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Précisions sur le nouveau parquet européen

Le 8 juin 2017, dans le cadre du Conseil « Justice et Affaires intérieures », vingt États membres se sont mis d’accord sur l’instauration d’un parquet européen dans le cadre de la coopération renforcée. 

par Pauline Dufourqle 20 juin 2017

En 2013, la Commission européenne proposait sur le fondement de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne la création d’un parquet européen, chargé de « combler les lacunes du système répressif actuel, qui repose exclusivement sur les efforts nationaux et d’assurer une plus grande cohérence et une meilleure coordination de ces efforts » (proposition de Règlement du Conseil portant création du parquet européen COM/2013/0534 ; Commission européenne, Communication de la commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, 17 juill. 2013). Il aura fallu attendre quatre ans pour que le projet connaisse une nette avancée grâce à l’approbation récente de cette proposition par vingt États membres.

Actuellement, seules les autorités nationales sont en mesure d’enquêter et poursuivre la fraude au détriment des intérêts financiers de l’Union européenne (UE). Les organismes de l’Union à l’image de l’Office de lutte anti-fraude (OLAF), Eurojust et Europol (v. Rep. pén.,  Coopération policière internationale, par V. Gaudin et E. Roux) ne disposent pas de la possibilité de conduire des enquêtes pénales (European Public Prosecutor’s Office, European Commission website). En effet, Eurojust et Europol ont pour mandat général de favoriser l’échange des informations et de coordonner les enquêtes et les poursuites pénales nationales, mais ne sont pas habilités à procéder eux-mêmes à ces enquêtes ou poursuites. Quant à l’OLAF, il a pour mission d’enquêter sur les fraudes et les activités illégales affectant l’UE mais ses pouvoirs sont limités aux enquêtes administratives. En conséquence, l’établissement d’un parquet européen trouve sa légitimité dès lors qu’une telle création permettra de dépasser ces limites fonctionnelles en établissant un organe d’enquête et de poursuite susceptible d’agir sur l’ensemble du territoire de l’Union de façon uniforme.

Cette nouvelle entité judiciaire européenne s’attachera ainsi à rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Elle exercera en outre devant les juridictions compétentes des États membres l’action publique relative à ces infractions (P. Csonka, Establishment of the European Public Prosecutor’s Office).

Le domaine de compétence du parquet européen

Le parquet européen sera compétent pour ouvrir des enquêtes et engager des poursuites contre les auteurs d’infractions pénales portant atteinte au budget de l’UE. Son champ de compétence couvre les comportements frauduleux portant atteinte aux dépenses, aux recettes et aux avoirs, au préjudice du budget général de l’UE à l’image de la corruption ou encore la fraude transfrontalière à la TVA (proposition de directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal n° 5434/17, 1er févr. 2017, art. 3)

En ce qui concerne le déclenchement des enquêtes, le procureur européen ou, agissant en son nom, les procureurs européens délégués ouvriront une enquête par décision écrite s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction relevant de la compétence du parquet européen est ou a été commise. Lorsque l’enquête sera déclenchée par le procureur européen, il attribuera l’affaire à un procureur européen délégué sauf s’il souhaite lui-même effectuer l’enquête.

Le projet de règlement établit une distinction entre deux catégories d’infractions, les infractions relevant automatiquement de la compétence du parquet européen (art. 12) et les infractions accessoires (art. 13). Afin de déterminer les infractions visées dans la première catégorie, il conviendra notamment de se référer à la directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal (le projet de directive est en cours de discussion).

Le concept d’infraction accessoire a quant à lui été consacré afin de couvrir les infractions que le droit interne n’érige pas techniquement en infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, lorsque leurs éléments constitutifs sont identiques et inextricablement liés à ceux des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Dans ces affaires mixtes, lorsque l’infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union est prépondérante, le parquet européen devrait exercer ses attributions après avoir consulté les autorités compétentes de l’État membre concerné. Il conviendra d’établir ce caractère prépondérant en s’appuyant sur des critères tels que les conséquences financières des infractions pour l’Union et/ou pour les budgets nationaux, le nombre de victimes ou d’autres circonstances liées à la gravité des infractions, ou encore les peines applicables.

Cette seconde catégorie d’infraction devrait englober en particulier « les infractions commises dans le but principal de créer les conditions permettant de commettre l’infraction portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, d’en tirer profit ou d’en obtenir le produit ».

La structure

Le parquet européen fonctionnera comme organisme unique pour l’ensemble des États membres participants. Cette entité présentée comme indépendante sera chargée d’agir dans l’intérêt de l’UE et ne sollicitera ni n’acceptera d’instructions des institutions de l’UE ou émanant d’autorités nationales (Commission européenne, communiqué de presse, 8 juin 2017). Elle devra en outre rendre compte de ses activités au Parlement européen, au Conseil et à la Commission européenne, en établissant notamment un rapport annuel.

