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Interview

« Le TIG souffre de problèmes plus globaux de manque de moyens de la justice »

Le travail d’intérêt général (TIG) est une peine soutenue dans les discours politiques, qui existe depuis 1983, mais qui stagne depuis quinze ans (entre 25 000 et 30 000 mesures prononcées par an). Depuis 2017, le gouvernement a émis le souhait de développer cette peine : la loi a été assouplie et une agence du TIG a été créée. Une innovation qui inquiète sur le terrain. Interview de Christian Mouhanna, chargé de recherches au CNRS.

le 14 février 2020

Le travail d’intérêt général (TIG) consiste en une obligation de travail gratuit dans une association, une collectivité ou entreprise de l’économie sociale et solidaire, et peut être prononcée comme peine ou comme aménagement.

La rédaction : Le TIG semble être unanimement défendu par le personnel politique mais pour autant le nombre de mesures prononcées stagne depuis plusieurs années. Comment expliquer ce paradoxe et qu’est-ce qui bloque ?

Christian Mouhanna : Le TIG suscite des réactions très positives auprès des magistrats du parquet comme du siège. L’unanimité rencontrée au Parlement se retrouve donc dans les tribunaux. Mais la vision du TIG sur le terrain est éloignée de celle des parlementaires.

Le problème est d’évaluer le succès ou l’échec d’une mesure à travers uniquement des chiffres. Peut-on faire mieux que 25 000 ou 30 000 TIG au vu de l’état de notre système judiciaire ? La chaîne judiciaire est dans son entier un goulot d’étranglement, qui peine à adapter ses réponses aux situations individuelles des condamnés. Or, le TIG est une mesure qui nécessite de trouver le bon poste pour la bonne personne, ce qui implique un volume de dossiers maîtrisé et un traitement à une échelle humaine. Les juges échangent avec la personne condamnée afin de savoir si elle est apte à faire un TIG et si celui-ci permettrait de l’insérer dans la société par le travail. Les conseillers pénitentaires d’insertion et de probation (CPIP) doivent écouter la personne pour lui trouver un poste adapté à ses capacités potentielles.

La rédaction : Quel est l’intérêt du TIG ?

Christian Mouhanna : Dans les discours, on imagine parfois que le TIG permettra de réparer symboliquement le délit commis. Mais dans les faits c’est rarement faisable, ou même souhaitable. On ne va pas envoyer un alcoolique dans un hôpital ou quelqu’un qui a torturé des animaux à la SPA. Quelqu’un qui n’est pas physiquement apte ne fera pas de manutention. Pour les acteurs de la chaîne pénale, c’est l’objectif global de réinsertion qui est important, plus que la réparation symbolique.

Le TIG vise les gens éloignés de l’emploi. Pas forcément des gens qui en ont déjà un et que cette peine mettrait en difficulté auprès de leur employeur ou de leur agence d’intérim.

Du point de vue des acteurs judiciaires et pénitentiaires, l’intérêt du TIG ce n’est pas seulement le travail en lui-même. C’est aussi le respect de règles qui vont être imposé au tigiste, qui rompent avec son quotidien habituel. Pour les populations désinsérées visées par le TIG, suivre ces règles est parfois déjà un effort immense !

La rédaction : Le TIG permet-il la réinsertion ? Y’a-t-il des TIG qui échouent ?

Christian Mouhanna : Nous n’avons pas d’information et n’avons pas pu évaluer les impacts d’un point de vue quantitatif – c’est extrêmement compliqué. Mais nous avons des retours très positifs, qui reviennent au SPIP et aux structures d’accueil.

Sur les échecs, une enquête statistique du ministère est en cours. Il y en a, mais davantage en amont du TIG, lors de la mise en place que pendant, avec des tigistes qui ne se présentent pas au SPIP, ou n’arrivent pas à faire les démarches. Pour faire un TIG, il faut un certificat médical et un numéro de sécurité sociale. C’est parfois un premier obstacle infranchissable. Dans ce cas, le TIG sera révoqué et d’autres peines appliquées.

La rédaction : Qu’est-ce qui pousse une structure à accueillir des tigistes ?

Christian Mouhanna : Les structures qui accueillent les tigistes n’en tirent pas de bénéfice matériel. Même si ces dernières ne sont pas payées, il s’agit souvent de personnes désinsérées, qui demandent un encadrement fort. S’ils n’en retirent rien de matériel, les encadrants de TIG veulent faire un acte de solidarité, avec l’idée qu’elles soutiennent une mesure de justice plus intelligence que la prison. Ils attendent une reconnaissance au moins symbolique de l’institution judiciaire.

Par ailleurs, il faut que le TIG s’organise localement. De grandes associations ou entreprises peuvent signer des accords nationaux sans que cela ne se traduise sur le terrain. Le TIG reste une peine « artisanale », qui marche par les liens personnels que les structures et les conseillers ont pu nouer avec les structures en question .

La rédaction : Manque-t-on de postes pour les tigistes ?

Christian Mouhanna : Je ne l’ai vu nulle part. On ne manque pas de poste dans l’absolu. Mais il faut trouver le poste adapté à la personne condamnée, et plus on a une diversité de poste, plus on peut répondre aux besoins. Par ailleurs, il faut éviter d’avoir trop de tigistes au même endroit, cette peine nécessitant un encadrement important.

La rédaction : Que pensez-vous de l’agence du TIG qui vient d’être lancée ?

Christian Mouhanna : Cette agence a un positionnement difficile. Il y a des craintes qu’elle débouche sur quelque chose de centralisé et bureaucratique. Ces craintes sont exprimées tant par les conseillers d’insertion que les juges et les structures accueillant des TIG.

Quand on retire des personnels dans les SPIP pour les affecter à l’agence et qu’on leur donne des objectifs chiffrés, il y a des risques d’en faire une structure hors sol qui casse le lien personnel qu’a établi le conseiller d’insertion avec la structure et avec le tigiste. Les politiques nationales n’ont parfois qu’un impact très limité sur le terrain : ce qui compte ce sont les liens personnels et l’implication locale des JAP et des conseillers d’insertion. Si l’agence du TIG sert juste à faire « matcher » des profils et des postes, elle ne pourra pas forcément faire le lien entre tout le monde.

La rédaction : Que faudrait-il faire pour développer les TIG ?

Christian Mouhanna : L’engagement des JAP et des conseillers d’insertion est nécessaire afin de promouvoir les TIG et de les développer. Mais ces agents sont déjà très occupés.

Dans les structures, il faut des gens qui puissent s’engager et faire du travail supplémentaire pour encadrer des tigistes. Cela demande une reconnaissance de cet engagement citoyen par l’institution judiciaire.

Par ailleurs, le TIG souffre de problèmes plus globaux de manque de moyens de la justice. Enfin, comme pour d’autres aménagements de peine, les magistrats manquent d’information à l’audience. Ce n’est pas propre au TIG, mais cela handicape fortement toutes les réponses pénales qui tentent d’intégrer une dimension sociale .

 

 

Propos reccueillis par Pierre Januel 

Christian Mouhanna

Chargé de recherche CNRS et du CESDIP, et sous l’égide de la Mission Droit et Justice et de la Fondation Caritas France, une équipe a interrogé plus d’une centaine de personnes en lien avec les TIG (magistrats, conseillers d’insertion, tuteurs de TIG), pour analyser les forces et faiblesses de cette mesure.