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Le droit en débats

On attend toujours une vraie « loi famille »

Un an après la loi sur le mariage pour tous, l’Assemblée nationale avait repris le flambeau des avancées sociales majeures avec l’examen de la « loi famille »… qu’elle a finalement ajourné sine die (proposition de loi n° 1856, relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, dans son état à l’issue de la seconde séance de l’AN du 20 mai 2014)…
 

Par Florent Berdeaux-Gacogne le 23 Mai 2014

C’est en tous les cas ce qui était promis initialement, et l’on s’attendait à voir réapparaître les grandes questions oubliées en 2013 (PMA), ou que le recul acquis depuis un an rendrait indispensables (nouvelle réforme de l’adoption, ouverture de la filiation hors mariage aux couples de même sexe dont on ne s’explique toujours pas qu’ils en soient privés…)

Or, l’examen de la proposition de loi qui était jusqu’à présent discutée (gardons malgré tout espoir qu’elle le soit à nouveau un jour) ne peut, dès la première lecture, que décevoir : non seulement elle est singulièrement restreinte aux questions d’autorité parentale (la PMA est donc exclue de l’objet même du texte) mais encore consiste-t-elle essentiellement à prendre acte des solutions de jurisprudence, quand elle n’a pas pour seul effet de changer un mot par un autre.
La future loi relative à l’autorité parentale est une loi de symboles, dont on est à peu près sûr qu’elle fera sourire dans les tribunaux (qui est bien l’endroit où l’on parle le plus de l’autorité parentale), tant elle n’aura pour effet que d’obliger les juges et les avocats à changer les termes utilisés, rien de plus.

Parlons de la mesure présentée comme disposition-phare : la double domiciliation, qui aurait, selon l’exposé des motifs, vocation à mettre « fin au choix binaire devant être opéré entre la résidence alternée ou la résidence au domicile d’un seul des parents ».

Cette volonté surprend : effectivement, on voit mal ce qu’on pourrait prévoir d’autre que de fixer la résidence de l’enfant chez l’un de ses parents, chez l’autre ou chez les deux…

En réalité, tout est dans le remplacement de la résidence par le domicile : on ne dira plus que l’enfant réside chez l’un puis chez l’autre, mais qu’il est domicilié chez les deux. Intérêt fiscal peut-être ou, déjà, symbolique : alors qu’on ne peut théoriquement avoir qu’un domicile (et plusieurs résidences) voici que l’enfant en aura deux, d’égale importance.

Une fois que cette modification terminologique est actée, que faut-il entendre concrètement ?

Dans les faits, la loi n’a pas créé le don d’ubiquité : l’enfant devra bien dîner, dormir et tout simplement être chez l’un à un instant T, et chez l’autre à un autre instant : la proposition de loi n’échappe donc pas à la précision selon laquelle les modalités de cette double domiciliation seront fixées d’un commun accord ou par le juge : bref, exactement comme aujourd’hui.

Si les deux parents s’entendent, tout ira bien : l’enfant sera domicilié chez les deux et le « temps d’accueil chez chacun de ses parents » (comprendre : sa résidence effective) sera déterminé selon son intérêt (comprendre : selon la volonté des parents sous contrôle, parfois, du juge amené à homologuer l’accord).
 

À défaut d’accord, que devrons-nous plaider ? Un parent demandera que l’enfant, domicilié chez les deux, ait un « temps d’accueil » d’un week-end sur deux chez l’autre, ou encore de tel jour à tel jour, tandis que l’autre parent demandera que son « temps d’accueil » soit fixé selon d’autres modalités.

En définitive, on se battra toujours sur la même question (où doit habiter l’enfant, à quel moment ?) et le parent dont le « temps d’accueil » sera limité à 4 jours par mois ne trouvera pas beaucoup de consolation dans le fait que, malgré tout, le domicile de son enfant restera fixé, symboliquement, autant chez lui que chez son ex.

Finalement, si l’on considère que le seul apport de la loi est de dire que l’alternance est le principe, on se méprend sur la réalité judiciaire : d’une part, l’alternance est rarement demandée (et la loi n’ira pas jusqu’à l’imposer alors qu’elle n’est pas souhaitée), et d’autre part, lorsqu’elle l’est, les juges considèrent déjà qu’il s’agit du principe puisque c’est au parent qui, au contraire, réclame la « garde exclusive » de prouver pourquoi cela serait davantage dans l’intérêt de l’enfant.

