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Le quotidien du droit en ligne

« J’ai l’impression d’appartenir à un grand paquebot », lance Emmanuelle Marc, 48 ans, rapporteure publique au tribunal administratif de Versailles. Une grosse machine avec à son bord 1 206 magistrats (contre environ 8 600 dans le judiciaire) et 1 654 agents des 42 tribunaux administratifs et des 9 cours administratives d’appel, auxquels s’ajoutent 671 agents de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), au 31 décembre 2021. Le Conseil d’État (CE), instance suprême, est aux commandes avec ses 239 membres en activité. « Nous avons un fort sentiment d’appartenance. Ici la solidarité compte beaucoup », souligne l’ex-professeure d’université en droit public, partie en détachement en 2013, par « honnêteté intellectuelle » envers ses étudiants, afin de leur parler des procédures contentieuses et de l’office du juge en connaissance de cause, puis intégrée en 2018. « Mon idée était de revenir. Et puis j’ai adoré. C’est un métier très vivant, varié, et dur à la fois. » Entre les cours d’amphithéâtre qu’elle animait et les corrections de jugements par le président de chambre, il aura fallu s’adapter. « Nous sommes dans une remise en question permanente et collégiale. Le jugement est un mille-feuille auquel tout le monde participe », constate la magistrate. De plus, « l’investissement humain et le rythme sont soutenus car la machine tourne en permanence et nous sommes confrontés à des enjeux sociétaux ». La juge traite en priorité du contentieux des étrangers qui représente 48 % des dossiers. Soit « un dossier sur deux », sachant que les mesures d’éloignement sont « très peu exécutées ». Les requêtes en droit des étrangers ne cessent d’affluer dans son tribunal, à l’image de toute l’Île-de-France, atteignant des records en 2021. « Cela reflète la réalité des mouvements migratoires. Ils contestent les refus de titre de séjour et les reconduites à la frontière », commentait l’ex-vice-président du Conseil d’État, Bruno Lasserre, en visite, en septembre 2021, à Versailles pour le bilan annuel selon Le Parisien. Le tribunal administratif de Versailles compte 9 chambres dont une pour les procédures d’urgences en référés, 39 magistrats, 80 avec le personnel de greffe, une parité respectée et une moyenne d’âge de 40 ans environ. Emmanuelle Marc se félicite de la diversité des profils autour d’elle : une ancienne magistrate judiciaire, une ancienne conseillère aux affaires étrangères, et un ex-commissaire de police, référent risques psychosociaux (RPS). « Nous sommes un petit corps, bien doté, et le Conseil d’État est vigilant par rapport à nos besoins. »

Même constat chez Christophe Tukov, 51 ans, lui aussi resté dans l’ordre administratif après deux détachements de son « corps de cœur », le judiciaire. « J’avais le sentiment de ne pas avoir les moyens de bien faire mon travail, c’est ce qui a principalement motivé mon départ », justifie-t-il. « Le judiciaire et l’administratif sont deux mondes différents. Ici, on arrive à conserver un délai de traitement raisonnable notamment grâce aux moyens octroyés, avec des efforts de recrutement de magistrats et d’aides à la décision ». L’ex-vice-président en charge de l’instruction à Nice a définitivement intégré le tribunal administratif de Nice, en 2014. Depuis, il a été président vacataire à la CNDA et il exerce désormais en tant que président de la chambre des urgences avant de rejoindre le tribunal administratif de Montreuil à la rentrée. Un « contentieux sensible », avec des mesures d’assignation à résidence ou d’interdiction de participer à des manifestations, des fermetures de lieux de culte, et des référés-libertés et indemnitaires qui arrivent chaque semaine. « La culture de l’urgence n’est pas celle du juge administratif et j’étais le seul à vouloir ce poste », explique-t-il. A son arrivée dans l’ordre, en 2004, et avant d’étoffer son parcours, Christophe Tukov s’était senti « tout petit » auprès de ses collègues aux « parcours très divers et très riches, avec beaucoup d’énarques ». À Nice, ils seront 26 magistrats à la rentrée, répartis dans six chambres, avec une trentaine de greffiers et d’agents affectés.

