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Le droit en débats

La justice et son rapport au « temps »

Au sortir du confinement, après une période bien particulière pour l’institution judiciaire, se presse la question de savoir : « comment la justice va-t-elle faire face “à tout ce retard”, à tous ces dossiers non évoqués, à toutes ces audiences reportées ? Quels délais, Monsieur le Juge, estimez-vous nécessaires pour rattraper ce temps perdu ? »

Par Claire-Marie Casanova le 28 Mai 2020

La justice entretient en effet un rapport tout à fait particulier avec le « temps ».

Elle n’est jamais à l’heure, pas vraiment en avance, et on lui reproche surtout d’être régulièrement en retard.

Mais en retard de quoi ? En retard pour qui ?

Juger, c’est prendre le « temps » de trouver la juste distance entre une situation, des faits et des émotions.

Le reproche majeur que d’aucuns adressent à la procédure pénale de l’urgence : la procédure de comparution immédiate, c’est précisément de juger trop tôt ou trop vite, ce qui amène parfois à manquer la rencontre à la barre entre un mis en cause et sa victime. Quand le moment n’est pas adapté car l’un ou l’autre n’est pas disponible pour le rendez-vous judiciaire, car envahi par la trop grande souffrance (la perte d’un proche aimé) ou encore concentré sur les actes posés, dans ce cas, la justice fait mal son office. Chacun passe à côté de « son » audience.

Le procès n’a pas l’effet expiatoire attendu, la pédagogie du juge ne peut opérer…

Ce n’est pas toujours le bon temps.

Pour celui qui attend en prison l’interrogatoire du juge d’instruction ou la confrontation judiciaire du procès pénal, le temps est toujours trop long.

Pour celui qui attend de connaître la peine infligée à celui qui l’a agressé, volé, abîmé… encore une fois, quel que soit le délai, celui-ci est toujours trop long.

Le temps de l’enquête est délicat à appréhender, il est parfois encadré par la loi, il est souvent laissé à la discrétion de l’enquêteur, du procureur de la République, en fonction de priorisation de procédures ou d’autres contingences.

La nouvelle procédure de « comparution à délai différé » issu de la loi pénale du 23 mars 2019 (C. pr. pén., art. 397-1-1) devra trouver son tempo.

Le rapport au temps n’est pas simple.

Quel « temps » aussi pour le parent privé de son enfant ? Ce temps est vécu comme toujours trop long. Chaque minute passée loin de lui est considérée comme perdue, irrémédiablement.

Pourtant, ce temps est souvent nécessaire à l’évaluation pour le juge des aptitudes parentales.

Car, décider du sort d’un enfant, entre deux parents en conflit sévère pour sa garde, ou pour qu’il soit rendu à sa famille après une période de placement judiciaire, ne peut souffrir la précipitation.

Le temps, long parfois, est un temps propice pour mûrir la décision et s’assurer que les engagements annoncés à l’audience seront effectivement et solidement tenus, dans l’intérêt de l’enfant.

C’est un temps « raisonnable » et nécessaire à prendre.

Quel « temps » encore pour la justice du référé ? Cette justice de l’urgence pour les affaires civiles.

Solliciter une expertise médicale pour une victime d’un accident de la route, réclamer une expertise technique pour une pompe à chaleur défaillante quand, en période hivernale, une famille n’a plus de chauffage, la réponse judiciaire mérite là aussi d’être rapide.

Le référé d’heure à heure, qui permet d’attraire à délai très prompt un défendeur devant le juge, est finalement très peu utilisé car le caractère de l’urgence, du temps très bref pour obtenir une réponse judiciaire est à mettre en équilibre avec le nécessaire délai raisonnable pour préparer une défense de qualité : vingt-quatre heures, deux jours… encore une fois, quel est le « bon temps » ?

La nouvelle « procédure accélérée au fond » (C. pr. civ., art. 839 s., issue de la loi du 11 déc. 2019 portant réforme de la procédure civile) tend, elle aussi, à offrir une forme de réponse judiciaire à délai voulu mieux cadencé.

Mais, pour la justice, tout n’est pas que question de mesure du temps.

La justice est rendue par des hommes pour des hommes.

Derrière la pendule de l’audience se rencontrent ou se confrontent des histoires, des souffrances, des attentes à concilier, voire à réconcilier.

Pendant cette période de lutte contre la pandémie covid-19, il est admis que la discipline de l’audience publique permette de réglementer le temps de passage de chaque affaire devant le juge du pénal comme du civil (notamment en matière d’affaires familiales). Des conventions ont été passées avec certains barreaux à cette fin (la « règle des 10 minutes »).

La logique de la logistique pour écluser le retard ou en tout cas ne pas en créer davantage semble autoriser cette pratique.

Et donne ainsi à voir pour la justice qu’elle est capable de respecter des horaires.

Moins d’attente pour rencontrer « son » juge, moins d’impatience dans des salles d’attente où il n’est plus permis d’attendre trop longtemps ou d’être trop nombreux à attendre.

Est-ce que finalement, dans la justice de l’après-confinement, le rapport au temps sera différent ?

Cela ne signifiera pas forcément que la justice parviendra à être à l’heure car en effet, elle n’a pas d’horaire.

Mais au moins, les audiences pourront, elles, être prises à l’heure…