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Interview

Violences conjugales : le procureur à l’origine de la prise en charge des hommes violents

Jean-Pierre Valensi a créé le Home des Rosati à Arras. Une institution pionnière dans la prise en charge des hommes auteurs de violences conjugales. Il nous raconte comment cette structure a vu le jour en 2008. Matignon a même lancé, le 25 novembre dernier, un appel à projets pour dupliquer des centres du même type dans toutes les régions.

le 20 décembre 2019

La rédaction :  Comment avez-vous eu l’idée d’une structure dédiée aux hommes violents, alors qu’il n’en existait pas en 2008 ? (sur ce sujet, v. égal. Dalloz actualité, 22 oct. 2019, interview de M.-C. Gambart, par T. Coustet)

Jean-Pierre Valensi : J’étais procureur à Arras à l’époque. Partant de mon expérience de magistrat, j’ai senti qu’il manquait un autre versant à la protection des femmes victimes de violence. Les mesures d’éloignement possibles, la ligne de téléphone 3919… cet ensemble constituait déjà la réponse immédiate à ce type de délinquance. À côté, la justice devait jouer un rôle en matière de prévention de la récidive. Or, sur ce terrain, il manquait des actions de fond concernant les hommes violents. Les foyers qui existaient jusque-là n’étaient pas des structures dédiées. Ils mélangeaient les mis en cause sans distinguer le motif de leur prise en charge. Par conséquent, dans ce type de structure, ces hommes n’étaient pas réellement confrontés à leurs actes. Il ne faut pas se voiler la face : la violence est souvent alimentée par l’alcool, par les stupéfiants ou le chômage.

Si on les mettait dans des foyers que l’on pourrait appeler de « droit commun », ils en revenaient encore plus vindicatifs et leur risque de récidive en était accru. Je me suis donc dit qu’il fallait créer un foyer qui comprendrait une prise en charge multidisciplinaire – psychologique, médicale, sociale – des hommes violents, qui leur serait entièrement dédiée afin de mieux appréhender les causes profondes de leur violence et ainsi réduire les risques de récidive.

La rédaction : Arras a donc été précurseur dans ce domaine…

Jean-Pierre Valensi : À Arras, la communauté urbaine était, déjà avant 2008, très impliquée dans la politique de la ville sur ce point, en partenariat avec la préfecture et le parquet. La ville avait créé quelques années auparavant un poste de travailleur social au commissariat, pour faire émerger les plaintes des victimes. La femme victime était reçue par ce travailleur social qui pouvait l’orienter et lui donner les facilités pour formaliser ensuite sa plainte auprès de l’agent.

Ce poste permettait à des femmes qui avaient peur de porter plainte ou ne savaient pas comment le faire d’aller jusqu’au bout de leur démarche. Il m’est alors apparu qu’il fallait aller encore plus loin, en se tournant vers la prise en charge des auteurs dans le cadre d’un foyer dédié. Le projet a donc pris forme, mais il n’a pu voir le jour que grâce aux subventions des élus, compte tenu de son besoin de financement important.

La rédaction : Combien de temps vous a-t-il fallu pour monter ce projet ?

Jean-Pierre Valensi : Deux ou trois ans. On a dû passer des conventions avec les organismes HLM, les psychologues, les associations de lutte contre les violences conjugales. On s’est également appuyé sur le point d’accès au droit de Saint-Nicolas-lez-Arras.

À l’origine, on voulait recevoir plus de huit personnes. Mais, compte tenu du budget réduit, cela n’a pas été possible. Les fonds qui ont pu être récoltés l’ont été dans le cadre de la politique de la ville, le parquet n’ayant pas de moyens financiers pour un tel projet. Le nombre de personnes accueillies dans la structure a également été limité par un obstacle administratif.

Au-delà de huit personnes, la maison aurait en effet dû être équipée d’un deuxième escalier. Pour toutes ces raisons, la structure n’a finalement accueilli que huit personnes. Comme vous pouvez le constater, rien n’a été simple dans la mise en œuvre de ce projet.

La rédaction : Combien coûte une structure comme celle-ci 

Jean-Pierre Valensi : La mise de départ n’a pas été très élevée, contrairement au coût de fonctionnement annuel, qui lui représente 130 000 €. Au départ, une partie des fonds provenait de la préfecture, de la communauté urbaine et de la politique associative de l’État. On a aussi demandé l’appui des organismes HLM. 

La rédaction : J’ai entendu dire que votre initiative a été moyennement accueillie par la magistrature…

Jean-Pierre Valensi : On ne peut pas vraiment dire cela. Mon projet a été accueilli certainement dans une certaine indifférence, mais j’ai reçu l’appui inconditionnel des élus de la communauté urbaine d’Arras, ce qui a été décisif car, pour monter un tel projet, il faut une réelle volonté d’aboutir. Par exemple, lorsqu’en 2009-2010, j’ai voulu dupliquer ce projet à Chambéry, où je venais d’être muté comme procureur, sa mise en œuvre n’a pas pu aboutir par manque d’adhésion totale des élus, malgré l’appui de la mairie.

Ce n’est qu’aujourd’hui, plus de dix ans après sa conception, que le modèle du Home des Rosati est repris sur le plan national parce qu’il a fait ses preuves en matière de prévention de la récidive.

La rédaction : Selon votre expérience, pensez-vous que les services de police doivent être mieux formés ?

Jean-Pierre Valensi : Je pense qu’effectivement, il y a un besoin de formation. Il faut aller plus loin que la simple prise formelle de la plainte. Il faut une attention particulière, pour que la victime se sente en confiance et que les langues se dénouent, un peu sur le modèle de ce qui s’est fait à Arras.

La rédaction : Quel regard portez-vous sur les annonces du gouvernement en matière de lutte contre les violences conjugales ?

Jean-Pierre Valensi : Marlène Schiappa s’est beaucoup investie sur les mesures urgentes. Le téléphone grand danger, le déploiement des procédures judiciaires prioritaires, la prise de plainte facilitée, la formation des policiers et gendarmes.

Toutes ces mesures vont, me semble-t-il, dans le bon sens. Par ailleurs, l’annonce de la duplication du Home des Rosati sur l’ensemble du territoire ne peut être que saluée. Maintenant, compte tenu du coût de fonctionnement élevé de ce type de structure, cette duplication nécessitera des financements conséquents sur le long terme. Je n’en connais pas le chiffrage précis.

La rédaction : Quel est votre avis sur le terme féminicide, qui est de plus en plus employé dans l’espace public ?

Jean-Pierre Valensi : Étymologiquement parlant, le terme homicide recouvre le crime commis envers l’être humain en général, que ce soit une femme ou un homme.

Cependant, phonétiquement, force est d’avouer qu’homicide semble renvoyer plutôt à un crime spécifiquement commis envers une personne de sexe masculin. Il faut donc faire preuve de pragmatisme et parler de féminicide pour qualifier un meurtre commis sur une femme. Ce n’est sans doute pas justifié sur le plan lexical, mais qu’est-ce qu’un champ lexical pour un sujet aussi important que la mort d’une femme.

 

 

Propos recueillis par Thomas Coustet 

Jean-Pierre Valensi

Jean-Pierre Valensi est aujourd'hui procureur honoraire. Il a exercé les fonctions de procureur à Arras de 2003 à 2009.