Activité croissante et contentieux de masse

En 2021, les tribunaux administratifs ont enregistré 241 384 affaires nouvelles, soit une augmentation de 15 % par rapport à 2020, et 4 % de plus qu’en 2019, avant le covid. Sans surprise, le contentieux des étrangers (obligations de quitter le territoire jugées en 3 mois (OQTF), « OQTF 6 semaines », procédures « 96 heures », contentieux de l’asile) représente 42 % de ces nouvelles affaires, soit 28 % de plus qu’en 2020 et 7 % de plus qu’en 2019. Autre matière croissante : le contentieux social, des litiges relatifs à l’aide sociale, au RSA, au logement et aux droits des chômeurs, représente 13 % des affaires enregistrées. 11 % de plus qu’en 2020, et 2 % par rapport à 2019. La loi relative au droit au logement opposable dite Dalo, de mars 2007, votée sous Nicolas Sarkozy (47 % du contentieux social), augmente de 15 % par rapport à 2020 et de 8 % par rapport à 2019. « Entre 2009 et 2019, les tribunaux administratifs ont vu leur activité augmenter de 34 %, avec des dossiers beaucoup plus lourds. Pourtant, le nombre de magistrats recrutés n’a pas suivi en proportion », cible Maguy Fullana, présidente du Syndicat de la juridiction administrative (SJA), principal syndicat de cet ordre. Le contentieux des étrangers, en perpétuel essor depuis vingt ans, complexifié du fait d’un « empilement de réformes », constitue le point de vigilance prioritaire des syndicats et du Conseil d’État puisqu’il atteignait, en 2019, 40 % du contentieux devant les tribunaux administratifs et 50 % devant les cours administratives d’appel, selon le rapport mené par le président adjoint de la section du contentieux, Jacques-Henri Stahl, avec les acteurs de la magistrature administrative. Cela « tend à inspirer à de nombreux magistrats administratifs un sentiment d’inutilité de leur action : les délais dans lesquels il leur est demandé de statuer sur des mesures d’éloignement sont très contraints alors que l’administration n’est pas toujours en mesure de procéder à l’exécution forcée (en métropole, en 2018, seules 12,4 % des OQTF ont été exécutées) ». Rendu mi-mars 2020, ce rapport commandé par l’ex-Premier ministre, Édouard Philippe, a été évincé par la crise sanitaire. Il prévoyait une série de vingt propositions. « L’ancien président du Conseil d’État Bruno Lasserre a tenté à l’automne 2020 de porter ce projet avant la fin de la mandature mais cela n’a pas été possible », expliquait Jacques-Henri Stahl à Dalloz actualité, avant les élections législatives. Et de préciser : « C’est un sujet toujours actuel et nous y travaillons avec le ministère de l’Intérieur ».

