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Une recherche pour étudier l’échec de la libération sous contrainte

Avec la contrainte pénale, la libération sous contrainte constitue une des innovations principales de la loi du 15 août 2014, dite loi Taubira.

par Pierre Januelle 25 octobre 2017

L’article 720 du code de procédure pénale prévoit une procédure d’examen obligatoire de la situation des personnes condamnées à une peine de cinq ans au plus, lorsqu’elles ont exécuté les deux tiers de leur peine, afin de permettre le prononcé d’aménagements de peine pour une sortie encadrée. Le but de la libération sous contrainte (LSC) était de répondre au faible nombre de libérations conditionnelles et d’être un outil de lutte contre la surpopulation carcérale. Elle visait à être une modalité d’exécution du reliquat de peine favorisant les sorties anticipées, en dehors de tout projet d’insertion concrétisé.

L’étude d’impact du projet de loi prévoyait qu’elle concernerait entre 14 400 et 28 800 personnes chaque année. Il n’y avait au 1er juillet 2017 que 757 personnes faisant l’objet d’un suivi pour une libération sous contrainte (en libération conditionnelle, placement sous surveillance électronique [PSE], semi-liberté ou, plus marginalement, en placement extérieur). Annuellement, cette mesure est donc prononcée quatre fois moins que la fourchette basse projetée par l’étude d’impact.

Sur le bilan qualitatif, la mission de recherche Droit et justice vient de publier une enquête de Martine Herzog-Evans et vingt-deux étudiants, sur la mise en œuvre de cette procédure. Dans quatre établissements pénitentiaires, l’équipe a assisté aux réunions de commission de l’application des peines (CAP) qui statuent sur cette mesure et a interrogé les différents acteurs (juge de l’application des peines [JAP], conseiller pénitentiaire d’insertion et probation [CPIP], personnes détenues). Martine Herzog-Evans, qui avait exprimé ses réticences dès la création de cette procédure, dresse un bilan très critique de sa mise en œuvre.

Une mesure mal comprise, qui heurte les cultures professionnelles

La circulaire de la loi insistait sur le fait que la libération sous contrainte ne visait pas des projets de sortie aboutis. Les dossiers préparés par le service pénitentiaire d’insertion et probation (SPIP) sont donc sommaires. Leur étude se fait en CAP, présidée par le JAP, où sont également présents le parquet, l’administration pénitentiaire et le SPIP. Le détenu peut être présent et être représenté par un avocat.

Le rapport de recherche note tout d’abord que la majorité des détenus refusent cette procédure, qui devait au départ être systématique. Des entretiens menés, il ressort que les raisons principales de ces refus sont en premier lieu la proximité de la fin de peine. Sont également évoqués la volonté de ne pas rendre de compte une fois dehors, l’absence de perspectives claires à la sortie (logement, revenus, emploi), le fait d’être découragé par le SPIP et, enfin, une méfiance envers une mesure mal comprise. Le rapport note que, dans la quasi-totalité des cas, l’équipe de recherche a dû, parfois longuement, expliquer aux condamnés ce qu’était la libération sous contrainte, alors même qu’ils venaient de passer en CAP pour cette mesure.

Pour le rapport de recherche, cette mauvaise compréhension est une des raisons principales de l’échec de cette mesure : la libération sous contrainte est en effet une procédure mal comprise sur le terrain, qui s’est ajoutée aux dispositifs existants. Imposée d’en haut, jamais érigée comme une priorité pour les juridictions, elle n’a pas fait l’objet de négociations avec les acteurs chargés ensuite de la mettre en œuvre, le débat se concentrant à l’époque surtout sur la contrainte pénale. Si, dans les débuts, les acteurs ont pour la plupart fait preuve de bonne volonté, le rapport de recherche note qu’ils ont rapidement manifesté infiniment moins d’entrain, au vu des difficultés concrètes.

Pour les JAP, la faiblesse des rapports préparés par les SPIP est l’une des difficultés principales (p. 220). Vu comme une procédure quasi automatique, dans la logique même de la LSC, les rapports présentés en CAP sont brefs. Mais, en l’absence de tout élément permettant de justifier l’aménagement de peine, celui-ci est le plus souvent refusé. L’échec s’explique aussi parce que ceux chargés de la prononcer « s’opposent à donner gratuitement les aménagements de peine sans que l’intéressé ait réalisé la moindre démarche et n’ait la moindre idée de ce qui l’attend à l’extérieur » (p. 160). Les JAP veulent que les aménagements de peine aient du sens, quand la libération sous contrainte semble être une coquille vide, qui heurte leur culture professionnelle. Quand des LSC sont prononcées c’est souvent parce qu’un travail préalable a été fait et que la personne aurait pu être éligible à un aménagement de droit commun.

Une mesure qui est le contraire d’un aménagement de peine ?

Martine Herzog-Evans est également très critique sur l’efficacité criminologique de la libération sous contrainte. Pour le législateur, comme le soulignait le rapport de l’Assemblée nationale sur le projet de loi, l’aménagement de peine est considéré comme plus efficace que la sortie sèche pour lutter contre la récidive, ce qui a motivé une procédure automatique comme la LSC.

