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Interview

Matthieu Quinquis : « pour un engagement véritable dans la lutte contre la surpopulation carcérale »

Matthieu Quinquis a été élu à la présidence de l’Observatoire international des prisons (OIP) le 14 mai 2022. Nous l’avons interrogé sur les priorités de l’association et sur l’actualité du droit pénitentiaire.  

le 3 juin 2022

La rédaction : Après quatre ans au conseil d’administration de l’Observatoire international des prisons (OIP), vous succédez à Delphine Boesel à la tête de l’association. Quelles sont les principaux enjeux de votre mandat ?

Matthieu Quinquis : la situation des prisons reste particulièrement alarmante et démontre la raison d’être de l’association. L’enjeu majeur demeure la surpopulation carcérale : avec plus de 71 000 personnes détenues au 1er avril pour 60 000 places, un nouveau record a été atteint. + 9 % de détenus en un an, la trajectoire est particulièrement inquiétante ! C’est dans les maisons d’arrêt que la situation est la plus préoccupante, avec 48 000 détenus pour 34 000 places.

Dans ce contexte, l’OIP a réussi à convaincre les plus hautes juridictions (Cour européenne des droits de l’homme, Conseil constitutionnel, Cour de cassation) de la nécessité de contraindre l’État de mettre fin à ce phénomène structurel qui rend indignes les conditions de détention d’un grand nombre de personnes. Reste encore à obtenir l’exécution de ces décisions. Le conseil des ministres du Conseil de l’Europe doit examiner en fin d’année le suivi par la France de la décision de la Cour européenne l’enjoignant à résorber le surpeuplement de ses prisons. Gageons qu’il jugera sévèrement cette inflation carcérale et l’incurie des autorités à l’endiguer. Par ailleurs, l’association devra poursuivre son activité auprès des députés nouvellement élus, afin qu’ils exercent pleinement leur droit de visite des prisons et adoptent des mesures allant dans le sens de la déflation pénale.

Enfin, nous allons publier de nouveaux rapports thématiques en complément de la revue Dedans Dehors. Le prochain, qui paraîtra fin juin, sera consacré à la question de l’accès aux soins spécialisés en détention. Il met en évidence, études à l’appui, que la prison est devenue un désert médical à l’intérieur duquel il est très compliqué de se faire soigner.

La rédaction : L’OIP a traversé une crise financière importante. Ces difficultés sont-elles derrière vous aujourd’hui ?

Matthieu Quinquis : La situation demeure compliquée, l’exercice 2021 s’étant achevé avec une perte. Le financement public des associations étant en baisse constante, nous avons dû nous tourner vers le secteur privé pour rechercher les fonds indispensables à notre fonctionnement : particuliers et fondations notamment. Notre cause n’est pas facile à faire financer, heureusement, les actions sérieuses et concrètes de l’association sont récompensées par des dons.

La rédaction : Si on regarde ailleurs en Europe, on se rend compte que dans d’autres pays la population pénale aurait plutôt tendance à décroître. Pourquoi alors ces records de surpopulation en France ?

Matthieu Quinquis : Je vois plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le succès rencontré par le discours sécuritaire, qui amène à des solutions simplistes et qu’il est difficile de déconstruire. On passe ainsi sous silence les arguments avancés par les chercheurs, qui démontrent que la prison n’est pas la solution au phénomène de la délinquance. Si l’opinion publique était convaincue que la limitation des peines de prison ne l’exposait pas à un risque supplémentaire, nous n’en serions pas là ! Or c’est exactement ce qui se passe chez nos voisins qui limitent l’incarcération comme l’Allemagne ou la Finlande : il n’y a pas eu de hausse des délits malgré la limitation des incarcérations.

Ensuite, l’absence de volonté politique de mettre en œuvre les réformes qui s’imposent pour des raisons de calendrier électoral.

Enfin, il faut souligner que les décisions condamnant la France ne sont peut-être pas encore suffisamment cinglantes pour être mises en œuvre immédiatement.

