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Le droit en débats

Professions juridiques réglementées : les enjeux d’une réforme

Par Christophe Jamin le 17 Février 2015

Les débats sur la réforme des professions juridiques réglementées battent leur plein ! L’activité de lobbying n’a probablement jamais été aussi loin. Tous les arguments y passent pour ne pas réformer. Ce qui est en définitive en jeu derrière les multiples discours ? Le maintien ou non d’une logique dite « professionnelle » dans le domaine des activités juridiques et judiciaires.

À bien y réfléchir, le fait pour un État de réserver à diverses catégories de personnes, regroupées au sein de « professions », le soin d’exercer certaines activités repose sur une croyance : que ces professions seront de meilleurs serviteurs du public, constitué par les usagers du droit, qu’un marché ouvert à une multitude d’acteurs. Dans cet esprit, mieux vaut limiter l’accès des tribunaux aux seuls avocats, car on peut escompter des règles qui les régissent qu’ils fourniront un service de qualité au plus grand nombre de plaideurs. Mieux vaut réserver l’accès des juridictions suprêmes à un petit nombre d’avocats aux conseils, car on peut gager qu’ils manieront mieux que la masse une procédure subtile. Ou mieux vaut encore réserver aux notaires un quasi-monopole des actes authentiques, car on peut penser que leur savoir-faire et leur statut sécuriseront un nombre important d’actes juridiques.

L’ennui est que cette croyance s’érode depuis plusieurs décennies. Un peu partout dans le monde, toutes traditions juridiques confondues, de nombreux analystes perdent la foi dans les bénéfices attendus de la réglementation des professions juridiques. Ils n’y voient souvent plus que des rentes de situation destinées à protéger un cercle plus ou moins restreint de personnes. Et ils se persuadent et persuadent les États que l’intérêt du public pourrait être promu autrement : soit en diminuant la rente par le biais d’un assouplissement des règles professionnelles, soit plus radicalement en s’en remettant purement et simplement au marché. Et qu’on ne s’y trompe pas : ce discours ne relève pas nécessairement d’une pensée néo-libérale. Exemple : ce sont des socio-juristes de gauche qui ont soutenu que les avocats n’étaient pas les meilleurs défenseurs des libertés publiques, alors même que ceux-ci avancent toujours cet argument pour justifier leur statut.

S’impose alors une nouvelle croyance qui se traduit par une modification des politiques menées par les États, ceux-ci s’engageant dans des formes plus ou moins brutales de « déréglementation » ou de « déprofessionnalisation ». Les avoués ont disparu. Les avocats ont été contraints d’assouplir nombre de leurs règles traditionnelles, le décret du 28 octobre 2014 sur la publicité et la sollicitation personnelle en étant le dernier avatar.

Ne reste plus alors aux professionnels qu’à lutter contre ces politiques. Soit en initiant des réformes, dont certaines sont d’ailleurs en trompe l’œil, tel le décret du 13 juin 2013 portant de trois à quatre le nombre d’associés dans les SCP d’avocats aux conseils. Soit en contestant les justifications factuelles des réformes, ce qui nous vaut par exemple, contre l’actuel projet de loi, une étude d’impact alarmiste rédigée par un consultant à la demande du Conseil national des barreaux. Soit encore en essayant de construire des récits alternatifs, art dans lequel les notaires sont passés maîtres. En mettant en avant leur statut d’officiers publics, ils ont dans le passé réussi à échapper à certaines réformes censées favoriser la concurrence à l’échelon européen. Aujourd’hui, ils tentent de nous persuader que l’acte authentique, dont ils tirent le bénéfice de droits exclusifs, est au centre de la tradition juridique dite « continentale », et qu’en définitive toute remise en cause de leur statut la trahit au profit de sa rivale anglo-saxonne. Autrement dit qu’avec l’actuel projet de loi, nous serions au cœur d’un choc de civilisations !

Voici donc la partie qui se joue sous nos yeux. Elle n’est pas neuve. Nous ne vivons qu’une nouvelle avancée d’un processus de « déprofessionnalisation » de l’exercice du droit. On peut même gager qu’elle ne sera pas la dernière, non parce que la pensée néo-libérale ou une forme d’américanisme auraient triomphé, mais bien parce que les faits nous y poussent : des nouvelles technologies, qui banalisent la plupart des services juridiques, à la fameuse mondialisation, qui incite des acteurs venus d’ailleurs à contester les règles d’un jeu que les professionnels du droit pensaient maîtriser.

 

 

Cet éditorial est paru dans le Recueil Dalloz, 12 février 2012, n°6/7631e.