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Le droit en débats

Les apports du projet d’ordonnance du droit des contrats

À peine la loi d’habilitation a-t-elle été publiée au journal officiel que la Chancellerie a diffusé sur son site internet son projet d’ordonnance de réforme du droit des contrats.

Par Christelle Assimopoulos le 10 Mars 2015

Le 25 février 2015, quelques jours après la publication de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 habilitant le gouvernement à procéder par voie d’ordonnance à la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (art. 8), la Chancellerie a publié son projet d’ordonnance et ouvert une consultation publique sur son site internet.
 

Sans grande surprise, ce projet d’ordonnance est, à quelques mots près, celui du bureau du droit des obligations du ministère de la justice datant du 23 octobre 2013. Il s’inspire très largement des travaux antérieurs de la Chancellerie et de ceux dirigés par les professeurs Catala et Terré. Il traduit, par ailleurs, les idées de la justice du XXIe siècle : simplification du droit pour une meilleure accessibilité par le citoyen et accroissement de la protection de la partie considérée comme faible.
 

Conforme à la tradition de notre système de codification à droit constant (art. 3 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations), ce texte enrichit le code civil puisqu’il comporte 322 articles contre 299 actuellement dans le code civil et concerne les articles 1101 à 1386. Le régime de la responsabilité délictuelle, qui demeure inchangé, est déplacé pour apparaître après les dispositions relatives au contrat et avant celles concernant les quasi-contrats et le régime général des obligations. Ainsi, le nouveau titre III du livre troisième du code civil est intitulé « des sources des obligations » et est subdivisé en trois sous-titres : « le contrat », « la responsabilité extra-contractuelle » et « les autres sources d’obligations ».
 

I. Le droit des contrats

Un plan remanié pour un droit plus clair et plus protecteur. Le plan du sous-titre 1 consacré au contrat est modifié pour être davantage en phase avec le droit positif. Il se compose de quatre chapitres : aux « dispositions préliminaires », succèdent celles relatives « à la formation du contrat », à « l’interprétation du contrat » et « aux effets du contrat ». Sa lecture, à laquelle nous renvoyons, permet d’apprécier les innovations introduites par les rédacteurs du projet : souci de clarification, de définition, volonté de mettre fin à certaines controverses doctrinales ou encore codification de solutions jurisprudentielles (inspirées par exemple des arrêts Manoukian, Com. 26 nov. 2003, nos 00-10.243 et 00-10.949 et Chronopost, Com. 22 oct. 1996, n° 93-18.632, Bull. civ. IV, n°261).

Le projet poursuit également l’œuvre initiée par le législateur et les tribunaux de la partie considérée comme faible à la relation contractuelle :
- l’insertion d’un devoir d’information (nouv. art. 1129),
- la généralisation de la clause abusive avec la faculté pour le juge de la supprimer en cas de déséquilibre significatif entre les parties (nouv. art. 1169),
- l’interdiction de stipuler une clause privant de sa substance l’obligation essentielle du débiteur (nouv. art. 1168),
- l’interprétation des clauses du contrat d’adhésion à l’encontre de la partie qui les ont proposées (nouv. art. 1193)
- ou encore l’interdiction, sauf autorisation de justice, faites aux personnes travaillant en hôpital psychiatrique ou en « maison de retraite » d’acquérir un bien appartenant aux occupants de ces établissements (nouv. art. 1151-1).

La formation du contrat mieux définie. Les concepts généraux à partir desquels la jurisprudence a forgé des régimes juridiques tout entiers disparaissent au profit de textes beaucoup plus précis dans le but d’éviter les difficultés d’interprétation. Sur la forme, le texte codifie les grands principes comme le principe du consensualisme (nouv. art. 1102). Le projet d’ordonnance clarifie les notions et les régimes juridiques déjà établis en droit positif qui sont artificiellement rattachés à des textes généraux (pourparlers, offre et acceptation ou enrichissement sans cause). Ainsi, l’ensemble de la jurisprudence dégagée en matière de pourparlers est consacrée : liberté d’initiative, de déroulement et de rupture des négociations sous réserve du respect du principe de bonne foi, responsabilité extracontractuelle clairement énoncée et introduction d’une nouvelle faute en cas d’utilisation d’une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations… La même remarque vaut pour les dispositions relatives à l’offre et à l’acceptation (nouv. art. 1113 à 1123).
 

