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Les 12 travaux de la Cour pénale internationale – 1re partie

Le Statut de Rome, texte fondateur de la Cour pénale internationale (CPI), a vingt ans cette année. La Cour a depuis ouvert des enquêtes dans onze affaires et pourrait s’investir dans une douzième très bientôt. Tour d’horizon.

par Maxence Peniguetle 29 mars 2018

Le Statut de Rome, adopté en 1998, est entré en vigueur après sa ratification par 60 États en 2002 - date à laquelle la Cour pénale internationale fut officiellement créée. Elle est compétente « à l’égard des personnes pour les crimes les plus graves ayant une portée internationale », à savoir le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Le crime d’agression sera de sa compétence à compter de juillet 2018.

Par où fallait-il commencer ? La réponse à cette question fut donnée à Luis Moreno Ocampo, le premier procureur de la Cour pénale internationale, par deux États africains en janvier et avril 2004. En effet, l’Ouganda et la République démocratique du Congo (RDC) ont alors tous deux demandé à la CPI d’intervenir. En janvier, le gouvernement ougandais demandait de l’aide concernant le conflit entre l’Armée de résistance du seigneur (Lord Resistance Army, LRA) et les autorités régulières. La LRA était tristement connue pour l’enlèvement de milliers d’enfants, s’en servant comme esclaves sexuels ou comme soldats.

Une enquête fut ouverte en juillet de la même année et cherchait à trouver les plus hauts responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre dans le nord du pays. Un an plus tard, la Cour délivra sous scellés un mandat d’arrêt concernant Joseph Kony (considéré comme le chef de la LRA), Dominic Ongwen, et les désormais défunts Raska Lukwiya et Okot Odhiambo – le mandat n’a pas été levé concernant Vincent Otti, dont le décès est envisagé.

Malgré un effort international pour capturer Joseph Kony, celui-ci court toujours. Dominic Ongwen, quant à lui, s’est rendu aux forces américaines présentent en Centrafrique en janvier 2015. Son procès a commencé en décembre 2016. Comme l’expliquait alors Human Rights Watch, « les poursuites judiciaires contre Ongwen soulèvent des questions importantes concernant son statut d’ancien enfant-soldat, même si les crimes dont il est accusé ont été perpétrés alors qu’il était adulte. » Le 19 mars, après avoir causé un incident en session fermée d’une audience, l’accusé a été sorti de la salle sur demande des juges.

« Terminator » à la CPI

Depuis des décennies, la RDC connaît un conflit entre forces armées et factions rebelles. Plus de cinq millions de victimes sont à déplorer, dans un jeu de cartes mortel impliquant des pays voisins. En avril 2004, ce fut donc au tour du gouvernement de la RDC de demander l’intervention de la CPI concernant l’investigation de crimes du ressort de la Cour.

Après l’ouverture de la première enquête de la CPI en juin 2004, Thomas Lubanga et Germain Katanga sont devenus les premiers suspects condamnés par l’institution internationale, et Mathieu Ngudjolo Chui fut acquitté. Il n’y a pas eu de procès dans l’affaire Callixte Mbarushimana, puisque les juges n’ont pas confirmé les charges contre lui après l’audience de confirmation des charges, étape précédant un éventuel procès où les parties résument leurs positions. Sylvestre Mudacumura, suspecté de neuf chefs de crimes de guerre, court toujours.

Reste Bosco Ntaganda, le « Terminator » congolais, qui s’est rendu à l’ambassade américaine de Kigali, au Rwanda (son pays d’origine), en mars 2013. Son procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité s’est ouvert le 2 septembre 2015.

Un président accusé de génocide

Un an après le démarrage de la machinerie embrayé par l’Ouganda et la RDC, c’est une autre méthode qui va déclencher l’ouverture d’une enquête au Soudan. N’étant pas un État partie au Statut de Rome, la CPI ne peut en principe pas y intervenir et ne peut pas poursuivre ses ressortissants, sauf sur demande du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce qui se passa le 31 mars 2005, mentionnant explicitement la situation au Darfour, où, pour rappel, un génocide a causé la mort d’environ 300 000 personnes.