Ce contentieux a fait l’objet de nombreuses tribunes et articles des magistrats administratifs, ainsi que d’un livre blanc du SJA fin 2019. De son côté, Emmanuel Laforêt, président de l’Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), deuxième syndicat de l’ordre, déplore « un phénomène nouveau, lié à la crise sanitaire » : l’obstruction de la prise de rendez-vous des étrangers en préfecture, faute de places disponibles et du fait d’une dématérialisation vacillante, qui retombe sur le juge administratif, saisi in fine afin de pallier ces failles. « On se transforme en gestionnaire de l’agenda du préfet. Cela engorge les juridictions alors qu’il faudrait plus de personnel en préfecture », commente-t-il, décidé, tout comme le SJA, à « sensibiliser » le nouveau gouvernement à cet enjeu « politique ». Le Dalo, « droit accordé sans les moyens de le faire appliquer », faute de logements ouverts par l’État, reste l’autre grande problématique des magistrats administratifs, notamment en Île-de-France, avec une superposition de procédures : Dalo « Rep » quand les citoyens demandent à être reconnus prioritaires pour un accès au logement, puis Dalo injonction, si le préfet ne leur trouve pas de logement dans les 3 à 6 mois, avec une possible injonction de l’État (et le versement d’un forfait dans un fonds de garantie destiné à construire de nouveaux logements) puis Dalo indemnitaire pour le préjudice subi en cas d’absence de relogement. « C’est une usine à gaz », résume Emmanuel Laforêt. « L’objectif était louable mais humainement c’est très lourd car les requérants, même prioritaires, peuvent attendre des années pour être (re)logés », précise Anne-Laure Delamarre, vice-présidente du SJA et du TA de Cergy-Pontoise (95), particulièrement touché par la matière avec 3 000 entrées concernées sur 15 000 requêtes. Elle suggère, comme son collègue, de « simplifier les procédures » et « réformer la matière » tandis que Bernard Lacharme, le président de l’association Dalo, appelait, en 2021, dans la revue du droit sanitaire et social, à une « juste indemnisation » et rappelait que « le citoyen a besoin, au moins sur certains territoires, que l’État soit rappelé à ses obligations par le juge ».

Deux cas d’école : Mayotte et Nantes

Parmi les tribunaux les plus soumis aux contentieux de masse, celui de Mayotte – qui fonctionne avec celui de La Réunion – atteint des records, y compris parmi les DROM-COM (départements et régions d’outre-mer, collectivités d’outre-mer). Il enregistre la plus importante croissance du nombre d’affaires enregistrées et d’affaires traitées entre 2020 et 2021, soit respectivement 115 % et 111 %, 6 713 requêtes nouvelles en 2021 (dont 1 700 à la Réunion) et presque autant de traitées. Précisons que Mayotte est un territoire qui compte moins de 300 000 habitants, dont près de la moitié d’étrangers. Romain Felsenheld, 38 ans, exerce sur les deux îles de l’océan Indien depuis septembre 2021, « un choix personnel de changer d’environnement », après une mobilité de quatre ans en administration centrale et une longue expérience au TA de Montreuil qui l’a préparé à l’afflux massif du contentieux des étrangers. « À Montreuil, les migrants venaient de la terre entière. Ici, ce sont surtout des Comoriens qui traversent les 70 km en bateaux à moteur », remarque le magistrat, le plus jeune de son équipe. Le Conseil d’État a d’ailleurs estimé que la situation particulière de Mayotte ne pouvait entrer dans le champ de son étude de 2020 sur le droit des étrangers car « elle est un sujet d’étude à part entière ». Romain Felsenheld parle de « 30 000 décisions d’éloignement prises chaque année par le préfet, soit l’équivalent de toute la métropole », un taux d’exécution des décisions « très fort par rapport à la métropole », et un droit dérogatoire spécifique avec des recours non suspensifs de la décision de l’administration – comme en Guyane – 90 % des référés consacrés à ce contentieux (soit 5 000 requêtes/an, contre 2 000 à la Réunion). Le juge concède un « choc culturel » à l’arrivée : « il faut l’avoir expérimenté pour comprendre ». Les tensions sociales demeurent fortes sur ce territoire entre les Mahorais et les Comoriens et la transition juridique est toujours en cours depuis la départementalisation de 2011 avec des problématiques de propriétés foncières complexes à intégrer dans le droit commun. Douze magistrats (dont une seule femme) se répartissent le contentieux administratif entre les deux îles en alternance, et 17 agents de greffe (5 à Mayotte, 12 à la Réunion). La situation est plus difficile dans le judiciaire où un greffier a tenté de se suicider en mars, après avoir décrit dans une lettre la précarité du palais de justice : « je n’aurais jamais cru trouver un département français dans un tel état », écrit-il, quelques jours avant la visite du garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti. Ce dernier a promis des recrutements pérennes et un nouveau tribunal judiciaire. « La justice, c’est vingt ans d’abandon. Je le dis en métropole, ça vaut ici à Mayotte », a-t-il déclaré selon Mayotte Hebdo.