Le « législateur » souhaite aussi mettre un terme à certaines questions controversées, en particulier à propos de la promesse unilatérale et au pacte de préférence qui font désormais l’objet d’une sous-section. Par exemple, la révocation de la promesse par le bénéficiaire pendant le temps d’option n’empêche plus la formation du contrat, la violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence entraîne la nullité de l’opération conclue au mépris de la promesse (nouv. art. 1124). La violation d’un pacte de préférence permet au bénéficiaire du pacte de demander la nullité ou d’être substitué dans le contrat conclu avec le tiers qui en connaissait l’existence (nouv. art. 1125).

Certains mécanismes juridiques présents de manières éparses dans le code civil sont également regroupés. D’une part les dispositions relatives aux effets du contrat sont largement complétées et réorganisées au sein d’un chapitre dédié. Y figure une subdivision opportune entre les effets du contrat entre les parties (effet obligatoire et effet translatif) et les effets du contrat à l’égard des tiers (principes généraux, contre-lettre, porte-fort et stipulation pour autrui). D’autre part, un chapitre consacré aux actions ouvertes au créancier est créé reprenant l’action paulienne, l’action oblique et codifiant l’action directe, déjà consacrée par la loi ou reconnue par la jurisprudence dans plusieurs contrats (nouv. art. 1131 à 1331-3).

Les rédacteurs ont fait œuvre de pédagogie et de clarté en définissant de manière systématique les concepts et mécanismes juridiques dont les plus élémentaires comme la nullité relative et la nullité absolue (art. 1179 à 1181). Certains principes sont posés comme celui de la formation du contrat par le seul échange des consentements (nouv. art. 1171). Une nouvelle section introduit les solutions actuelles en matière de durée du contrat (prohibition des engagements perpétuels, rupture unilatérale du contrat à durée déterminée).

L’intervention du juge dans l’économie du contrat confortée. L’ensemble du dispositif apparaît plus rigide ce qui pourrait apparaître un handicap pour le juge dont la marge d’appréciation risque de se réduire. En réalité, il n’en est rien puisque le projet lui reconnaît la faculté d’apprécier et d’intervenir dans l’économie du contrat. En matière de contrat-cadre, il lui est expressément reconnu la faculté de réviser le prix ou d’allouer des dommages et intérêts ou encore d’accorder la résolution du contrat (nouv. art. 1163). De même, le nouvel article 1196 relatif à l’effet obligatoire du contrat, rompant avec la jurisprudence Canal de Craponne (6 mars 1876, GAJC, 12e éd., n° 165), généralise la possibilité de renégocier le contrat en cas de changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion et permet, en cas de refus ou d’échec de la renégociation, de demander au juge l’adaptation du contrat ou d’y mettre fin.
 

Quelques illustrations du nouveau droit des contrats. La distinction entre obligation de donner, de faire et de ne pas faire disparaît du code emportant avec elle ses difficultés de classification (nouv. art. 1101). Seule l’obligation de donner est conservée au sein des dispositions relatives à l’effet translatif du contrat (nouv. art. 1197 à 1199).
 

Certains contrats font à présent l’objet d’une définition : contrat solennel, consensuel, d’adhésion, cadre, de gré à gré.
 

Le principe du consensualisme n’est pas seulement posé, l’alinéa 2 du nouvel article 1102 en prévoit les limites avec une référence évidente à la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (respect des règles d’ordre public et aux droits et libertés fondamentaux, à moins que l’atteinte soit indispensable à la protection d’intérêts légitimes et proportionnée au but recherché). L’absence de référence aux bonnes mœurs doit toutefois être soulignée : est-ce un oubli, un abandon ou la volonté pour les rédacteurs du projet de désavouer l’article 6 du code civil si malmené par la jurisprudence ? Le principe de bonne foi est inscrit au stade de la formation des contrats et plus seulement dans son exécution.
Enfin, l’une des innovations de cette réforme est naturellement la suppression de la théorie de la cause : le texte ne parle plus d’objet certain et de cause licite mais plus largement de contenu licite et certain du contrat (nouv. art. 1127), ce qui revient, semble-t-il, à supprimer le vocable tout en en conservant la fonction.

