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Interview

Pour un délit générique et autonome de mise en danger de l’environnement

Le Parquet général de la Cour de cassation a rendu public, le 8 décembre dernier, un rapport consacré au traitement pénal du contentieux environnemental. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, a répondu aux questions de la rédaction de Dalloz actualité à propos de ce rapport.

le 5 janvier 2023

La rédaction : Le rapport est issu des travaux menés par un groupe de travail pluridisciplinaire que vous avez présidé. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez travaillé au sein de ce groupe ?

François Molins : La composition pluridisciplinaire de ce groupe de travail, réunissant magistrats du siège, du parquet, de l’ENM, aux côtés de deux professeurs d’université et d’une avocate, lui a permis de disposer d’une grande marge de manœuvre dans ses réflexions, et d’adopter une vision panoramique des problématiques, avec un prisme très différent en fonction des expériences de chacun, et ce afin d’aborder les sujets très concrètement.

J’ai en effet depuis longtemps la conviction du sous-dimensionnement du traitement pénal du droit de l’environnement ; je l’ai éprouvé à Bobigny et à Paris lorsque j’occupais les fonctions de procureur de la République. Les récents textes intervenus et notamment la loi du 24 décembre 2020, qui a créé les pôles régionaux de l’environnement, ont malheureusement confirmé cette impression que l’organisation actuelle n’était pas à la hauteur des ambitions. Et c’est à l’issue de deux colloques organisés à la Cour de cassation, concernant le rôle du juge en matière environnementale, que je me suis dit que j’allais profiter de la liberté et de l’indépendance que me donnent mes fonctions de procureur général près la Cour de cassation, pour mettre en place ce groupe de travail avec un champ de réflexion non limité et une composition pluridisciplinaire. Il s’agissait notamment de pouvoir exposer précisément les défaillances pour mieux les combattre, et de dégager des recommandations tendant vers un même but : l’effectivité du traitement du contentieux environnemental par l’institution judiciaire. Ce groupe de travail a souhaité ainsi développer certaines idées et propositions constructives, abandonnées pour certaines à la suite de la promulgation de la loi du 24 décembre 2020, pour que l’institution judicaire s’empare pleinement du traitement du contentieux de l’environnement. Nous avons travaillé ainsi pendant quatorze mois, en nous réunissant à treize reprises, et nous avons procédé à une quinzaine d’auditions.

La rédaction : Le rapport constate un défaut d’efficacité de la réponse pénale. Le nombre d’affaires traitées serait en baisse, alors que les enjeux sont majeurs et malgré la création récente de pôles régionaux spécialisés. Comment l’expliquez-vous ?

François Molins : Le droit pénal de l’environnement est un domaine extrêmement technique et il souffre de son éparpillement au sein de plusieurs codes, ainsi que de sa fragmentation entre l’ordre administratif et judiciaire. La police de l’environnement souffre également d’un déficit chronique de moyens et de formation alors que le traitement de ce contentieux exige des compétences qui nécessitent une véritable spécialisation.

Malheureusement, ni les enquêteurs ni les magistrats n’en ont les moyens, faute de temps suffisant à y accorder.

Par ailleurs, et alors même que le contentieux de l’environnement représente aujourd’hui environ 20 000 infractions par an, les trois-quarts sont traités sous la forme de mesures alternatives aux poursuites, tels que des rappels à la loi ou des classements sous conditions de réparation ou de régularisation. Ce ne sont que 5 % des infractions constatées qui arrivent devant le juge pénal. Ce dernier devrait pourtant avoir une action particulièrement importante dans ce contentieux, qui est aujourd’hui une priorité affichée comme telle par le gouvernement, mais la réforme instituant les pôles régionaux environnementaux (PRE) n’a pas été suivie par une dotation de moyens humains et matériels suffisants permettant réellement une spécialisation et la mise en œuvre d’organisations dédiées. Ainsi par exemple, les PRE ne bénéficient pas de dispositif d’échange d’informations systématique, leur permettant de nourrir le contentieux et par là-même de prendre leur envol. En effet, actuellement la communication entre les parquets locaux, les services d’enquêtes et les pôles régionaux environnementaux repose exclusivement sur le dialogue mis en œuvre d’initiative par les magistrats et les enquêteurs, ainsi que sur l’animation et la coordination effectivement exercée par le procureur général au niveau de chaque cour d’appel. Ce système n’est pas satisfaisant car il...

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François Molins

François Molins est Procureur général près la Cour de cassation