Le parquet comportera un bureau central au niveau de l’UE et une représentation décentralisée composée de procureurs européens délégués qui seront établis dans les États membres. Si le nombre de ces procureurs délégués est laissé à l’appréciation des États membres, il devra pour autant y en avoir au minimum un par État membre. Ces procureurs pourront poursuivre leurs fonctions de procureurs nationaux parallèlement à leurs missions européennes. La Commission européenne indique en outre que, lorsqu’ils interviendront dans le cadre du parquet européen, ils devront être totalement indépendants des autorités nationales de poursuite (European Public Prosecutor’s Office, European Commission website).

L’indépendance fait partie des exigences phares de cette proposition de règlement. Si une telle prévision est salutaire, l’épineuse question du statut du parquet en France risque de rejaillir par ricochet sur cette institution européenne (CEDH 23 nov. 2010, n° 37104/06, Moulin c. France, AJDA 2011. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 338, obs. S. Lavric , note J. Pradel ; ibid. 2010. 2761, édito. F. Rome ; ibid. 2011. 26, point de vue F. Fourment ; ibid. 277, note J.-F. Renucci ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ; RSC 2011. 208, obs. D. Roets ; 29 mars 2010, n° 3394/03, Medvedyev c. France, AJDA 2010. 648 ; D. 2010. 1386, obs. S. Lavric , note J.-F. Renucci ; ibid. 952, entretien P. Spinosi ; ibid. 970, point de vue D. Rebut ; ibid. 1390, note P. Hennion-Jacquet ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ; RSC 2010. 685, obs. J.-P. Marguénaud ). En effet, en dépit de leur casquette européenne, les procureurs européens délégués restent statutairement liés au pouvoir exécutif, tant et si bien qu’il sera compliqué pour ces derniers de se prévaloir d’une parfaite indépendance. Aussi, il est à souhaiter que les États membres se saisissent de l’occasion pour venir réformer dans leur droit national le statut du ministère public.

Les actes du parquet européen

La Commission européenne a également précisé que le procureur européen fournira des instructions aux procureurs européens délégués dont il coordonnera les activités. Ces procureurs délégués travailleront directement pour lui sur les infractions relevant de la compétence du parquet européen, tout en continuant à faire partie du système judiciaire de leur état. Ainsi, le plus souvent, les actes d’enquête seront exécutés par les autorités répressives nationales agissant sur instructions du parquet européen. Dès lors, il convient selon la Commission de considérer le parquet européen comme « une autorité nationale aux fins du contrôle juridictionnel de ses actes d’enquête et de poursuite ». La Commission européenne ajoute enfin que « les juridictions nationales devraient se voir confier le contrôle juridictionnel de l’ensemble des actes d’enquête et de poursuite attaquables du parquet européen, les juridictions de l’Union ne devraient pas être directement compétentes […] étant donné que ces actes ne devraient pas être considérés, aux fins du contrôle juridictionnel, comme des actes adoptés par un organisme de l’Union » (proposition de Règlement du Conseil portant création du parquet européen COM/2013/0534, art. 36).

Par ailleurs, les juridictions nationales demeureront libres de saisir la Cour de justice de l’Union européenne de questions préjudicielles sur l’interprétation ou la validité des dispositions du droit de l’Union pour le contrôle juridictionnel des actes d’enquête et de poursuite adoptés par le parquet européen.

La question des droits fondamentaux

Dans le cadre de sa communication du 17 juillet 2003, la Commission européenne précise : « Le parquet européen doit être créé de sorte à garantir le respect de l’État de droit à toutes les étapes des enquêtes et des poursuites. À cet effet, la proposition garantit le respect des principes reconnus en particulier par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et vise donc à fournir un niveau élevé de protection des droits des particuliers et des entreprises concernés par des enquêtes ou des poursuites relatives à des fraudes. Le texte comprend donc une série de garantie procédurales à l’échelle de l’Union, telles que l’accès à un avocat ou l’obtention d’une autorisation judiciaire en cas de mesures d’enquête particulièrement intrusive ».

Aux droits consacrés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’ajoutent en outre des droits consacrés par la législation de l’Union et tout particulièrement la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales, la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales et la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après arrestation. Plus intéressant encore, la proposition définit également d’autres droits sur lesquels l’Union n’avait pas encore légiféré à l’instar du droit de garder le silence et d’être présumé innocent, le droit à l’aide juridictionnelle ou encore de droits en matière de preuve (proposition de Règlement du Conseil portant création du parquet européen COM/2013/0534, art. 33 à 35).

Enfin, « les enquêtes et poursuites menées par le parquet européen devraient être guidées par les principes de proportionnalité, d’impartialité et d’équité envers le suspect ou la personne poursuivie. Cette démarche comprend donc l’obligation de rechercher tous les types de preuve, à charge et à décharge, d’office ou la demande de la défense ». De telles prérogatives parachèvent utilement le système de protection des droits des personnes visées par les enquêtes du parquet européen.

En conclusion, c’est une institution prometteuse qui vient peaufiner le dispositif de lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l’UE. Au-delà des considérations structurelles et fonctionnelles, le développement du parquet européen insuffle un mouvement intéressant en faveur des droits fondamentaux en consacrant un procureur indépendant chargé d’enquêter à charge et à décharge. Il reste à voir comment ces évolutions seront accueillies au sein des États membres.