Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Interview

« Le parquet européen a mis la France en face de sa singularité pénale »

Aujourd’hui débute à l’Assemblée l’étude en séance du projet de loi sur le parquet européen. Nous avons interrogé la rapporteure Naïma Moutchou sur le texte et ses évolutions probables : CJIP, extraterritorialité, secret de l’avocat, enquêtes préliminaires, recours sur les conditions de détention…

le 8 décembre 2020

La rédaction : Le parquet européen aura-t-il les moyens de fonctionner ?

Naïma Moutchou : En France, nous aurons au départ cinq procureurs européens délégués, parce qu’il est estimé qu’ils auront à traiter entre 60 et 100 dossiers. Cela fait moins de vingt dossiers par procureur, soit loin de ce qu’un procureur aujourd’hui a en charge. Évidemment, il faudra évoluer si le nombre de dossiers augmente. Ce qui pourrait être le cas à terme, le temps que le parquet européen se mette en place.

La rédaction : Pensez-vous que le dialogue entre le parquet européen et la justice française et notamment le PNF se passera bien ?

Naïma Moutchou : Ce qui a été prévu me semble fluide. Le procureur européen aura un droit d’évocation, mais tout se fera dans le dialogue et la concertation. J’ai interrogé le procureur européen français M. Frédéric Baab à ce sujet. Cela se passera comme cela se passe déjà avec les parquets spécialisés, où un dialogue s’instaure. Si jamais une difficulté apparaît, un recours sera possible.

La rédaction : Les procureurs européens délégués auront des pouvoirs aujourd’hui réservés aux juges d’instruction. Certains craignent sa fin.

Naïma Moutchou : Le parquet européen a mis la France en face de sa singularité pénale. Notre système basé sur le juge d’instruction est rare en Europe. Le projet de loi ne le remet pas en cause et il continuera de fonctionner comme avant.

Il n’est pas question pour le gouvernement de réformer le juge d’instruction. À titre très personnel, je suis favorable à une éventuelle réforme : pour l’avoir expérimenté comme avocate, je vois les limites de faire porter une double casquette à un même juge.

La rédaction : Un amendement important va permettre au PNF et aux juridictions spécialisées d’engager des poursuites sans plainte préalable, dès lors qu’un coupable ou une victime serait Français. Qu’en pensez-vous ?

Naïma Moutchou : Le sujet de l’extraterritorialité est récurrent mais avance peu. Avec cet amendement, un pas important est franchi, qui va dans le bon sens. Nous sommes aujourd’hui en deçà du droit anglo-saxon sur l’extraterritorialité. Il faut réussir à aborder franchement ce débat et je serais favorable à aller plus loin. La France peut être un leader européen sur ce sujet.

La rédaction : Le projet de loi modifie plusieurs points sur la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). La commission des lois de l’Assemblée va prochainement lancer une mission d’évaluation sur la loi Sapin II. Vous avez également déposé des amendements en séance.

Naïma Moutchou : Les acteurs que j’ai interrogés ont souligné l’efficacité de la CJIP. Cet instrument s’est bien intégré à notre droit et fonctionne bien, et pas uniquement sur le plan financier. Avec le gouvernement, nous nous sommes mis d’accord sur l’élargissement de son périmètre et le renforcement de la publicité.

À titre personnel, j’aurais souhaité poser la question du sort des personnes physiques. Il y a une forme d’iniquité à voir la personne morale signer un accord rapide, sans que la personne physique puisse en bénéficier. Je souhaite poser la question d’un régime global de l’accord transactionnel, même si le gouvernement y est défavorable.

La rédaction : Un débat a eu lieu sur la CJIP environnementale. Certains craignent des contournements de la justice.

Naïma Moutchou : La CJIP permet d’aller plus loin que ce que permet le droit commun. Les sanctions peuvent monter jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires et permettent d’imposer un programme de conformité, une plus-value importante de la CJIP. Des inspecteurs qui pourront venir dans les entreprises. Enfin, la réparation du préjudice et la validation par le juge sont deux garanties importantes.

La rédaction : En commission, vous aviez des amendements sur la protection des fadettes et l’encadrement de l’enquête préliminaire. Le gouvernement les a renvoyés à plus tard et ils n’ont pas été redéposés. À quelle échéance viendront ces réformes ?

Naïma Moutchou : Des groupes de travail sont en cours au sein du ministère de la Justice sur ces deux sujets. Il y a une volonté importante du garde des Sceaux d’avancer sur le secret professionnel et l’enquête préliminaire. Le ministère nous dit qu’il y aura un projet de loi ambitieux dans les mois à venir. Je lui fais confiance et, à défaut, il y aura des initiatives parlementaires. Je prépare une proposition de loi sur le secret professionnel et mon collègue Didier Paris a avancé sur l’enquête préliminaire. Que cela vienne du gouvernement ou du Parlement, le sujet avancera d’ici 2022.

La rédaction : Le gouvernement a déposé un amendement instaurant un recours juridictionnel sur les conditions de détention. Mais, du fait du renforcement du contrôle des cavaliers législatifs, il n’est pas certain qu’il puisse être étudié cette semaine. Qu’en pensez-vous ?

Naïma Moutchou : C’est un sujet important, qui nécessite de prendre le temps d’en discuter et d’en analyser les effets.

À condition qu’ils soient recevables, eu égard à la restriction de la jurisprudence sur les cavaliers législatifs, plusieurs amendements seront débattus.

La rapporteure souhaite améliorer les règles d’échange d’information entre la justice et les services de renseignement. Le gouvernement propose d’adapter le droit aux règles européennes sur les décisions de gel et confiscation et anticipe une censure constitutionnelle sur les majeurs protégés.

Enfin, un amendement Potier/Orphelin devrait prévoir la spécialisation de certains tribunaux sur le « devoir de vigilance » des sociétés.

Naïma Moutchou

Naïma Moutchou, avocate, membre de La République en marche, est députée de la quatrième circonscription du Val-d'Oise.