Près de 130 femmes ont péri en 2018 des suites des coups de leur mari, amant, père de leurs enfants ; déjà 79 femmes sont mortes de la même façon en 2019.
Preuve que la mobilisation nationale pour la cause des « violences conjugales » est encore imparfaite ou, en tous les cas, infructueuse.
Le « tout pénal » n’est sans doute pas la solution à ce contentieux si spécifique, parce qu’il touche au plus intime, aux enjeux du couple, à ces adultes, devenus mauvais amants, qui ne communiquent plus que par les coups, qui ne savent plus mettre des mots sur leurs maux et qui exposent leurs enfants à ce spectacle affligeant de la violence comme mode d’échange ordinaire entre parents.
Alors, pour repenser le dispositif judiciaire, pourquoi ne pas réfléchir à une prise en charge globale de la problématique familiale :
Autour d’un juge unique, spécialisé :
-
qui puisse protéger les enfants (en prenant des mesures éducatives adaptées),
-
qui puisse organiser la séparation du couple (en arbitrant les droits des parents à l’égard des enfants, y compris dans le contexte de l’urgence),
- qui puisse encore sanctionner le conjoint qui a failli, qui a frappé, qui a meurtri (en l’évinçant du domicile conjugal, en lui imposant les soins nécessaires à son état si des problèmes d’addiction sont détectés, en prononçant aussi les sanctions correctionnelles justifiées par les actes de violence posés vis-à-vis du conjoint comme des enfants), etc.
Plutôt que trois juges, actuellement :
-
le juge des enfants, compétent au titre de l’assistance éducative sur le fondement des articles 375 et suivants du code civil et des articles L. 252-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire,
-
le juge aux affaires familiales, arbitre des conflits d’autorité parentale en application des articles 372 et suivants du code civil et des articles L. 213-3 et suivants du code de l’organisation judiciaire,
- et le juge correctionnel, statuant au pénal pour les délits d’abandon de famille (C. pén., art. 227-3), non-représentation d’enfant (C. pén., art. 227-5), délaissement de mineur (C. pén., art. 227-1 s.), violences conjugales et violences volontaires sur ou en présence de mineurs (C. pén., art. 222-33-2-1, tel qu’issu de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes).
Et donc trois audiences et trois procès pour « traiter » le litige conjugal :
Pourquoi ne pas réunir les contentieux et les confier à un juge unique statutaire de la protection de la famille, éclairé sur les enjeux protéiformes de ce couple qui dysfonctionne ?
Il existe déjà en juridiction un magistrat du siège désigné par le président du tribunal de grande instance, après avis de l’assemblée générale, pour assurer « la coordination de l’activité des magistrats du siège du ressort du tribunal en matière de droit de la famille et des personnes » (COJ, art. R. 213-9-1) ; ce juge a donc pour fonction d’animer la politique juridictionnelle pour la protection des mineurs, il est chargé de renvoyer de la cohérence dans les prises en charge civiles (dont le contentieux est porté devant la chambre civile : adoption, délaissement parental, C. civ., art. 381-1 s.), éducatives (du juge des enfants) et familiales (du juge aux affaires familiales).
Pourquoi ne pas confier à ce même juge encore et directement le traitement judiciaire de tous ces contentieux quand le lien de famille est fracturé par la violence de l’un de ses membres ?
Puisque le juge correctionnel doit désormais se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale dans les procédures pénales relatives aux violences conjugales habituelles ou aux agressions sur les enfants (C. civ., art. 378 s.). Ce juge ad hoc, spécialisé, serait le mieux informé de la situation de la famille : par la procédure pénale et par les mesures civiles décidées, dans un contexte global. Il lui serait alors possible d’agir en responsabilité et en compétence au cœur du conflit, animé par le souci majeur de protéger les enfants comme le conjoint victime. Il lui appartiendrait de mettre en œuvre également des mesures de correction du comportement du conjoint violent, pour prévenir la récidive. Il statuerait dans le cadre de compétences élargies, mixtes (pénales et civiles), spécialisées (contentieux parentaux aigus). Il interviendrait à juge unique, sur réquisitions du procureur de la République, dans le cadre d’une audience spécifique qui réglerait l’ensemble des problématiques de famille : règles d’attribution de l’autorité parentale sur les enfants, mesures d’éloignement et de protection, sanctions pénales (après ou non ajournement pour le prononcé de la peine, dans le cadre de mesures probatoires).
Un juge unique, pour une audience unique, qui statuerait dans un jugement unique, sur tous les aspects des contentieux qui concernent la famille, dans toute sa spécificité.
Le défi est d’importance pour l’institution judiciaire. Il est majeur pour la société et constitue le cœur de la mission de la justice : restaurer la paix dans les familles, renouer un lien d’affect de qualité et encore, si la situation le commande, poser des règles de séparation et de protection immédiates et strictes.
Parce que la mission première de la justice est d’abord de sauver des vies et de ne pas accepter l’impuissance dans le décompte macabre.
Pour que les données changent, osons le changement dans le traitement judiciaire des violences faites aux femmes et aux enfants.