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Le quotidien du droit en ligne

Il convient de dissocier deux types d’infractions : si pour les infractions dites de réglementation, en particulier les infractions au Code la route, la responsabilité pénale pourrait s’adapter aux véhicules autonomes sans grande transformation, pour les infractions applicables en cas d’accident, comme les blessures et homicides involontaires, les concepts pénaux nécessiteraient de substantiels ajustements.

Les infractions de règlementations

Circulation routière

En matière de circulation routière, la responsabilité pénale pèse théoriquement sur le conducteur selon l’article L121-1 du Code de la route. Mais l’article L121-3 rend le titulaire du certificat d’immatriculation « redevable pécuniairement de l’amende pour les contraventions à la règlementation sur les vitesses maximales autorisées ». Ne s’agit-il pas déjà d’une présomption de responsabilité pénale, contraire au principe de responsabilité du fait personnel ? De telles présomptions de culpabilité sont admises depuis longtemps à la double condition de rester réfragables et proportionnelles aux infractions concernées . En vérité, il n’y a pas à proprement parler culpabilité car le titulaire du certificat d’immatriculation est seulement obligé d’assumer l’amende, sans être reconnu coupable. Cela signifie que la décision de condamnation au paiement ne donne pas lieu à une inscription au casier judiciaire, qu’elle ne compte pas pour la récidive et qu’elle n’emporte pas retrait de points au permis de conduire ; autrement dit, l’obligation au paiement n’entraîne aucune des conséquences inhérentes au prononcé d’une condamnation pénale. Appliqué au véhicule autonome, le mécanisme favorise l’utilisateur qui, s’il ne peut être qualifié de conducteur, ne risquera jamais une déclaration de culpabilité, mais éventuellement une amende.


En cas d’accident en revanche, la circulation des véhicules autonomes pourrait perturber davantage les mécanismes d’imputation pénale.

Les infractions d’atteintes à l’intégrité

Problématique

Lorsque l’accident fait des victimes, les infractions d’homicide et de blessures involontaires trouvent application mais leur imputation à l’opérateur du véhicule autonome dépendra du niveau de délégation de conduite (5 niveaux sont actuellement envisagés, le cinquième permettant une délégation totale de conduite). Tant que les textes imposeront que l’opérateur reste en mesure de prendre le contrôle du véhicule, une dépénalisation n’est pas à craindre car une faute d’imprudence pourra toujours lui être reprochée. A défaut d’une telle exigence, comment retenir une infraction qui suppose d’apprécier un élément moral c’est-à-dire un état d’esprit ? Ainsi, le Décret du 28 mars 2018 relatif à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques énonce que le conducteur doit en toute hypothèse « être en mesure de prendre le contrôle du véhicule » .

Règles d’imputation pénale

Rappelons les règles en matière d’infractions non intentionnelles. Selon l’article 121-3 du Code pénal, en cas de blessures ou d’homicide par imprudence, la responsabilité pénale dépend de la nature directe ou indirecte du lien de causalité entre la faute et le dommage : lorsque la causalité est directe, l’auteur est responsable de toute négligence, tandis que la causalité indirecte justifie l’exigence d’une faute délibérée ou d’une faute caractérisée pour entrer en voie de condamnation ; en d’autres termes, lorsque le lien de cause à effet se distend, seules les fautes les plus graves méritent sanction.

Le conducteur d’un véhicule classique est généralement qualifié d’auteur direct en cas de décès ou de blessures causés par un accident de la circulation. Selon le même texte, l’auteur indirect désigne la personne qui a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter. La jurisprudence retient généralement le critère de la proximité spatio-temporelle pour identifier l’auteur direct (la causa proxima) même si certaines décisions font plus justement référence au paramètre déterminant . Ont ainsi été considérés comme des auteurs indirects le garagiste qui laisse partir une voiture défectueuse ou le débitant de boissons un client visiblement ivre au volant .

Application au véhicule autonome

Nous pouvons imaginer que l’opérateur d’un véhicule autonome revêtirait plus facilement cette seconde qualification que celle d’auteur direct. En effet, si on lui permet de lire ou de regarder un film dans l’habitable, ou même de ne pas être à bord, ou encore si on autorise les mineurs à « diriger » un véhicule autonome, on peut difficilement admettre leur qualité d’auteur direct ; qualifiés alors d’auteurs indirects, il faudrait conclure à une dépénalisation de fait dès lors que de telles situations ne pourraient jamais relever ni des causes immédiates ni des causes déterminantes du dommage.

Outre la question de l’intensité du lien de causalité, son existence paraît également douteuse car si l’opérateur peut totalement s’en remettre à l’intelligence artificielle, aucune négligence ne pourrait lui être reprochée. En ce sens, certains pourraient échapper à toute incrimination en raison de l’autonomie du véhicule là où ils seraient coupables dans un véhicule classique.

Moyens de défense

Au-delà, l’intelligence du véhicule ne pourrait-elle pas être invoquée par le conducteur mis en cause pour se dédouaner ? Ne pourrait-il pas par exemple se prévaloir d’une contrainte externe, prévue à l’article 122-2 du Code pénal comme une cause d’irresponsabilité ? Certes, la force majeure est en principe interprétée strictement. Néanmoins, une telle preuve ne paraît pas impossible, comme en atteste la relaxe d’un conducteur qui utilisait un régulateur de vitesse et qui n’avait pu le désactiver avant de renverser mortellement un piéton à un péage autoroutier, les juges retenant qu’il « n’avait pu résister à la force imposée à lui » . En revanche, la jurisprudence refuse classiquement de considérer la défaillance mécanique comme une cause d’irresponsabilité pénale dès lors qu’elle était évitable au moyen de vérifications basiques .

Pénalisation ?

Par quels moyens éviter cette dépénalisation de fait ? Deux voies s’offrent au législateur : la première, créer une infraction spécifique au véhicule autonome en cas d’accident avec désignation d’un coupable en dehors des critères classiques de participation infractionnelle ; mais cela constituerait une remise en cause du principe de responsabilité du fait personnel. La seconde voie consisterait à limiter l’autonomie des véhicules en imposant à l’opérateur d’être en mesure de reprendre le contrôle à tout moment, mais cela ferait perdre de son intérêt à la délégation totale de conduite.

Conducteur victime

Lorsqu’enfin la victime est le conducteur lui-même, ce qui s’est produit en 2018 aux Etats-Unis, l’action publique sera dirigée contre le concepteur ou le producteur et nécessiterait encore de démontrer une imprudence consciente pour entrer en voie de condamnation car ces professionnels relèveraient de la catégorie des auteurs indirects du dommage.

En somme, les difficultés d’imputation en matière de véhicule autonome font naître de sérieuses craintes d’inefficacité du Droit pénal. Une réforme les autorisant à circuler devra s’accompagner de textes répressifs mieux adaptés que nos règles actuelles. A la lecture des dernières propositions d’expérimentation, le législateur semble enclin à s’engager dans cette voie.