Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Le choc des photos : 4 500 € d’amende requis contre les photos volées du « procès Merah »

L’hebdomadaire sensationnaliste avait immortalisé Abdelkader Merah, sa mère et son co-accusé, dans son édition du 9 novembre 2017. Ces clichés, pris au cours d’une audience, contreviennent à la loi, qui interdit la « captation d’image et de son » et leur diffusion, lors d’un procès. Paris Match invoque le droit à l’information.

par Julien Mucchiellile 29 mars 2018

On peut distinguer, sur les clichés publiés par Paris Match le 9 novembre 2017 : Abdelkader Merah et ses avocats, attendant, le 2 novembre, le verdict de la cour d’assises spécialement composée. Sur l’autre photo, prise le 18 octobre, Zoulikha Aziri, la mère de l’accusé, vient de témoigner durant deux heures, dans un climat de tension considérable. Fettah Malki, le co-accusé de son fils, apparaît à l’arrière-plan.

Ces « captations d’images » sont proscrites par l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, car elles ont été prises dans une salle d’audience dans laquelle un procès était en cours. Le magazine Paris Match, qui refuse de divulguer l’auteur des clichés – pris, d’après l’angle de vue, depuis le box des journalistes ou les emplacements réservés aux avocats des parties civiles – est poursuivi pour les avoir diffusés. La directrice de la publication ne s’est pas rendue à son procès, mercredi 28 mars, devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Il n’y a pas de partie civile.

La procureure entonne son réquisitoire d’une formule ad hoc : « Le poids des mots le choc des photos, sans les photos la ligne éditoriale n’est plus la même, c’est pour ça que Paris Match s’est arrogé le droit de prendre des photos de manière illégale. » Tout cela, sous le couvert de la liberté, un prétexte « fallacieux », dit-elle. « On se cache derrière des grands principes pour vendre du papier, pour avoir le choc des photos », faisant référence au « coup » ainsi réalisé par le magazine, qui a publié la seule photo du frère de l’auteur des attentats de Toulouse et Montauban.

Le droit à l’information, prétexte fallacieux, car : « En quoi le public n’a pas été informé du procès Merah ? La couverture médiatique a été à la hauteur de ce procès exceptionnel. Les audiences sont publiques, qui le veut peut venir, ceux qui ne peuvent pas ouvrent leurs journaux le soir, et ont des comptes-rendus très complets de ce qu’il s’y passe. » La procureure reprend les arguments de la défense : « On invoque l’attitude de l’accusé, sa tenue. Il y a des dessinateurs, dont les dessins reflètent parfaitement les positions, les attitudes, les expressions. Et dans la presse, son physique et ses vêtements sont décrits. »

Le ministère public, aussi, semble dénoncer une certaine arrogance affichée par Paris Match. « Moi je suis la publication qui sait que cette loi est inacceptable, donc je fais comme je veux », tandis que les autres médias, dociles, se conforment à la loi.

L’association de la presse judiciaire s’était émue de la diffusion de ces clichés, expliquant qu’il était scandaleux qu’un média s’autorise ce que tous les autres s’étaient interdits de faire, ce qui allait nécessairement compliquer les relations entre l’institution judiciaire et les journalistes qui couvrent des procès régulièrement (ce dont Paris Match, qui couvre peu ce secteur, se moque). La procureure, enfin, rappelle la raison d’être de cette interdiction : « Le législateur a estimé qu’il n’était pas souhaitable pour la sérénité des débats d’avoir des caméras, de transformer les audiences publiques en audiences “spectacle”, se disant “je passe à la télé”. » Elle requiert la peine maximale : 4 500 € d’amende.

L’avocate en défense, fonde son propos sur le droit européen qui, dit-elle, invalide le principe d’interdiction posé par l’article 38 ter de la loi de 1881, car : « Le droit européen exige que le juge fasse une recherche, au cas par cas, pour savoir lequel des droits prévaut, le droit à informer ou les autres, en fonction des intérêts en présence. » Or, le principe posé par la CEDH est extrêmement clair : il est possible de publier toute information susceptible d’intéresser l’opinion publique. L’avocate relève bien que des exceptions existent : un procès, dont la nature est historique, peut être enregistré pour la postérité. Une demande en ce sens avait été faite par les parties civiles, et rejetée par le président, ce qui est un procédé insatisfaisant : « Comment peut-on imaginer que le droit à l’information puisse relever du pouvoir de police de l’audience ? Je demande que vous jugiez que cette disposition n’est pas compatible avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Je demande simplement le droit d’être jugé en fonction du principe du droit à un procès équitable. Le juge doit faire un travail de finesse et d’équilibre. Il faut caractériser les restrictions, il faut justifier au cas par cas les interdictions », a-t-elle plaidé.

En d’autres termes : « Nous contestons une interdiction absolue. Dire que l’article 38 ter est incompatible avec les articles 6, 7, et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Je vous demande de dire : “liberté de publier sauf”, et non pas “interdit, sauf”. » D’ériger la liberté en principe, et de faire reposer l’interdit des motifs débattus contradictoirement. La décision sera rendue le 8 juin 2018.