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Au tribunal correctionnel des militaires

Chaque 1er mardi du mois, la 10e chambre correctionnelle du tribunal de Paris juge les délits commis par des militaires en service. Trois affaires ont été jugées, ce mardi 5 septembre.

par Julien Mucchiellile 7 septembre 2017

Le caporal Jimmy L., qui s’était frauduleusement introduit dans une caserne de la Creuse, ne comparaîtra pas aujourd’hui : il est hospitalisé dans un établissement psychiatrique. Son dossier est renvoyé, et voici quatre militaires, aux impeccables états de service, qui s’alignent à la barre de la 10e chambre correctionnelle du tribunal de Paris « spécialement composée ». L’adjudant Bruno S., 40 ans, est venu en uniforme. C’est le plus haut gradé dans ce prétoire et il semble vouloir endosser pleinement la responsabilité des faits que le tribunal reproche aux quatre hommes.

Alors qu’il était, en 2014, en « opération extérieure » à Bangui, capitale de la République centrafricaine, Bruno S. avait la responsabilité du « foyer » : un bar, un bazar qui fourni les produits essentiels, un lieu de vie et de repos, en marge de cette opération armée dangereuse. Bruno S. et ses co-prévenus ont détourné, en quatre mois, près de 6 000 €. « Il s’agissait aussi de combler les erreurs de caisse », précise le sous-officier. « 146 en quatre mois », s’étonne le procureur. « Je suis restaurateur de formation, je ne connais rien à la comptabilité », complète le prévenu. Mais l’essentiel de l’argent détourné l’était pour le profit personnel des quatre hommes, à l’issue d’un simplissime mécanisme : tenus de revendre les produits au prix d’achat, à un tarif fixé par le règlement, Bruno S. les achetait en réalité à un coût moindre – pour les revendre au tarif officiel. « Je n’ai changé aucun tarif d’achat, ni de vente », soutient le prévenu, qui sous-entend que ce système frauduleux était en place avant son arrivée.

Thibaut D., 30 ans aujourd’hui, était un caporal et l’adjoint de Bruno S, chargé de l’inventaire. « J’ai constaté au 1er inventaire un excédent, j’en ai référé à l’adjudant Bruno S., qui m’a dit qu’il mettait de l’argent de côté pour améliorer le quotidien de la caserne. » Mais Thibaut D. a touché environ 1 000 € sur ces « excédents ». Pour cela, l’armée lui a infligé cinq jours d’arrêt.

Le troisième prévenu, Alexandre G., 31 ans, était barman. Comme Bruno S., il a écopé de vingt jours d’arrêt, pour « ne pas s’être posé de question », lorsque, constatant des erreurs de caisse, il recevait sans broncher une part des bénéfices et laissait le gérant Bruno S. régulariser sa caisse. Enfin, il y a Julien K., responsable du bazar, qui faisait quelques remplacements au bar. « Vous avez dit sur procès-verbal ne pas avoir cherché à comprendre », note le procureur. « C’est exact », concède le caporal K., qui, avec les 600 € ainsi perçus, s’est tout de même acheté un ordinateur et un casque audio. « Attendez, vous touchez une enveloppe, c’est pas Noël, et vous vous interrogez pas ? », poursuit le procureur. « Je fais confiance au nouveau chef, c’est tout », déplore, la mine déconfite, le militaire.

Ces quatre-là ont une excellente notation et poursuivent leur carrière. Sauf Alexandre G., qui, militaire du rang – et non de carrière – fut remercié à la fin de son contrat. Il évoque cette sanction supplémentaire avec douleur : « C’était ma passion, j’ai servi 10 ans, et la peine a été dure – Et maintenant, vous faites quoi ? », questionne avec tact le président du tribunal. « Je suis au chômage, j’ai deux enfants, je touche 31,50 € par jour », répond l’ancien caporal, avant de se rasseoir en frottant ses yeux rougis.

Le procureur n’insiste pas : il demande quatre mois avec sursis pour Bruno S., un mois pour Alexandre G., Thibaut D., et Julien K. (assorti d’une mise à l’épreuve pour ce dernier, qui n’est pas accessible au sursis simple). « Pour ces faits, vous risquez 5 ans, mais le code de justice militaire ne prévoit pas de peine d’amende », semble-t-il regretter. En dernier mot, Bruno S. apporte une précision : « Depuis les faits, je suis bloqué en avancement, et ce pour dix ans environ. Si la condamnation était inscrite au bulletin n°2, ce serait très difficile pour moi, et je démissionnerai de l’armée. »

Après la suspension, les quatre prévenus sont condamnés : trois mois pour l’adjudant, un mois pour les deux autres en exercice, sans inscription au « B2 ». La mise à l’épreuve de Julien K. n’est assortie d’aucune obligation : le code de justice miliaire l’interdit. C’est au juge d’application des peines, en accord avec la hiérarchie du condamné, de fixer, en fonction des obligations de service, les modalités de la peine. Comme pour signifier qu’il a compris qu’Alexandre G. a déjà payé, le tribunal le condamne mais le dispense de peine.