La Cour accusa, au cours des années, sept personnes, dont le président soudanais Omar el-Béchir. Ce dernier fait l’objet, n’ont pas d’un, mais de deux mandats d’arrêt. Le premier ne mentionnait pas le crime de génocide, ce qu’est venu faire le second après l’appel du procureur pour que cela soit fait.

Cette affaire est difficile pour la CPI. Alors qu’elle devrait pouvoir compter sur les États parties au Statut de Rome pour arrêter le président el-Béchir au moins lorsqu’il voyage, nombreux sont ceux qui refusent de coopérer. Une situation maintes fois dénoncée par Fatou Bensouda, la procureure de la Cour depuis 2012. De manière claire et directe, celle-ci interpelle le Conseil de sécurité de l’ONU lors de ses comptes rendus réguliers.

En décembre 2016, elle exposait la situation suivante : « Selon les informations de mon bureau, M. el-Béchir a franchi les frontières internationales à 131 occasions depuis mars 2009 (…). Le monde sait où il se trouve, où il se rend, souvent à l’avance. Il y a de nombreuses occasions d’arrêter M. el Béchir – si la volonté politique existe parmi les États, et parmi ce Conseil. » Un an plus tard, en décembre 2017, elle attaquait directement un membre du Conseil : « Je note qu’il s’est rendu officiellement en Fédération de Russie, membre permanent de ce Conseil. »

En parallèle d’une cour d’un nouveau genre

Au sud-ouest du Soudan se trouve la République centrafricaine, elle aussi lieu de conflits qui n’épargnent pas les civils. Fin 2004, le gouvernement demande l’intervention de la CPI, qui, dans l’enquête qu’elle ouvrira en mai 2007, visera Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de RDC.

Il a été condamné en juin 2016 à dix-huit ans de prison pour des meurtres et des viols commis par un contingent de son Mouvement de libération du Congo sur le territoire centrafricain, puis à un an de prison et 300 000 € d’amende pour « atteintes à l’administration de la justice, sur la base des faux témoignages produits par des témoins de la défense. » Des membres de sa défense et de son entourage ont également été jugés coupables dans cette même affaire. Appels ont été interjetés concernant les verdicts. Le premier est en cours, le second a été rejeté – les juges ont toutefois demandé une nouvelle peine.

Une autre enquête dans une autre situation a été ouverte en Centrafrique, qui se porte cette fois-ci sur les violences de la Séléka et des anti-Balaka depuis le premier août 2012. Si aucun suspect n’a été désigné pour le moment, la CPI apporte son aide à l’établissement de la Cour pénale spéciale, mise en place à Bangui pour poursuivre les responsables des crimes les plus graves. Elle devrait être composée de magistrats locaux et internationaux.

L’échec kényan, où les ennuis commencent

C’est sans aucun doute la plus grande défaite de la juridiction – voire un fiasco, selon à qui vous parlez. En mars 2010 et pour la première fois, elle ouvrait une enquête de sa propre initiative, concernant les crimes contre l’humanité qui auraient été commis lors des violences postélectorales en 2007 et 2008 au Kenya, qui ont causé la mort de 1 200 personnes. Le procureur de l’époque, Luis Moreno Ocampo, désigne six suspects (les « Ocampo six ») des deux côtés politiques, dont le futur président Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto.

Mais les charges ont été retirées avant le procès dans le premier cas, « en raison de preuves insuffisantes », et elles ont été « annulées » dans le second après la présentation des preuves de l’accusation.

« Malheureusement, on se souviendra de cette affaire comme d’une apparente campagne de corruption de témoins », expliquait Elizabeth Evenson de Human Rights Watch concernant l’annulation des charges. Trois mandats d’arrêt sont toujours d’actualité dans la situation kenyane concernant des atteintes à l’administration de la justice qui pourraient expliquer la débâcle.

L’échec kényan ne semble toutefois pas uniquement judiciaire. Selon Mediapart, Luis Moreno Ocampo, alors qu’il ne travaillait plus à la CPI, aurait œuvré en coulisses pour offrir au président kényan une « une sortie honorable ».