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Escroquerie : ordonnance de non-lieu en raison de l’existence d’un débat d’intérêt général

Après avoir rappelé que l’élément moral de l’escroquerie ne saurait s’apprécier au regard du but poursuivi par l’auteur présumé des faits, la Cour de cassation précise que cette infraction ne saurait pour autant être caractérisée, eu égard au rôle des journalistes dans une société démocratique et compte tenu de la nature des agissements en cause.

par Julie Galloisle 16 novembre 2016

Dans cette affaire particulièrement relayée par les médias, une journaliste indépendante s’était infiltrée, en mai 2011 et ce pendant plus de huit mois, au sein du mouvement politique « Front national » en vue de réaliser une enquête et de la publier sous la forme d’un journal, au terme de sa période d’immersion. Pour ce faire, la journaliste avait fait usage d’un faux nom et de fausses qualités avant d’adhérer à la fédération des Hauts-de-Seine. Cette « couverture » lui avait ainsi permis d’obtenir des documents internes et informations utiles à l’écriture de son ouvrage Bienvenue au Front, journal d’une infiltrée.

Compte tenu des faits, l’association Front national a porté plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de l’auteur de l’ouvrage, du chef d’escroquerie. Le juge d’instruction a cependant rendu une ordonnance de non-lieu. Sur appel interjeté par la partie civile, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles a confirmé, le 12 mai 2015, l’ordonnance entreprise au motif que le délit n’était pas caractérisé en tous ses éléments.

Sur le plan matériel, la constitution de l’infraction ne posait pas de difficulté. En ce que la journaliste avait en effet usé, de son propre aveu, de manière déloyale, d’un faux nom – celui de sa grand-mère – et de fausses qualités et conforté cet usage par la création de faux profils sur les sites Facebook et Copains d’avant avant d’adhérer au parti politique, ce dernier avait, par cette tromperie, été amené à lui délivrer notamment des propos et confidences ayant eu pour effet, parce qu’ils avaient, par la suite, été retranscrits dans son ouvrage, de lui causer un préjudice moral. Si la spécificité des éléments remis par la victime était susceptible d’interpeler, aucune objection valable ne pouvait être élevée dès lors qu’il était question d’un « bien dématérialisé exploitable commercialement », ce qui entre dans les prévisions de l’article 313-1 du code pénal.

Sur le plan intentionnel, en revanche, la constitution du délit faisait défaut. Selon les juges du second degré, l’intention frauduleuse de l’escroc s’apprécie en effet au regard non pas des mobiles l’animant mais du but qu’il poursuit. Or il ressort de leurs propres constatations, auxquelles s’ajoutent celles des premiers juges, que la journaliste n’a pas cherché à nuire au Front national mais « a eu pour seul objectif d’informer et avertir ses futurs lecteurs en rapportant des propos tenus au cours de débats ou d’échanges informels, dans le but de mieux faire connaître l’idéologie de ce parti ». Pour asseoir leur solution, les juges du fond relevaient également qu’il n’était pas prouvé que la journaliste ait « poursuivi un objectif financier » ; au contraire, elle avait, selon eux, agi dans des circonstances « révélatrices de sa bonne foi ».

Cette solution apparaît toutefois inopérante et ce, à deux niveaux. D’abord, s’il est vrai que l’escroquerie ne peut être considérée comme caractérisée dès lors que l’auteur est convaincu de sa bonne foi, encore faut-il que cette bonne foi qui anime l’agent excuse ce dernier dans son comportement vis-à-vis de la victime. Cette excuse de bonne foi, exclusive de l’exception de bonne foi que l’on retrouve en matière de diffamation, repose en effet sur les espoirs...

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