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Interview

« Nous sommes entrés dans une révolution industrielle de la délinquance »

Hausse des saisines cyber de 540 % au parquet de Paris, coopération internationale et travaux en cours : Xavier Leonetti, chef de la mission de prévention et de lutte contre la cybercriminalité au ministère de la Justice, fait le point sur la réponse judiciaire à la cybercriminalité.

le 16 mai 2022

La rédaction : Avec la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), vous avez organisé début avril le séminaire annuel des cyberréférents judiciaire. Quel bilan faites-vous de l’année 2021 ?

Xavier Leonetti : Ce séminaire annuel est un rendez-vous incontournable du réseau des magistrats cyberréférents, qui compte un représentant par tribunal judiciaire, par JIRS et parquet général. Il permet à la fois d’entretenir les échanges mais également de faire le point sur un enjeu ou une thématique particulière, cette année l’accès à la preuve numérique.

De manière générale, nous assistons à une hausse croissante des cyberinfractions qui regroupent trois ensembles distincts: les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, la haine en ligne et les cyberescroqueries. Ils sont tous en augmentation exponentielle, ce qui prouve que nous sommes entrés dans une révolution industrielle de la délinquance. En un seul clic, un délinquant peut cibler des milliers de victimes. Concernant les cyberinfractions de haute intensité, le parquet de Paris au titre de sa compétence concurrente a connu une augmentation de 540 % de saisine en un an.

La particularité de ces enquêtes tient au fait que 90% d’entre elles nécessitent une procédure de coopération internationale, principalement avec les États-Unis, afin d’accéder aux données de souscription de trafic ou de contenu nécessaires pour l’enquête. C’est par exemple les données enregistrées lors de la création d’une adresse mail ou d’un compte Twitter par exemple, ou le contenu lui-même d’un mail ou d’un échange sur WhatsApp.

La rédaction : Après quatre ans de négociations, le deuxième protocole additionnel à la convention de Budapest sur la cybercriminalité vient d’être ouvert à la signature. Qu’attendent les magistrats des évolutions réglementaires internationales ?

Xavier Leonetti : Ce protocole prévoit une base juridique pour la divulgation des informations relatives à l’enregistrement des noms de domaine. De même, il encadre également la coopération directe avec les fournisseurs de services pour les informations sur les abonnés, la coopération immédiate en cas d’urgence, des outils d’entraide, mais aussi des garanties en matière de protection des données à caractère personnel.

Le projet E-evidence, défendu notamment dans la cadre de la présidence française de l’Union européenne, doit également faciliter l’accès à la preuve numérique. Ce texte en cours de négociation répond à un besoin opérationnel très fort. Les preuves électroniques, qui présentent l’intérêt d’être plus objectives que les témoignages, par exemple, sont désormais essentielles dans près de 80 % des affaires pénales. Elles permettent d’identifier les titulaires de comptes de réseaux sociaux auteurs d’infractions, de déterminer les différents contacts d’une personne suspectée de la commission d’une infraction, ou encore d’accéder à certains contenus qui peuvent être essentiels à la caractérisation d’infractions.

Les praticiens doivent dès lors disposer d’un outil efficace pour obtenir ces preuves. Or, à ce jour, obtenir de ces éléments de preuve est trop laborieux et dépend trop souvent de la seule volonté des opérateurs. Ils sont très souvent soumis à la législation américaine compte tenu de la localisation des principaux acteurs du numérique. Il est donc nécessaire de recourir aux mécanismes traditionnels de l’entraide judiciaire, particulièrement longs et dont l’issue est incertaine. Les mécanismes prévus dans le paquet E-evidence permettraient à l’autorité judiciaire d’adresser directement une injonction de production au représentant de l’entreprise, que celle-ci aura eu l’obligation de désigner dans un État membre de l’Union européenne. Ce dernier devra enfin répondre dans un délai contraint.

La rédaction : Quels sont les projets en cours à la Chancellerie qui devraient déboucher dans les prochains mois ?

Xavier Leonetti : Un guide de saisie et de confiscation des actifs numériques devrait prochainement être diffusé aux enquêteurs et aux magistrats. Ce guide, coréalisé par la DACG et l’Agrasc, doit faciliter le travail judiciaire en matière de recherche, d’identification, de saisie et de confiscation à l’encontre des cryptomonnaies qui sont devenues un nouvel outil de blanchiment.

La France est également sur le point de se doter d’outils permettant de mieux détecter, connaître et suivre les cybermenaces au moyen d’un observatoire dédié. Cet observatoire, sous l’égide du ministère de l’Intérieur et du groupement d’intérêt public Cybermalveillance, sera un outil indispensable de cartographie non seulement des risques mais également des infractions commises. Cela permettra ainsi une meilleure coordination entre les services d’enquête. Cela favorisera donc le positionnement de la justice comme véritable tour de contrôle de la lutte en matière cyber. À cet égard, le réseau des magistrats cyberréférents constitue un point d’appui essentiel dans la mise en œuvre de cette démarche.

 

Propos recueillis par Gabriel Thierry

Xavier Leonetti

Xavier Leonetti est chef de la mission de prévention et de lutte contre la cybercriminalité au ministère de la Justice.