Le contrat conclu par voie électronique, ajouté maladroitement au dernier chapitre du titre trois pour pallier un vide juridique, est désormais plus structuré et lisible. Les articles sont déplacés et répartis au sein des sections relatives à la conclusion du contrat, à la forme du contrat et à la preuve des obligations. Sur le fond, le projet complète le dispositif des conditions de validité du contrat électronique. Le principe du recours possible à la voie électronique pour tout contrat est posé. S’agissant de la forme de ce contrat, le texte maintient la possibilité de recourir à la forme électronique, y compris pour les actes authentiques sauf les exceptions prévues à l’article 1108-2.

Les dispositions relatives à l’action en nullité, à la confirmation de l’acte et en rescision (art. 1304 à 1314) sont également déplacées. Le « législateur » a entendu créer une section relative à la sanction des conditions de la formation du contrat comprenant la nullité et la caducité. Il introduit une définition de la caducité du contrat (nouv. art. 1186) et en prévoit les effets (nouv. art. 1187). Les articles relatifs à la rescision sont intégrés aux développements des contrats conclus par le mineur incapable (nouv. art. 1147 et 1148). Sur le fond, il n’y a pas de modification au droit existant ; toutefois, dans la lignée de la réforme sur la prescription, l’action pour agir, qui est de cinq ans (art. 2224), ne peut être exercée au-delà de vingt ans à compter de la conclusion du contrat (nouv. art. 1143).
Le régime de l’inexécution du contrat a été réécrit afin de rendre les textes plus clairs mais sans que la substance du droit actuel n’en soit foncièrement modifiée. L’article 1218 nouveau donne une définition de la force majeure qui prend en compte les subtilités apportées par la Cour de cassation aux critères d’extériorité et d’irrésistibilité. De même, le texte prévoit l’intégration, déjà reconnue par la jurisprudence, de la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat à ses risques et périls en cas de comportement grave dans l’inexécution du co-contractant (nouv. art. 1126).

II. Les quasi-contrats
 

Les idées directives formulées pour le droit des contrats se retrouvent au sein des quasi-contrats. Le sous-titre consacré aux autres sources d’obligations définit et organise le régime juridique des quasi-contrats dont une nouvelle définition est proposée : ce « sont des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers autrui » (nouv. art. 1300). Actuellement doté de onze articles, il se voit logiquement complété et précisé toujours dans le sens d’une codification des solutions jurisprudentielles. Un chapitre par quasi-contrat – gestion d’affaire, répétition de l’indu et enrichissement sans cause – a été rédigé. Le texte élargit les conditions de recours à la répétition de l’indu à l’hypothèse, reconnue par la jurisprudence, d’un paiement indu réalisé sous la contrainte (nouv. art. 1302-2). S’agissant de l’action de in rem verso, le texte nouveau intègre les innovations dégagées par les tribunaux et la doctrine et elle fait l’objet de précisions sur le calcul de l’indemnité et sur les conséquences de la faute de l’appauvri. Ainsi, le projet ouvre l’action à l’appauvri qui a commis une faute tout en permettant au juge, en guise de sanction, de modérer l’indemnité qui lui est consentie.

III. Le régime général des obligations

Aux sources des obligations succède « le régime général des obligations » constituées de cinq chapitres : « les modalités de l’obligation », « l’extinction de l’obligation », « les actions ouvertes au créancier », « la modification du rapport d’obligation » et « les restitutions ». Ce titre propose un régime général de l’obligation allégé et réorganisé. Ainsi, au sein des modalités de l’obligation, les conditions potestative, casuelle et portant sur une chose impossible des articles 1169 à 1175 du code civil sont supprimées, tandis que l’obligation conditionnelle, l’obligation à terme et l’obligation plurale forment désormais les trois sections de ce chapitre. Les textes consacrés à l’obligation solidaire se voient réduit de moitié, passant de vingt à dix articles. Le régime ne reprend que les grands principes de la solidarité entre les créanciers et entre les débiteurs. De même les développements relatifs aux obligations conditionnelles regroupent et traitent désormais ensemble la condition suspensive et la condition résolutoire. Par exemple, la suppression de la rétroactivité des effets de l’obligation au jour de la conclusion du contrat au profit du jour de l’accomplissement de la condition suspensive, principe auquel les parties peuvent toutefois déroger (nouv. art. 1304-6).

En revanche, les textes relatifs à l’obligation à terme sont enrichis. Par exemple le nouvel article 1305-5 précise que la déchéance du terme encourue par un débiteur devient inopposable à ses codébiteurs, même solidaires. Le projet d’ordonnance maintient par ailleurs la possibilité que le terme ne soit pas fixé par les parties tout en prévoyant la possibilité pour le juge de fixer, le cas échéant, un délai raisonnable (nouv. art. 1305-1).