La rédaction : Vous êtes avocat, spécialiste des questions d’exécution et d’application des peines. Que pensez-vous du nouveau code pénitentiaire ?

Matthieu Quinquis : On ne peut que se féliciter que l’ensemble des textes applicables à la matière pénitentiaire soit rassemblé dans un seul code, permettant aux professionnels comme aux détenus de mieux connaître les règles applicables. Cela marque aussi le fait que le droit et la prison ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, et va dans le sens de notre plaidoyer pour faire reconnaître les droits des détenus.

Sur le fond, le regroupement de l’ensemble des règles pénitentiaires fait également apparaître le déséquilibre des droits et obligations dans la vie quotidienne en détention. Il faut désormais que les détenus puissent faire valoir leurs droits sans qu’il leur soit systématiquement opposé des impératifs de sécurité. Nous espérons enfin que ce code permettra aux juges d’exercer un contrôle effectif sur le respect des droits des détenus.

La rédaction : Autre texte récent et important, le décret n° 2022-655 du 25 avril sur le travail en prison. Est-ce une réelle avancée ?

Matthieu Quinquis : Ce décret crée en effet de nouveaux droits pour les travailleurs détenus, avec la création d’un contrat d’emploi pénitentiaire. Il était temps !

La réforme du travail en prison n’est cependant pas achevée : nous attendons encore une ordonnance relative aux droits sociaux des détenus, notamment en matière d’accident du travail, de chômage et de retraite. Nous aimerions également que l’inspection du travail puisse entrer en détention afin de vérifier les conditions de travail des détenus. Quant au droit syndical, il n’est pas envisagé pour le moment, ce que nous regrettons. La question de la rémunération reste un enjeu essentiel, elle demeure aujourd’hui indécente.

Globalement, c’est toute la philosophie du travail en prison qu’il convient de revoir, notamment pour que l’offre d’activité soit qualifiante et tournée vers l’insertion ou la réinsertion professionnelle. Aujourd’hui pensée sur le registre de l’occupationnel, elle propose essentiellement des travaux de manutention, en décalage avec les aspirations des personnes détenues et le marché du travail à l’extérieur.

La rédaction : Éric Dupond-Moretti a été reconduit dans ses fonctions de garde des Sceaux. La politique pénitentiaire qu’il a menée jusqu’à présent a été jugée décevante par ses ex-confrères, certains allant jusqu’à évoquer un reniement de ses anciens principes. Quelles réformes espérez-vous qu’il porte cependant ?

Matthieu Quinquis : Outre l’achèvement de la réforme du travail pénitentiaire, nous attendons surtout du nouveau gouvernement qu’il s’engage véritablement dans la lutte contre la surpopulation carcérale. Les réformes adoptées au cours du dernier quinquennat sont trop timides, voire contre-productives. On peut ici notamment craindre l’impact de la modification prochaine du régime des crédits de réduction de peine… Nous demandons surtout au gouvernement de renoncer à l’extension du parc carcéral afin de concentrer les moyens disponibles sur l’amélioration des conditions de détention, la prise en charge des personnes détenues et le développement des alternatives à l’enfermement.

Mais il ne faut pas tout attendre non plus du gouvernement. Chacun a son rôle à jouer vis-à-vis de la prison ! Les avocats, dont le rôle d’assistance et de conseil ne s’arrête pas au prononcé du jugement, savent désormais que tous les aspects de la vie en détention ont des conséquences sur la situation pénale de leur client. Les bâtonniers, grâce à leur nouveau droit de visite des établissements, peuvent désormais alerter les autorités lorsque l’indignité des conditions de détention est flagrante. Enfin, les magistrats sont eux aussi des observateurs de premier rang. Tous les leviers doivent être désormais actionnés pour mettre fin à cette situation de surpopulation chronique et aux conditions désastreuses de détention qui en résultent.

Propos recueillis par Brigitte Brom

Matthieu Quinquis

Avocat, Matthieu Quinquis exerce essentiellement dans le domaine du droit pénal, du droit pénitentiaire et du droit de l’exécution des peines.