’ailleurs ?

Christophe Pettiti : L’amendement déposé est très complexe et il ne peut se comprendre que dans une vision globale du régime universel. Or il a été écrit sans concertation avec la profession. En outre, le projet de loi n’est pas suffisamment précis pour comprendre et vérifier la pertinence des mesures proposées. C’est donc en tenant compte de ces préliminaires que l’on peut tenter de répondre à vos questions.

La rédaction : Sur les réserves ?

Christophe Pettiti : Cet amendement ne traite pas directement des réserves. Il est complémentaire à l’article 21 du projet de loi qui offre la possibilité d’utiliser les réserves sur la période de convergence (15 ans) pour compenser la hausse des cotisations (disposition qui n’est pas spécifique aux avocats). Toutefois, nous verrons que les réserves de la CNBF risquent d’être rapidement épuisées par la nécessité de verser les pensions aux avocats non soumis au régime universel. L’amendement ne traite que des droits de plaidoiries et de la contribution équivalente.

La rédaction : La hausse des cotisations à compenser : combien cela représente-t-il ?

Christophe Pettiti : Il est très difficile d’estimer en euros le montant des augmentations de cotisations pour la profession car, dans le régime universel, les taux et les assiettes des cotisations sont modifiés. Si l’on raisonne globalement et de manière simplifiée, en tenant compte de l’application de l’abattement de 30 % sur le super brut et en retenant le chiffre du gouvernement d’une hausse d’environ 6 % de cotisations non compensées par l’abattement (on rappelle que c’est 6 points de plus), cela équivaut à 40 % de hausse de cotisations CNBF, soit 280 millions d’euros de cotisations retraite par an pour la profession. En tenant compte des changements d’assiette de cotisations, on pourrait évaluer l’enjeu à 190 millions d’euros par an, ce qui est énorme. Cette hausse est sur une période indéterminée, à compter de 2029. Il s’agit d’une estimation qui supposerait évidemment une étude complexe à mettre en place pour déterminer les enjeux réels, car on ne connaît pas le fonctionnement de la période de transition.

La rédaction : Sur quelles estimations de hausses de cotisation le gouvernement se base-t-il ? Vous avez pris connaissance du courrier adressé par le cabinet de la garde des Sceaux aux chefs de cour sur l’argumentaire des 30 %. Qu’en dites-vous ?

Christophe Pettiti : Le gouvernement estime la hausse, en moyenne, à 5,4 %, en tenant compte de la hausse des cotisations prévue par le régime complémentaire de la CNBF et en tenant compte d’un abattement de 30 % pour l’ensemble des cotisations sociales. Ce sera probablement plus important, notamment pour les plus jeunes. Je partage l’avis du gouvernement sur la constitutionnalité de l’abattement. Cependant, ce que fait la loi, la loi peut le défaire, et donc la sanctuarisation de l’abattement est essentielle. Il faut donc trouver un mécanisme qui lie l’abattement au nouveau taux de cotisation. Sur les estimations, je crois qu’il faut arrêter la guerre des chiffres. Jusqu’à ce jour, le gouvernement n’a pas communiqué ses outils et paramètres, et la profession travaille avec ses propres données. Au regard des enjeux pour toutes les parties, il est manifeste que l’on ne peut s’entendre raisonnablement. Cela pose nécessairement une problématique de méthode dans la construction de la loi et d’un tel projet. Il faut dire que, dès le début, le haut commissaire, monsieur Delevoye, a écarté les Caisses de retraite, sachant parfaitement que le débat technique n’était pas à son avantage. On peut regretter que les caisses n’aient pu revenir dans le débat.

La rédaction : Que prévoit l’amendement ?

Christophe Pettiti : Les droits de plaidoirie et la contribution équivalente pourront être utilisés par la Caisse pour financer les hausses de cotisations du régime universel à destination des avocats restant affiliés aux régimes de base et régime complémentaire CNBF (générations avant 1975) et au bénéfice des avocats relevant du régime universel (générations 1975 et suivantes) pour les avocats indépendants et salariés (avec peut-être un oubli partiel pour les avocats salariés nés avant 1975). C’est une bonne idée, mais faut-il encore que cela n’entraîne pas une cotisation supplémentaire. Or l’amendement a pour résultat de soumettre tous les avocats à une cotisation supplémentaire de l’ordre de 2,6 % pour la contribution équivalente qui aurait dû disparaître avec le régime universel. Ce n’est donc pas seulement les droits de plaidoiries qui vont financer cette hausse de 6 points.

À ce jour, les droits de plaidoirie représentent environ 8 millions d’euros, et la contribution équivalente 79 millions. Cela ne compensera pas la totalité des hausses.

Demain, dans le régime universel, tous les avocats seront soumis au nouveau taux de cotisations de 28,12 %, comme tous les cotisants du régime universel, mais les avocats, eux, auront une cotisation de plus de + 2,6 % pour financer la hausse des cotisations des plus faibles. Le gouvernement supprime notre mécanisme de solidarité, augmente nos cotisations à 28,12 %, et pour rétablir la solidarité vers les avocats les plus faibles, il instaure une nouvelle cotisation. Une partie de la profession verra donc la hausse de ses cotisations réduite et une autre cumulera les augmentations. Cet amendement est donc une plaisanterie.