Enfin, en parallèle à la définition de l’obligation alternative du code civil, le projet ajoute une définition de l’obligation cumulative, laquelle ne permet au débiteur de se libérer que par l’exécution de la totalité des prestations prévues par l’obligation (nouv. art. 1306).

Le chapitre consacré à l’extinction de l’obligation est également sensiblement modifié. L’article 1234 énumérant les sources d’extinction de l’obligation est supprimé. Désormais, la novation, la délégation, la cession de créance n’apparaissent plus, à juste titre, dans les causes d’extinction de l’obligation. Ces opérations juridiques à trois personnes font l’objet d’un chapitre portant sur la modification du rapport d’obligation auquel il est ajouté les cessions de dette et de contrat qui sont désormais consacrées par la loi. Cela sera probablement d’un grand secours pour les praticiens du droit des affaires. En revanche, sont maintenus comme facteur d’extinction, le paiement, la compensation, l’impossibilité d’exécuter, la remise de dette et la confusion.

Les règles relatives aux restitutions, inexistantes au sein du code civil, sont uniformisées et regroupées au sein d’un même chapitre. Ainsi, le « législateur » a précisé le sort de la restitution des fruits, l’hypothèse d’un débiteur de mauvaise foi ou encore la question de l’évaluation de la restitution lorsque celle-ci se fait en valeur. Autant de précisions qui apportent de la clarté aux effets du prononcé de la restitution en matière de nullité (nouv. art. 1178), de caducité (nouv. art. 1187), de résolution (nouv. art. 1229) et de répétition de l’indu (nouv. art. 1302-3).

IV. Le droit de la preuve

À l’instar de l’ensemble de ce projet, le droit de la preuve a été réécrit dans un souci de simplification. Il est composé de trois sections : « des dispositions générales », « de l’admissibilité des modes de preuve » et « des différents modes de preuve ». La première section reprend les grands principes du droit de la preuve dont l’actuel article 1315 du code civil. Il simplifie les formulations afin de les rendre plus claires, sans apporter de modifications majeures : citons l’article 1383-1, al. 1er aux termes duquel « l’aveu extrajudiciaire purement verbal n’est reçu que dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen » et qui va remplacer l’actuelle formulation de l’article 1355 du code civil. De même, figure l’affirmation que la présomption simple peut être renversée par tout moyen inexistante du code civil et pourtant si évidente (nouv. art. 1355). L’acte authentique ne possède plus que trois articles contre sept actuellement. Il convient de souligner, enfin, l’introduction de l’acte contresigné par l’avocat au sein des différents modes de preuve.

Plus précis, plus clair, plus accessible, plus pédagogique, plus protecteur, telles sont les impulsions que les rédacteurs du projet d’ordonnance ont souhaité donner à notre nouveau droit des contrats. Ainsi, qu’il s’agisse du professionnel, de l’universitaire ou de l’étudiant, chacun appréciera de trouver un plan clair, réorganisé codifiant les diverses évolutions actuelles de la matière et correspondant davantage à celui enseigné dans nos facultés. L’ensemble du projet offre une rédaction plus moderne sans pour autant que la technicité de la matière juridique n’ait été omise.

Ce texte ne bouleverse pas notre droit des contrats, mais a le mérite de trancher certains débats doctrinaux dans un souci de clarté et d’attractivité tout en désacralisant ce pan de notre droit civil. Il constitue un premier pas dans la mise en mouvement de la réforme du droit des obligations, sujet à de nombreuses controverses et pour laquelle les propositions antérieures n’ont pas fait l’objet de consensus. Que le recours à l’ordonnance soit critiqué ou non, il a déjà permis de rendre de la cohérence à notre droit de la filiation et à notre droit des sûretés, ce qu’il faut saluer.
Ce projet fait l’objet d’une large concertation : professionnels, universitaires, mais aussi tout citoyen, invités à formuler leurs propositions à l’adresse suivante : contrats2015.dacs@justice.gouv.fr. Le gouvernement a jusqu’au 17 février 2016 pour publier l’ordonnance.

A cet effet, souhaitant participer à la construction de ce nouvel édifice législatif, les éditions Dalloz ont créé un blog Réformes du droit des obligations où seront publiées des contributions rédigées par un collectif d’auteurs, blog que vous pouvez consulter à l’adresse suivante : http://reforme-obligations.dalloz.fr/.