À la rigueur (et ce serait déjà bien), on peut penser que la loi cherche avant tout à réaffirmer l’égalité des parents et, entre les lignes, celle du père au regard des droits de la mère. On s’en félicite.

D’autres dispositions sont, tout de même, plus intéressantes.

Le rappel de ce qu’est l’exercice conjoint de l’autorité parentale n’est pas superflu : nombre de magistrats prennent soin de l’indiquer dans leur jugement, et beaucoup de parents, se sentant méprisés par l’autre, le demandent.

Car (sur ce point l’exposé des motifs est pertinent), la réalité de l’exercice de l’autorité parentale entre parents séparés en mène souvent un des deux à considérer qu’il est devenu tout puissant.

Il faut donc se féliciter de ce que la loi entende définir ce qu’est un acte usuel et un acte important (la définition retenue étant à cet égard celle que la jurisprudence avait élaborée), en visant précisément le déménagement et le changement d’école. La pratique montre en effet que nombre de parents (pour ne pas dire « pères ») se retrouvent devant le fait accompli. Ces dispositions devraient donc conduire les établissements scolaires, qui ne seront plus protégés par la présomption d’accord entre les parents, à systématiquement s’assurer de la présence des signatures des deux titulaires de l’autorité parentale.

Sur un plan pénal, la « rétrogradation » de la non représentation d’enfant en simple contravention (pour les faits commis une première fois) ne doit pas laisser penser à un angélisme de gauche : l’expérience montre que 2 mois de prison avec sursis (la prison ferme est rarement prononcée, et c’est heureux) ont bien moins d’effet que 5.000 € d’amende… Dans le même ordre d’idée, le rappel de ce que le juge peut fixer les modalités d’exercice de l’autorité parentale « au besoin sous astreinte » tendra peut-être à multiplier les demandes de ce chef, lesquelles sont bien rares aujourd’hui alors que le JAF, ou même le Juge de l’exécution, pouvaient déjà assortir un droit de visite ou toute autre mesure d’une condamnation sous astreinte dont le pouvoir coercitif n’est pas illusoire. 

Notons enfin qu’une nouvelle faute civile est créée : le Juge pourrait désormais condamner un parent au paiement d’une amende s’il constate que celui-ci fait délibérément obstacle de façon grave ou renouvelée (ce qui rappelle la notion de faute dans le divorce) aux règles de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. À n’en pas douter, la perspective de se voir infliger une telle amende (si les juges y ont recours et sous réserve de leur appréciation de la gravité) fera peut-être réfléchir le parent qui, systématiquement, oublie de demander son avis à l’autre pour une activité extra-scolaire, une sortie, un achat, une pratique religieuse… On ne peut en effet pas nier que, jusqu’à présent, nous sommes souvent bien démunis face à un parent multipliant les petites mesquineries qui, bout à bout, rendent la vie de l’autre impossible.

Enfin, le dada du législateur de la famille n’est pas oublié : le beau-parent (mais surtout pas son statut, nous dit-on dans l’exposé des motifs) fait encore l’objet d’une ébauche de … statut (comment y échapper ?) :
- délégation-partage d’autorité parentale, mais qui ne dirait pas son nom et serait soumise à la persistance de la vie commune avec l’autre parent (le mandat d’éducation quotidienne) ;
- présomption d’accord de l’autre parent pour les tiers de bonne foi (mais alors, comment ledit tiers pourra-t-il savoir que le beau-parent qui se présente à lui est bien, au moins, le beau-parent de l’enfant concerné ?) ;
- retouches de la délégation-partage de l’autorité parentale (la vraie) qui pourrait être ordonnée sans preuve de l’existence de circonstances particulières (que la jurisprudence du fond ne prend d’ailleurs plus la peine de caractériser).

Autant de mesurettes dans lesquelles on tentera d’aller piocher pour aider les adultes, vivant auprès d’enfants dont ils ne sont pas les parents légaux, à faire reconnaître leur lien avec eux.

Pas de quoi, néanmoins, consoler les mères sociales versaillaises qui se sont vu refuser l’adoption de l’enfant de leur épouse (mais Lille, Clermont-Ferrand, Bobigny et d’autres résistent !), alors qu’elles pensaient (naïvement) que la loi du 17 mai 2013 avait justement pour but de le leur permettre. Pour elles, on attend donc toujours une vraie « loi famille »… formons le vœu que c’est pour l’améliorer que nos députés l’ont, pour l’heure, mise de côté !