Si la lettre d’accompagnement de madame Belloubet indique que cette cotisation pourrait être mise en place pour financer la hausse des cotisations des avocats dont le revenu est inférieur à 80 000 €, l’amendement ne prévoit pas cette restriction et au contraire c’est le conseil d’administration de la CNBF qui fixera la part des cotisations prise en charge dans la limite de trois plafonds.

La rédaction : Pour certains avocats, ce dispositif revient à « nationaliser » les réserves des avocats. Est-ce la réalité ?

Christophe Pettiti : C’est principalement le mode de fonctionnement du régime universel pour les générations nées avant 1975 qui va réduire les réserves des régimes de la CNBF. La Caisse va voir ses recettes diminuer pour financer les prestations du régime de base et complémentaire des avocats des générations nées avant 1975, déjà à la retraite ou futurs retraités. Les régimes fonctionnent en répartition ; or, à compter de 2025, il n’y aura plus de nouveaux entrants dans ces régimes gérés par la CNBF. Le régime de base sera donc plus rapidement déficitaire. Il devra donc utiliser plus rapidement ses réserves. Le régime de base n’aura plus de réserves en 2030 et il sera en déficit technique dès 2026 (à comparer avec aujourd’hui un épuisement des réserves en 2062). Or, si le projet de loi prévoit pour les régimes complémentaires de retraite une dotation du régime universel destinée à les équilibrer, le projet de loi ne le prévoit pas. Il faudra donc très vite utiliser les réserves et il y aura donc un épuisement des réserves du fait du régime universel. Le projet de loi devrait faire l’objet d’une modification de l’article 58 pour rassurer la profession.

Le gouvernement prétend que la profession conservera les réserves, et en fera ce qu’elle veut. Cela est inexact, dans le mécanisme du régime universel ces réserves serviront à verser les prestations de retraite aux affiliés nés avant 1975. Ces réserves seront donc vite épuisées, et elles ne sont donc pas un cadeau fait à la profession. Le gouvernement prétend le contraire, qu’il l’écrive dans le projet de loi par amendement.

La rédaction : Cet amendement a-t-il un intérêt dans la globalité de la négociation ? Qu’est-ce qui est prioritaire et urgent aujourd’hui, alors que le texte est à l’examen à l’Assemblée, que le spectre du 49-3 plane et que la réunion de jeudi entre la Chancellerie et les instances de la profession concerne des thèmes « hors retraites » ?

Christophe Pettiti : À supposer que la profession accepte de négocier une potentielle entrée dans le régime universel, il y a lieu d’observer que cet amendement ne concerne que les cotisations, et il n’est pas acceptable dans le financement mis en place. Il reste bien d’autres questions, dont notamment la problématique des prestations et l’indépendance et les pouvoirs de la CNBF dans la gestion de la retraite des avocats. L’amendement est donc insuffisant et il démontre qu’il est nécessaire de déplacer le débat du politique vers la technique. Les déclarations du gouvernement doivent trouver une confirmation dans la loi. Et, en outre, on ne peut pas débattre de ces seules propositions limitées. Il n’est pas possible de travailler sérieusement sans mettre sur la table l’ensemble des questions. Sans abandonner leur principal objectif, à savoir la conservation de ses régimes autonomes, les instances de la profession pourraient, s’il y avait une volonté du gouvernement de faire de réelles propositions, examiner des solutions alternatives qui trouveraient place dans le régime universel pour conserver aux avocats leurs spécificités et notamment la garante du bénéfice de la prestation de base, et ne pas leur faire supporter des hausses de cotisations compromettant la survie des cabinets (comme c’est le cas, à titre d’exemple, pour les marins).

Dans l’hypothèse où le gouvernement utiliserait l’article 49-3, c’est le texte initial du projet de loi qui serait adopté par l’Assemblée nationale, et tous les amendements disparaîtraient. Lorsque le texte passera au Sénat, il pourra cependant être modifié à l’initiative du gouvernement et les ordonnances pourraient combler dans une certaine mesure ce qui n’a pas été adopté.

La rédaction : La Chancellerie affirme que la profession dit « non » à tout, sans jamais faire de propositions en retour. Est-ce exact ?

Christophe Pettiti : Je ne participe pas aux réunions et je ne pourrais vous le dire. Toutefois, ce qui est certain, c’est que la profession défend légitimement son régime autonome et l’autonomie de sa caisse de retraite. Il constitue un modèle qui répond à l’ensemble des objectifs poursuivis par la réforme, à l’exception d’un seul qui est son intégration dans un régime universel. Pour tenter de convaincre la profession, le gouvernement ne propose dans les textes que quelques rares concessions imprécises et sans réelles garanties, alors que son discours de communicant laisse entendre que toutes les garanties auraient été données à la profession. Quittons la communication et essayons de rétablir sereinement des bases permettant de satisfaire l’ensemble des parties, les avocats sont légitimes dans leurs revendications au regard du rôle qu’ils jouent dans la société. Trouvons des solutions, c’est possible.

 

Propos recueillis par Marine Babonneau

Christophe Pettiti

Christophe Pettiti est avocat au barreau de Paris et premier vice-président de la Caisse nationale des barreaux français.