Agressions sexuelles et voyeurisme

Le deuxième prévenu est un très jeune homme, 19 ans aujourd’hui, qui s’avance à la barre avec un pull aux manches trop longues. Clément T. est timide, dit-il aujourd’hui, et il est prévenu d’atteintes sexuelles sur la base de Montigny-sur-Orge. Julie, la victime qui a son âge, est présente. Elle écoute le président résumer les faits : « À 6h15 du matin, le 18 janvier 2017, Clément T. s’introduit dans votre chambre sans votre permission, dites-vous » et la jeune fille opine. « Il vous enlace, vous colle, vous attrape par le col de votre treillis et vous fait basculer sur lui, vous forçant à vous allonger. Là, il vous embrasse dans le cou. » Julie se dégage de l’étreinte, et vaque à des occupations ménagères, en attendant que l’intrus s’en aille.

Mais son camarade poursuit les attouchements : les fesses d’abord, puis la poitrine, et enfin les parties génitales, à travers le pantalon. Il quitte la chambre. Clément s’explique : « Elle était consentante – Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? – Elle n’a pas dit non. » Pourtant, Julie a immédiatement référé de cette agression à ses deux supérieurs hiérarchiques et aurait confié son désarroi à deux camarades, qui ont confirmé aux enquêteurs. « Et pourquoi ne pas avoir crié ? Ne pas avoir alerté la caserne ? », demande le président. L’enquêteur s’en est étonné, car toutes les chambrées étaient réveillées, et demander de l’aide aurait été très facile. « La honte, la peur ! », dira plus tard l’avocat de Julie. Cette dernière paraît stressée. Au sein de la troupe, tous effectuant un service militaire volontaire (SMV), elle traînait une réputation de « pute qui faisait des fellations dans la salle de télévision et trompait son copain », dit la rumeur de caserne. Julie réfute, et qu’importe, elle réaffirme aujourd’hui avoir été agressée. Clément se défend mollement et tout seul : il a mal interprété les signes d’affection qu’elle manifestait avec lui. Son dossier révèle qu’il a été suivi à l’âge de quatorze ans pour une « problématique de pulsions sexuelles ». Alors Clément, qui ne plaide pas très bien, se range à l’avis du procureur : quatre mois de prison avec sursis, assorti d’une mise à l’épreuve de vingt-quatre mois. « Je suis d’accord pour me soigner », dit-il sobrement. Le tribunal est du même avis.

Enfin, Steven, qui n’est plus dans l’armée, se présente à la barre avec un visage crispé. L’assesseure lit la prévention : « Enregistrement frauduleux à l’aide d’une mini caméra », en l’espèce placée dans le faux plafond d’une douche, sise en une caserne francilienne, que Marie-Odile a découvert un soir qu’elle se douchait. Elle en informe les responsables de la caserne, qui décident de faire surveiller cette caméra, et le soir, vers 23h, Steven est pris alors qu’il venait récupérer sa caméra. « Vous avouez sans problème que vous utilisiez ces images pour vous masturber », dit l’assesseure. Steven confirme. Sur son ordinateur, ses recherches étaient : « femme militaire, douche, voyeurisme », ce qui démontre la cohérence des fantasmes et des pratiques de Steven.

Dans son ordinateur, il y avait également des images pédopornographiques, qui ont fait l’objet d’une autre procédure, et qui a valu à Steven une condamnation à six mois de sursis avec mise à l’épreuve. Aujourd’hui, il avoue sa honte, dit consulter un psychologue, « de mon propre chef », car le juge de l’application des peines ne l’a pas encore convoqué. Le procureur fait une moue irritée : « Ce sont des faits désagréables pour le personnel féminin, qui est souvent durablement choqué par de telles pratiques. » Il demande trois mois de sursis, avec une mise à l’épreuve. En défense, l’avocat cherche la confusion de peine. « Mon client n’est absolument pas dangereux, il s’agissait juste d’assouvir des fantasmes, que mon client cherche par ailleurs à canaliser », plaide-t-il. « Les conditions de vie en caserne sont des éléments de contexte déclencheur de ces pulsions. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le psychologue », ajoute-t-il enfin. Le tribunal, lui, choisit de condamner Steven à six mois de prison avec sursis simple. Une peine qui sera confondue avec sa précédente condamnation.

Il est 19h, et la 10e chambre achève son audience mensuelle, au cours de laquelle sont jugées les infractions commises par des militaires en service.