Autre situation singulière : celle de la cour administrative d’appel de Nantes, spécialisée dans le contentieux des visas d’entrée en France et de la naturalisation. « Cela fait une respiration par rapport à l’essentiel du droit des étrangers », constate François-Xavier Bréchot, 38 ans, premier conseiller à la cour administrative d’appel (CAA) depuis 2016. « Nous avons beaucoup de questions intéressantes à trancher car très peu font l’objet de pourvois en cassation », note-t-il. Par exemple, les juges nantais ont confirmé, dans un arrêt du 26 octobre 2021, le jugement du TA de Nantes, refusant de délivrer un visa à un enfant dans le cadre d’une adoption internationale « prononcée en violation de la convention de La Haye du 29 mai 1993 », précise le magistrat. Par ailleurs, il constate un taux d’appel de 20 % des jugements, identique au niveau national, ces dossiers nécessitant une grande technicité. Lui traite également du droit de l’urbanisme et de l’environnement. Jusqu’à récemment, l’éolien en mer était une compétence spécifique de la CAA de Nantes, en premier ressort et sur tout le territoire, elle a été transférée au Conseil d’État. Ces dernières années, l’évolution de la jurisprudence a abouti à la censure ou la mise en pause de certains projets d’urbanisme susceptibles d’avoir des impacts sur l’environnement, les conditions d’indépendance des évaluations environnementales n’étant pas réunies. « L’administration comme la justice est plus stricte sur les impacts environnementaux qu’il y a dix ans », souligne François-Xavier Bréchot, ce qui va de pair avec « la judiciarisation du combat écologique ». Comme en témoigne l’Affaire du siècle qui a attaqué en mars 2019 l’État devant le tribunal administratif de Paris pour obtenir réparation des préjudices causés par « l’inaction climatique ». La CAA de Nantes est composée de 31 magistrats, en général passés d’abord par un TA, et d’environ 37 agents de greffe et personnels administratifs. « La richesse du corps, c’est sa diversité », assure le trentenaire, passé par le ministère des Affaires étrangères, qui aspire à devenir président de chambre « d’ici trois, quatre ans ».

Diversité et mobilité, réforme de la haute fonction publique

L’ordonnance du 2 juin 2021 a posé les bases de la réforme de la haute fonction publique, laquelle a créé une vague de mécontentement parmi les magistrats, « exclus de l’accès au Conseil d’État », selon un communiqué du SJA de septembre 2021. De fait, les auditeurs ne seront plus nommés à la sortie de l’Institut national du service public (INSP qui remplace l’ENA) mais parmi les membres du futur corps des administrateurs de l’État et des corps ou cadres d’emploi de niveau comparable, qui n’incluront pas les magistrats des TA et CAA. « Faire des administrateurs de l’État le vivier des membres du Conseil d’État nous paraissait problématique, explique Maguy Fullana, la présidente du SJA. Nous considérions plutôt que cela nous revenait ». Le syndicat, comme d’autres organisations, a d’ailleurs lancé un recours contre l’ordonnance, qui a été rejeté en juillet. Le secrétaire général du Conseil d’État, Thierry-Xavier Girardot, considère, au contraire, que cette réforme a été l’occasion de « conforter la place des magistrats administratifs dans la haute-fonction publique » dans la mesure où les sortants de l’INSP peuvent rejoindre trois corps, dont le leur. Par ailleurs, l’accès au grade de maître des requêtes au CE devient accessible à au moins – et non plus au mieux – deux membres du corps des magistrats administratifs par an, sous réserve qu’ils soient âgés de 35 ans et justifient de dix ans de services publics effectifs. « Ça sera à regarder de près », souligne Anne-Laure Delamarre, la vice-présidente du SJA. Le CE a également reconnu qu’il convenait d’ouvrir la voie du détachement en son sein aux magistrats des TA et CAA, juridiquement ouverte auparavant mais culturellement fermée selon le SJA. « C’est à nous, maintenant, de nous en saisir. Et nous demanderons au Conseil d’État de nous faire des retours à ce sujet. » Reste la question très épineuse de la double mobilité des magistrats administratifs au cours de leur carrière, rendue obligatoire par la réforme. « C’est un défi pour le Conseil d’État », reconnaît son secrétaire général : « il y a une culture de la mobilité assez développée entre les tribunaux administratifs et les administrations. Mais il faudra aider les magistrats à trouver des postes intéressants ». Et c’est la crainte du SJA qui, bien que favorable à la mobilité, précise que 90 % des magistrats exercent en dehors de Paris tandis qu’une très grande partie des hauts fonctionnaires exerce à Paris. « Il faut d’abord trouver des débouchés, tonne Maguy Fullana. C’est l’avancement et la progression de carrière qui sont en jeu. » Elle rappelle combien il est difficile d’obtenir un poste de directeur d’hôpital ou de collectivité territoriale en province « et cela peut affecter la vie personnelle et familiale ». « Nous savons, compte tenu de la démographie du corps et des réalités sociologiques, que cela risque de peser beaucoup plus lourdement sur les femmes. »