Mais, pour l’équipe, « seul un suivi authentique, traitant véritablement des problèmes psycho-sociaux de la personne, ainsi que de ses besoins criminogènes, sur la base d’un projet individualisé et précis, précédé d’une préparation et dans un contexte environnemental non éparpillé et avec, en amont comme en aval, des praticiens collaborant activement et présentant des compétences et surtout des qualités personnelles optimales a des chances de produire un effet » (p. 109). Dès lors, la libération sous contrainte n’est pas pour l’équipe un aménagement de peine : ce n’est en réalité qu’une sortie sèche anticipée.

L’équipe de recherche va même plus loin. Pour elle, la baisse des aménagements de peine constatée en 2015 s’explique en partie par la création de la LSC. En effet, les juges ont dès le départ refusé d’accorder un nombre important de libérations sous contrainte. La confusion considérable pour les personnes détenues entre procédures de droit commun et libérations sous contrainte aurait aboutit à ce que le refus sur la seconde soit interprété « comme étant le signe d’une attitude restrictive des magistrats, dont le message est envoyé à l’ensemble de la détention, ce qui conduit à une attitude de repli » (p. 218).

Selon certains magistrats interrogés, la libération sous contrainte, qui requiert peu d’investissement de la part du condamné, aurait également déteint sur la préparation des demandes de droit commun. Ceux-ci auraient alors été moins approfondis, ce qui aurait fait baisser le nombre de décisions favorables. Par ailleurs, cette nouvelle procédure a alourdi la charge de travail des CPIP, les détournant de leurs autres tâches, les recrutements importants ne permettant pas de pallier cette difficulté.

Le rôle crucial du procès et de l’avocat pour un aménagement de peine réussi

Face à l’échec d’une procédure systématique, au-delà du contenu de l’aménagement de peine, le rapport de recherche aborde longuement les conditions processuelles nécessaires pour un aménagement de peine réussi. Une partie importante du rapport est consacrée aux théories de la « légitimité de la justice et justice processuelles » (LJ-PJ) et leur traduction juridique, la théorie de la « jurisprudence thérapeutique » (TJ). Le rapport rappelle que des études ont montré que les justiciables étaient plus attachés à cette justice processuelle qu’au résultat de leur affaire.

Le suivi de cette théorie impose que soient respectées ses différentes composantes (p. 180), comme la possibilité pour les justiciables de s’exprimer durant la procédure et de participer activement à l’établissement des faits. La neutralité est également au cœur de ce modèle, tout comme la nécessité de faire reposer les décisions sur des preuves avérées et de permettre une instance d’appel. Le modèle LJ-PJ-TJ insiste également sur la nécessité de considérer le détenu avec respect, dignité et politesse et au fait que leurs droits en tant que citoyens soient respectés. Le care (ou bienveillance) est le dernier élément central de ce modèle.

Pour l’équipe de recherche, ces éléments sont souvent absents de la procédure de libération sous contrainte. Le temps d’étude des dossiers est court (2 à 3 minutes, si le détenu est absent, 8 à 9, s’il est présent) et la libération sous contrainte est une procédure quasi administrative. Pour l’équipe, la LSC n’est qu’une des tentatives répétées de déjuridictionnalisation et parfois même de déjudiciarisation, de l’aménagement, « quelques années seulement après les réformes fondatrices de 2000-2004 ayant fait entrer le procès équitable dans l’application des peines » (p. 10).

Dans cette perspective d’équité processuelle au cœur d’un aménagement des peines réussi, la recherche souligne le rôle particulier de l’avocat. La présence de l’avocat au débat contradictoire n’augmente que très légèrement le temps de traitement du dossier. Pourtant, pour la recherche, son rôle est crucial. Par sa seule présence, il renforce la dignité du comportement des autres acteurs et conduit le JAP a être plus soucieux de son indépendance. L’avocat remet également les situations en perspective en apportant une parole contradictoire aux autres autorités ou en se substituant au SPIP pour certaines procédures administratives nécessaires à la préparation à la sortie. Enfin, la présence de l’avocat permet au condamné d’avoir l’impression d’avoir pu s’exprimer, élément au cœur du modèle LJ-PJ-TJ.

En conclusion, si l’échec de la libération sous contrainte était parfaitement prévisible, des pistes sont proposées pour relancer les aménagements de peine (p. 240) : recruter des magistrats, des CPIP mais également des greffiers pour que les CPIP puissent se concentrer sur la préparation active de la sortie. Martine Herzog-Evans souhaite également le développement de programmes partenariaux intégrés avec les associations et la société civile. Le rapport insiste aussi sur un dépoussiérage conséquent de l’ensemble des pratiques et formulaires administratifs, en éliminant les documents et procédures inutiles. Enfin, une réorientation du métier de cadre du SPIP devrait être menée, pour en faire un véritable encadrant et non un contrôle des rapports rédigés par le CPIP.

En ce qui concerne le cadre législatif, la recherche n’appelle pas à la création de nouveaux aménagements. La voie désormais privilégiée chez nos voisins européens est l’interdiction totale des courtes peines, qui, au-delà du choc carcéral, désocialisent sans permettre de travailler sur les causes de la délinquance.