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Outre-mer : violences de genre et atteintes aux droits sexuels et reproductifs

Ce 11 avril 2018 est publié L’effectivité des droits de l’homme dans les outre-mer, corpus réunissant neuf avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) rédigés durant l’année 2017.

par Thomas Lefortle 11 avril 2018

La CNCDH a effectué un travail de longue durée sur la situation, bien souvent, alarmante des outre-mer. À côté des questions juridiques (état des prisons, accès au droit, effectivité de la justice, droits des étrangers), sociales (peuples autochtones, pauvreté, exclusion et santé) et environnementales, l’avis sur les violences de genre et les droits sexuels et reproductifs, en ces périodes où le mouvement de libération des femmes fait grand bruit, apparaît opportun. Après avoir dressé un constat alarmant, la commission formule ses propositions.

Violences de genre et droits sexuels et reproductifs : un constat alarmant pour les outre-mer

Les droits sexuels et reproductifs sont des droits qui garantissent « l’autonomisation des personnes et particulièrement celle des femmes et leur permettent d’atteindre leur plein potentiel ». Ces droits s’assurent que la personne puissent prendre toutes décisions s’agissant de son corps, sa santé, sa vie sexuelle, son identité sexuelle et supposent un accès effectif aux services de santé, à la contraception et surtout à l’information. S’inspirant des enquêtes KABP conduites par l’INPES et les observatoires régionaux de santé, la commission chiffre les atteintes à l’encontre des femmes et des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) bien plus élevées en outre-mer qu’en métropole.

En premier lieu, s’agissant des femmes, les atteintes à ces droits sexuels et reproductifs s’observent à travers différents paramètres. D’abord, concernant les infractions sexuelles à proprement parler, le nombre de viols déclarés est plus élevé dans ces territoires par rapport à la métropole ; l’exemple le plus marquant étant la Guyane, la proportion de femmes déclarant avoir eu un premier rapport « non consenti » est de 34 % pour les moins diplômées. Est également dénoncé le nombre de grossesses précoces (survenant avant 19 ans selon l’OMS) qui concerne 23 % des grossesses à la Réunion contre 4 % en métropole. Ensuite, sur la maîtrise de la sexualité, les faits sont accablants s’agissant de l’IVG (33,9 IVG/1 000 femmes en Guadeloupe contre 17,1 en Île-de-France) et des infections sexuellement transmissibles. La particularité de ces régions reposant notamment sur le fait que le VIH se contracte dans la majorité des cas par des rapports hétérosexuels, touchant de façon plus significative les femmes. Selon le rapport « moins la sexualité est souhaitée, et moins les femmes peuvent obtenir de leur partenaire qu’il se protège ».

En second lieu, s’agissant de discriminations, domination masculine et stéréotypes de genre influencent les comportements hostiles à l’égard des femmes et des personnes LGBT. 51,9 % des hommes et 45,7 % des femmes des DFA (département français d’Amérique regroupant la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique) considèrent l’homosexualité comme une « sexualité contre nature ». La commission met en avant l’influence des religions et la survivance de certaines traditions qui incitent à de telles atteintes (droit de défloration par un membre de la famille ou union matrimoniale dès les premières règles selon les communautés).

Les recommandations de la CNCDH

Au regard des recommandations proposées, trois axes semblent être privilégiés par la commission.

D’abord, mieux comprendre l’étendue du problème en amplifiant les enquêtes déjà existantes et en en créant de nouvelles portant sur la LGBTphobie. Le but étant d’informer et de « faire prendre conscience de l’ampleur du phénomène » notamment aux décideurs locaux.

Ensuite, mieux prévenir les difficultés par le biais de l’école et du milieu associatif. Plus spécifiquement, pour le milieu scolaire, il faut une intervention accrue afin de renforcer le contenu mais également augmenter le nombre des interventions sur l’éducation sexuelle, la question du consentement, du respect mais plus généralement sur la question du sexisme et des LGBTphobies. La recommandation 8 préconise également la création d’actions de sensibilisation et de prévention par le biais d’associations locales. Selon la commission, les campagnes d’information et de prévention devront prendre en compte les spécificités de chaque communauté notamment la question de la langue. L’exemple cité est celui de l’initiative « Kapot’Péi » distribuant des préservatifs sur lesquels figurent des images humoristiques avec un message en créole.

Enfin, mieux agir en renforçant les moyens humains et financiers attribués aux départements d’outre-mer. Dans un premier temps, des moyens financiers qui permettront de financer l’ouverture d’un Centre de planification et d’éducation familiale à Saint-Laurent-du-Maroni et de mettre en place des lignes d’écoutes téléphoniques. Également, permettre des micros-subventions pour les petites associations et créer des centres pour une prise en charge des traumatismes des femmes et des filles victimes de violence mais aussi pour héberger les victimes de ces infractions. Dans un second temps, les moyens humains passent par la formation des différents acteurs en matière de violences sexistes, homophobes et transphobes mais aussi et surtout par le renforcement de l’attractivité des territoires intérieurs notamment de la Guyane et de Mayotte pour les professionnels de santé. Enfin, l’action passe par les acteurs de la justice qui, pour la commission, doivent adopter une politique juridictionnelle volontariste en matière de violence de genre.

Pour conclure, deux raisons peuvent expliquer cette situation alarmante en outre-mer. D’une part, l’histoire et les traditions propres à chaque communauté sont de nature à restreindre la place des femmes et des minorités au sein de l’espace public. D’autre part, les crises sanitaires, sociales et économiques actuelles, notamment en Guyane et à Mayotte, relèguent la question des violences de genre et des droits sexuels et reproductifs au second plan.