Le Haut Conseil à l’égalité (HCE) avait fait une alerte, en juin 2021, sur l’impact possible de cette réforme sur les femmes, parlant « d’absence criante » de « l’égalité entre les femmes et les hommes ». Il demandait à ce que « les décrets à venir réparent cette lacune ». Un protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle au sein de la juridiction administrative, toutes catégories confondues, a été signé dans la foulée par le Conseil d’État et les syndicats. « Un texte ambitieux avec six axes et des mesures très détaillées sur lesquelles nous sommes engagés avec des réunions de suivi très régulières », confirme Thierry-Xavier Girardot. Il est notamment prévu d’assurer l’égalité effective entre les femmes et les hommes dans les parcours professionnels et de favoriser l’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale. Dernières craintes des magistrats quant à cette double mobilité imposée : la « déqualification des futurs magistrats » selon le président de l’USMA, Emmanuel Laforêt, du fait du séquençage de la vie professionnelle, et la « déstabilisation des juridictions administratives », comme l’évoquent dans une tribune publiée à l’AJDA en mai 2021, les ex-présidente et vice-présidente du SJA, Fabienne Corneloup et Hélène Bronnenkant. « Il n’est pas sûr que la juridiction administrative pourra conserver à l’avenir, compte tenu de ces nombreux allers-retours, des magistrats suffisamment spécialisés pour résoudre des conflits complexes et techniques, au risque d’une perte de qualité des décisions de justice », écrivent-elles. Pour répondre aux mouvements importants qui s’annoncent dans les juridictions, le secrétaire général du Conseil d’État assure que les possibilités d’accueil de membres de l’administration en détachement seront augmentées. « Cela contribue à répandre la culture du droit dans l’administration, insiste-t-il. Et parmi les personnes qui nous rejoignent, un certain nombre fait le choix de rester. »

Deux syndicats pour défendre la profession

Le SJA et l’USMA sont les deux syndicats du corps des magistrats administratifs. Ils les représentent localement par des délégués, et nationalement à travers le bureau et le conseil syndical, auprès du Conseil d’État et dans les instances où ils siègent (CSTACAA, CHSCT ou CSA). Avec des « fronts communs » et « une bonne entente », selon Emmanuel Laforêt, le président de l’USMA. Ce dernier a inscrit ses orientations dans un livre blanc actualisé en 2020 pour la quatrième fois, tandis que le SJA édicte les siennes dans les actes de son congrès annuel. Tous militent pour la constitutionnalisation du statut de la magistrature administrative et pour l’unification de leur ordre en un corps unique avec le Conseil d’État, ce que ce dernier rejette jusqu’à présent. « Nous sommes des magistrats avant tout, de la haute fonction publique tandis que les conseillers d’État se vivent comme des hauts fonctionnaires investis de missions juridiques », résume Emmanuel Laforêt. Parmi les causes récurrentes de l’USMA, avec « pour fil conducteur l’indépendance des magistrats par rapport aux pouvoirs publics », il y a la prestation de serment et le port de la robe, souhaités par une partie importante de la profession – la majorité ayant répondu au sondage mené en 2020 – mais refusés par le Conseil d’État. Le sujet, toutefois, est à l’étude. « Pour nous, le justiciable a besoin de solennité », assure le président de l’USMA. Membre du syndicat, Romain Felsenhdel, juge à Mayotte-La Réunion, assure y être également « très attaché » : « c’est une petite question en apparence mais nous rendons parfois des décisions dans des lieux qui ne ressemblent pas à des tribunaux. Ainsi, le justiciable aurait la certitude d’être dans une juridiction ». Le SJA y est également favorable. Parmi ses sujets récurrents : obtenir un CSTA indépendant ou revoir la compétence juridictionnelle du CE qui statue sur les recours en matière de carrière des magistrats administratifs dont il a la gestion.

