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Interview

L’évolution du métier d’avocat travailliste

Afin de rendre compte de l’évolution du droit du travail et de son impact sur l’exercice professionnel de l’avocat, nous avons sollicité le témoignage d’Emmanuelle Barbara et de Rachid Brihi, tous deux avocats spécialisés en droit social depuis près de trente ans, la première du côté employeur, le second du côté salarié.

le 29 mars 2023

La rédaction : Pourriez-vous nous décrire votre parcours ?

Emmanuelle Barbara : Diplômée du diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) de droit des affaires et fiscalité de l’Université Panthéon-Assas en 1989, j’ai commencé ma carrière de fiscaliste en tant que conseil juridique stagiaire chez HSD Ernst & Young. Devenue avocate par l’effet de la loi de 1991 qui a supprimé le métier de conseil juridique, je décidai avec bonheur de quitter le giron de la fiscalité pour m’investir dans celui du droit du travail. J’exerce exclusivement dans cette spécialité dès 1993, date à laquelle je rejoins un cabinet parisien, avant de créer en 1996 le département de droit du travail d’August Debouzy. La clientèle que le cabinet conseille est principalement constituée d’entreprises.

Rachid Brihi : Diplômé de l’Université de Paris-X Nanterre (mention Carrières judiciaires), j’ai prêté serment en tant qu’avocat le 13 décembre 1988 et rejoint le cabinet Grumbach & Associés à cette même date (après y avoir effectué mon stage) en tant que collaborateur, puis associé à partir de 1993. Je suis ancien secrétaire de la Conférence (1992).

De par la spécialité du cabinet Grumbach & Associés, j’ai obtenu, dès le début de ma carrière, le certificat de spécialisation et toujours exercé en tant qu’avocat spécialiste de droit du travail.

En raison des orientations du cabinet, j’ai choisi d’exercer la profession exclusivement à destination des salariés et des représentants du personnel (syndicats et comités d’entreprise).

La rédaction : Quelles sont, selon vous, les principales évolutions du rôle de l’avocat travailliste ? Comment se manifestent-elles ? Quelles en sont les causes ?

Emmanuelle Barbara : Avant d’évoquer les évolutions du métier d’avocat travailliste, il faut s’attarder sur ce qui justifie l’évolution de notre métier et, plus généralement, de notre rôle auprès de l’entreprise. À mon sens, nous avons connu deux ruptures qui ont permis à la matière dont nous sommes spécialistes de connaître un destin qui l’a sortie d’une sorte de léthargie.

La « belle endormie » a été réveillée lorsqu’il est apparu impérieux pour chaque gouvernement de réformer le droit du travail, en support des politiques publiques successives de lutte contre le chômage, et de rectifier ce qui paraissait inadéquat avec les pratiques antérieures. Cette habitude devient très marquée à compter de 1998, date de la première loi sur la réduction du temps de travail (je mets de côté la loi de Robien de 1996). Au titre des refontes du droit du travail figurent notamment la loi de modernisation sociale de 2002, la loi de sécurisation de l’emploi de 2013, la loi travail de 2016 ou encore les ordonnances Pénicaud de 2017. Ajoutons les lois à « grands thèmes » s’agissant des substantielles réformes périodiquement modifiées qu’ont connues le dialogue social, la formation professionnelle, l’égalité professionnelle, la lutte contre le travail dissimulé, l’épargne salariale et la retraite, la gouvernance. Et puis a été entamée la déclinaison de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) au travers de lois à vocation plus sociétale, telle que la qualité de vie au travail, la santé, les « dispositions temporaires » (la prime de partage des profits, la prime Macron), etc. Ces réformes, toujours roboratives et complexifiant à l’envi les règles en vigueur par une sorte d’empilement malaisé à démêler, ont eu pour effet collatéral d’étendre l’éventail des interlocuteurs des services des ressources humaines, notamment en matière de santé au travail. De même, en raison des sanctions encourues en cas d’infraction à ces règles, ce sont désormais toutes les juridictions des ordres judiciaire et administratif qui sont susceptibles de connaître d’affaires ayant trait au droit du travail. Corrélativement, l’avocat spécialiste étend son spectre d’interlocuteurs pour le compte de l’entreprise. Mais, au-delà de ces évolutions juridiques, les ruptures essentielles sont ailleurs, et il faut les expliciter pour comprendre l’évolution de notre métier.

La première rupture touche à celle qu’ont eux-mêmes connue les métiers des ressources humaines. Du fait de « l’âge d’or » du droit du travail – je vise la période rappelée ci-dessus, la figure du directeur des ressources humaines (DRH) a fait l’objet d’une réévaluation de son rôle et de son autorité dans l’entreprise. Depuis environ vingt ans, le DRH porte au travers de sa fonction des enjeux accrus en termes de management et de performances, de risques. On l’a vu désormais occuper une place aux côtés du directeur financier dans les divers comités exécutifs ou comités de direction des entreprises, quelle que soit leur taille, et partager les questions de stratégie. La promotion du rôle du DRH dans les organigrammes a eu pour effet sur notre activité de conseil ou de contentieux de passer de la gestion des aspects strictement opérationnels de décisions prises ailleurs (ou trop tard) à un rôle plus central confié dès le stade du mûrissement de la décision. Cette circonstance a permis à notre spécialité d’acquérir une véritable place dans la famille du droit des affaires.

La deuxième rupture, toujours en cours et passionnante en ce qu’elle recèle d’incertitudes et de place pour l’imagination, tient à la mutation que connaît notre société. Dans un contexte de mondialisation et de financiarisation de l’économie depuis la fin du siècle dernier, amplifié par la révolution du numérique et du surgissement de l’intelligence artificielle, leurs effets conjugués se traduisent par des bouleversements substantiels,...

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Emmanuelle Barbara et Rachid Brihi

Emmanuelle Barbara est Avocate associée du cabinet August Debouzy.

Rachid Brihi est Avocat associé du cabinet Brihi Koskas & Associés.