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Le droit en débats

Hôtellerie : les clauses de parité dans le viseur du législateur

Par Frédéric Teffo le 21 Octobre 2013

L’avis rendu très récemment par la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) sonne comme une victoire importante en faveur des professionnels de l’hôtellerie dans le rapport de force qui les oppose aux exploitants des sites de réservation hôtelière encore connus sous l’acronyme OTA (Online travel agencies), avec, en tête de file, Booking.com, Expedia et HRS. En effet, saisie en juin 2012 par les principaux syndicats hôteliers (UMIH, CPIH, Fagiht, Synhorcat), qui dénoncent depuis plusieurs années les clauses qui sont imposées par ces agences de voyages en ligne dans leurs contrats avec les hôteliers, la CEPC a rendu le 16 septembre 2013 un avis (n° 13-10) qui suscite beaucoup d’espoir dans le milieu de l’hôtellerie.

La commission s’est prononcée sur les différentes stipulations contractuelles qui étaient soumises à son examen mais c’est surtout sur la question des clauses dites de parité tarifaire, de conditions de vente et de disponibilités que son avis était très attendu car il s’agit là de l’un des points saillants de la contestation portée par les syndicats hôteliers. En effet, à travers la stipulation de parité tarifaire et des conditions de vente, l’hôtelier s’engage à assurer à l’exploitant du site de réservation des tarifs et des conditions de vente égaux ou plus favorables que ceux disponibles auprès de l’hôtelier lui-même (directement ou via son site internet ou ses centres d’appel) ou consentis à tout concurrent de cette agence de voyages en ligne. De même, la clause de parité de disponibilités lui assure que les chambres disponibles sur son site de réservation seront au moins aussi favorables que celles fournies à tout concurrent, cet engagement incluant parfois l’hôtelier lui-même. Ayant ainsi pour conséquence de restreindre la capacité des hôteliers à définir librement leurs prix et leur politique commerciale non seulement à l’égard de leurs clients directs mais aussi à l’endroit des concurrents des sites de référencement, ces stipulations contractuelles sont jugées contraires aux textes régissant les pratiques restrictives de concurrence.

En effet, procédant à une interprétation large de l’article L. 442-6, II, d), du code de commerce, la commission considère que « les conditions visées par cette disposition peuvent être indistinctement tarifaires ou non, de sorte que toutes les clauses de parité, qu’elles portent sur les tarifs, sur les disponibilités ou sur d’autres conditions, sont nulles dès l’instant qu’elles prévoient un alignement automatique sur les conditions plus favorables accordées aux concurrents ». Quant à l’alignement sur l’hôtelier lui-même ou l’obtention de conditions encore plus favorables par les sites de référencement, la CEPC y voit une entrave à la règle de l’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce relative au déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties dans la mesure où il n’existe aucune contrepartie.

Les textes ici visés font partie des nouveaux cas de pratiques restrictives de concurrence introduits par la loi de modernisation de l’économie n° 2008-776 du 4 août 2008 qui, tout en dynamisant le principe de la libre négociabilité des relations commerciales, notamment à travers l’abrogation de l’interdiction de la discrimination tarifaire, veillera tout de même à renforcer les « soupapes de sécurité » dont la CEPC vient ainsi rappeler l’importance.

Il faut donc saluer la pertinence de cet éclairage juridique qui ouvre la voie à un rééquilibrage des relations commerciales entre l’industrie hôtelière et les principaux exploitants des sites de réservation en ligne, lesquels sont devenus un canal de distribution incontournable pour les hôteliers et, notamment, pour les plus petits d’entre eux. Même dépourvu de caractère obligatoire, l’avis de la CEPC n’en a pas moins une portée normative importante (V. C. Thibierge et al., La force normative. Naissance d’un concept, LGDJ, 2009). Il pourrait notamment inspirer l’Autorité de la concurrence dont la décision est attendue à la suite de la plainte dont elle a été saisie le 2 juillet 2013 contre les pratiques anticoncurrentielles de ces centrales de réservation. Mais le législateur pourrait intervenir bien avant car le président de CEPC, Razzy Hammadi, par ailleurs rapporteur du projet de loi de consommation actuellement en débat au parlement, a indiqué sa volonté, lors de la deuxième lecture de ce texte qui se déroulera d’ici la fin de l’année à l’Assemblée nationale, de déposer un amendement visant à interdire ces clauses de parité et redéfinir avec davantage de clarté certaines notions comme celle d’abus de dépendance économique.