La charge de travail mobilise désormais tout particulièrement les deux syndicats, alertés par leurs remontées de terrain mais aussi par l’évolution du baromètre social de 2021 auquel a participé 63 % de la profession. De fait, « la charge de travail excessive » est arrivée en tête des facteurs de démotivation des magistrats, en nette évolution depuis 2017 (41 à 57 %), suivie par l’évolution de carrière (37 à 46 %). Le SJA a posé les bases d’un plan de sensibilisation au sujet, l’USMA a adressé un sondage à la profession pour en connaître les causes. Sont principalement mis en avant l’inflation et la complexification du droit et des procédures, le durcissement du stock ainsi que l’augmentation de la taille des dossiers en lien avec la dématérialisation. « Les magistrats pointent également du doigt des transferts de charge, tant du gestionnaire que du greffe mais également des avocats et des administrations avec une baisse de la qualité des décisions attaquée et des écritures », explique Emmanuel Laforêt. « Enfin, de nombreuses réponses mettent en avant la pression statistique et les désorganisations en cours d’années causées par la hausse des mobilités. » Le secrétaire général Thierry-Xavier Girardot insiste sur l’importance accordée à ce sujet par le Conseil d’État. « Nous avons engagé une réflexion partagée avec les magistrats sur la charge de travail, pilotée par la mission d’inspection des juridictions administratives », explique-t-il, évoquant un contexte « difficile » avec une hausse continue des affaires. « Le vice-président et moi nous mobilisons chaque année dans le cadre des discussions budgétaires pour obtenir des moyens en rapport avec la hausse d’activité, ajoute-t-il. Et pour 2022, nous avons obtenu la création de 24 postes de magistrats et une quinzaine de postes d’agents de greffe. »

En avril, une revalorisation des rémunérations des magistrats « particulièrement substantielle » selon le SJA a également été obtenue. Toutefois, certains tribunaux peuvent avoir des difficultés à tenir les objectifs fixés par le Conseil d’État dans le cadre de la conférence de gestion annuelle. Fabienne Corneloup, première conseillère au TA de Nîmes et ex-présidente du SJA évoque un objectif de 1 % de délais de plus de deux ans en 2022 contre 2 % atteints l’an dernier, avec des dossiers qui arrivent de Toulouse où les délais n’arrivent pas à être tenus. « Il y a une vraie fatigue et le Covid n’a rien arrangé. Nous avons mené une action pour faire baisser la pression. Le moindre petit dossier, c’est 300 pages à lire et il faut en faire toujours plus », explique-t-elle. « Le cap est un objectif mais s’il y a des imprévus comme des départs, nous n’en faisons pas le reproche à la juridiction. Nous sommes plutôt à la recherche de solutions », indique le secrétaire général du CE. Au sein du corps, la plus grande crainte demeure d’arriver un jour à la situation inextricable de l’ordre judiciaire. « Nous n’en sommes pas là à ce jour, conclut Fabienne Corneloup. La juridiction administrative fonctionne quand même bien mais cela reste à surveiller de près. »