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Astan K., esclave moderne : 5 ans de servitude, 11 ans de procédure

Astan K., arrivée du Mali en 2000 à l’âge de 13 ans, a été réduite en servitude par une parente. Plus de 11 ans de procédure ont été nécessaire pour que son affaire soit jugée, lundi 22 janvier, par le tribunal correctionnel de Nanterre. Contre la prévenue, absente, il a été requis 15 mois de prison avec sursis et 6 000 € d’amende pour travail dissimulé, travail forcé sur personne vulnérable.

par Julien Mucchiellile 23 janvier 2018

Astan K. était une petite fille malienne de 13 ans qui ne parlait que bambara, lorsqu’elle arriva en France, où elle travailla dans des conditions indignes et sans rémunération jusqu’en octobre 2005, chez une cousine de son père, dans un appartement de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Après une plainte déposée le 25 octobre 2006, un juge d’instruction de Nanterre a rendu une ordonnance de non-lieu le 13 janvier 2009, dont il a été relevé appel, sans succès. La Cour de cassation a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris. Mais celle-ci n’a pas suivi en totalité le raisonnement de la plaignante, ce qui a permis à la Cour de cassation de casser un second arrêt. À Orléans, le 11 mai 2016, la cour d’appel renvoie Mme Diallo, la cousine du père d’Astan K., devant le tribunal correctionnel de Nanterre.

Après trois renvois, accordés sur demandes de la prévenue, Astan K., qui est désormais une femme française de 31 ans, mariée et mère de deux enfants, s’est présentée lundi 22 janvier 2018, devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre, pour évoquer l’état de servitude et de peur qui était le sien, sous le joug de Mme Diallo.

Et Mme Diallo n’est pas là – ni même représentée. Elle demande un nouveau renvoi, mais partie civile, accusation et tribunal s’accordent pour l’estimer infondé. Astan K. s’avance alors à la barre. « Ça ne vous dérange pas de rester ici ? Vous n’êtes pas prévenue, que les choses soient claires », l’avise une présidente pleine d’égards. Elle débute le récit : « C’est en août 2000 que vous quittez votre village, au Mali, avec semble-t-il une cousine de votre père. » Elle n’a pas connu sa mère, sa grand-mère qui l’a élevée vient de mourir, et son père, qui habite la capitale, ne s’occupe pas d’elle. Il la confie à sa cousine éloignée, qui est « celle qui a réussi » et fait miroiter la belle vie en France.

« Un salaire ? Elle était logée et nourrie, ça devrait suffire. »

Sitôt arrivée – en situation irrégulière – la cousine confisque le passeport de la jeune Astan, et lui lance : « Au travail, ici on ne s’assoit pas ». De fait, personne n’a jamais vu Astan s’asseoir. « L’enfer a commencé pour moi », relate-elle. Une journée type : « Je me lève avant tout le monde, vers six heures, pour balayer, serpiller et préparer le petit déjeuner de la maisonnée – sept enfants et deux adultes, la tante et son mari. Je mange après, quand il en reste. » Sa journée est faite de ménage, de courses et de préparation de repas, et s’achève vers minuit. Alors elle est autorisée à regagner sa paillasse, sordide matelas de mousse, posé tel quel, nu, dans un coin du salon. Elle mange une fois par jour. « Parfois, je restais deux jours sans manger. » Sa patronne la surveille et la frappe au gré de ses humeurs.

Elle en veut à son père, « et lui aussi s’en veut beaucoup », dit-elle, car il ne s’attendait pas à ce scénario. Elle devait étudier, la voilà empêchée même d’apprendre le français. Les enfants de la maisonnée l’ignorent. L’un des fils s’étonne : « Un salaire ? Elle était logée et nourrie, ça devrait suffire. » L’assistante sociale qui aide Mme Diallo dans ses démarches administratives ne se préoccupe pas de cette petite fille qui ne parle que bambara, ne sort jamais, et cache ses cicatrices sous des manches longues et la crainte de représailles. Constatées en 2008 lors d’un examen médical, de nombreuses cicatrices, sur les membres et sur le dos d’Astan, atteignent 25 centimètres. Mais il est impossible d’établir une causalité avec les coups allégués, et Mme Diallo n’est pas poursuivie pour les violences.

Un jour de 2003, Astan, punie, est enfermée dehors après avoir essuyé des coups. Elle sanglote en bas de l’immeuble. Un voisin, policier à la retraite, la questionne en vain. La jeune fille craint avant tout d’être encore dérouillée. Tracassé par cette situation, il signale au commissariat que, dans son immeuble, une adolescente vit recluse, non scolarisée, dans des conditions douteuses. Les policiers se rendent au domicile de Mme Diallo, qui cache Astan, son esclave domestique, le temps que les policiers achèvent de ne pas vraiment chercher. Ils appelleront une autre fois pour prendre des nouvelles de la jeune fille, et se contenteront de la réponse de Mme Diallo : « elle est rentrée au pays. »

Ce premier épisode incite Mme Diallo à lâcher la bride. Elle inscrit Astan à des cours d’alphabétisation, où la jeune femme accède à un semblant d’épanouissement, notamment auprès de Junior, un jeune angolais, qui lui fait prendre conscience de l’anormalité de sa situation. Le 10 octobre 2005, elle s’enfuit de l’appartement pour se réfugier auprès du « comité contre l’esclavage moderne », association à l’origine de la procédure judiciaire qui, ce jour encore, l’assiste.

Une situation de « déni »

Son avocate, Me Juliette Vogel, a passé toute l’audience assise à la barre, auprès d’Astan, finalement trop fébrile pour se tenir debout. Elle dénonce la situation de « déni » qui, selon elle, sévit en France à propos des situations d’esclavage domestique. Elle regrette la légèreté de la démarche policière, peu opiniâtre dans ses recherches. Elle déplore l’attitude des juges d’instruction et de la chambre de l’instruction (la première), qui voulaient mettre un terme à la procédure. Elle demande 180 000 € de dommages et intérêt pour sa cliente, un euro symbolique pour l’association.

La vulnérabilité de la plaignante – qui tient à sa minorité, au fait qu’elle ne parle pas la langue et à la privation de passeport – semble établie pour le procureur. Les infractions d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier, de travail dissimulé, également.

Pour « l’esclavage domestique », le procureur fait un état du droit. La prévention court de novembre 2003 à octobre 2005. Il rappelle que c’est la loi du 5 août 2013, donc inapplicable à l’espèce, qui introduit la notion de « travail forcé » à l’article 225-14-1 du code pénal (7 ans d’emprisonnement et 200 000 € d’amende), et la « réduction en servitude » (10 ans d’emprisonnement, 300 000 € d’amende), délit défini à l’article 225-14-2. Mais « ces mots ne peuvent s’appliquer à la situation de Mme K. », dit-il. C’est au visa de l’article 225-14 (5 ans et 150 000 € d’amende encourus), alors en vigueur, qu’il requiert quinze mois de prison avec sursis et 6 000 € d’amende.

De Mme Diallo, il ne sera rien lu d’autre que des procès-verbaux où elle conteste mollement son rôle, minimisant la situation d’Astan. Mme Diallo est actuellement au Mali. Astan, elle, n’y est plus jamais retournée.