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Le droit en débats

Memorandum sur la criminologie

La criminologie fait l’objet, depuis 2009, d’un vif débat au sein de la communauté scientifique française. Une grande majorité des universitaires et des experts s’est accordée pour déplorer un manque de lisibilité des formations et regretter un trop fort cloisonnement des disciplines œuvrant dans ce champ de recherche.

Pour remédier à cette situation, la Conférence nationale de criminologie a préconisé en 2010, la création d’une section de criminologie au sein du Conseil national des universités (CNU). Cette préconisation a été suivie par le précédent ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche mais elle n’a pas entraîné l’adhésion de la plupart des enseignants-chercheurs concernés, si bien que l’arrêté du 13 février 2012 portant création de cette 75e section a été abrogé par la nouvelle ministre le 6 août 2012.

Dans ce contexte, et pour accompagner les réflexions des « Assises nationales de l’enseignement supérieur » et de la « Conférence de consensus de prévention de la récidive», la Conférence pluridisciplinaire des directeurs de centres de recherche et de diplômes en criminologie a décidé à l’initiative de Monsieur Olivier Cahn de réunir, à Cergy-Pontoise, le 28 janvier 2013, des enseignants-chercheurs, des chercheurs et des experts de toutes disciplines (juristes, sociologues, médecins, psychologues, démographes, etc.) désireux de s’accorder, sinon sur la définition de la criminologie, du moins sur les liens susceptibles d’être développés entre les différentes spécialités qui la composent et sur les moyens à mettre en œuvre pour la revaloriser.  A l’issue de cette réunion, la concertation s’est poursuivie entre les responsables de formation et de centres de recherche concernés, pour aboutir, fin avril 2013, à la rédaction d’un mémorandum sur l’état et les perspectives de la criminologie en France. 

Par Xavier Pin le 29 Mai 2013

Memorandum

La Conférence pluridisciplinaire des directeurs de centres de recherche et de diplômes en criminologie a tenu le 28 janvier 2013, à l’Université de Cergy-Pontoise, une assemblée scientifique, composée de représentants du droit pénal et de différentes sciences de la société et du psychisme. A l’issue de cette journée, le memorandum suivant a été élaboré :

Les directeurs de centres de recherche et de diplômes en criminologie, soussignés,

Vu le rapport remis au président de la République et au premier ministre en 2008 relatif «à la formation et à la recherche stratégique » (dit rapport « Bauer »),

Vu le rapport de la Conférence nationale de criminologie établi pour Madame le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche en juin 2010 (dit rapport « Villerbu »),

Vu le rapport d’étape du comité de suivi pour la mise en place du rapport Villerbu, préconisant la création d’une section du Conseil national des universités intitulée « criminologie, diplomatie, polémologie, stratégie » (dit rapport « Vallard »),

Vu l’arrêté 6 août 2012 modifiant l’arrêté du 2 mai 1995 fixant la liste des groupes et des sections ainsi que le nombre des membres de chaque section du Conseil national des universités et annulant la section 75 intitulée « criminologie »,

Vu l’ordonnance du président de la 4e sous-section de la section du contentieux du Conseil d’État n°358844, du 24 octobre 2012, donnant acte du désistement, enregistré le 30 août 2012, du recours de M. X. Pin et autres contre l’arrêté du 13 février 2012 du ministre de l’enseignement et de la recherche fixant la liste des groupes et sections ainsi que le nombre des groupes de chaque section du Conseil national des universités et l’arrêté du 13 février 2012 fixant les modalités de rattachement à la section criminologie du conseil national des universités,

Considérant que l’Université et les Grandes écoles professionnelles françaises, œuvrant dans le champ pénal (ENM, ENAP, ENSP, ENSPJJ, École des douanes, Écoles de la gendarmerie nationale, École nationale des greffes, Ecoles des avocats, etc.), produisent ou diffusent en toute indépendance des savoirs dans le domaine de la criminologie,

Considérant que les universitaires et les chercheurs du CNRS et des autres établissements publics de recherche (INSERM, INED,…) ne sont pas les seuls à produire des connaissances en criminologie, mais que celle-ci se nourrit aussi de l’expérience et des pratiques des acteurs de la sécurité, de la justice, du soin et du travail social,

Considérant néanmoins que les formations françaises portant la mention « criminologie » ou la mention d’une déclinaison de la criminologie manquent de lisibilité et que l’offre de formation est confuse,

ont convenu ce qui suit :

Article 1. Définition de la criminologie

1.1. La criminologie désigne l’étude scientifique du phénomène criminel et des réponses que la société lui apporte ou pourrait lui apporter.

1.2. La criminologie n’est pas une discipline à part entière mais un champ d’étude au carrefour de plusieurs disciplines - ou groupes de disciplines - relevant du droit, des sciences de la société, des sciences médicales et du psychisme, de la police scientifique et technique et de la philosophie.

1.3. La criminologie, dans sa diversité constitutive, participe des savoirs appliqués. Elle contribue à la production des connaissances nécessaires notamment à l’élaboration, l’amélioration ou l’abrogation des normes pénales.

Article 2. Désignation des chercheurs, des formateurs ou des praticiens œuvrant dans le domaine de la criminologie

2.1. Pour des raisons historiques et épistémologiques, le métier de « criminologue » n’existe pas en France, même si de nombreux métiers sont concernés par la criminologie.

2.2. Le titre de « criminologue » ne peut être qu’une qualité accessoire susceptible d’être utilisée pour désigner un chercheur, un formateur ou un praticien œuvrant dans le domaine de la criminologie. Le cas échéant, ce titre peut être accolé à une qualité principale correspondant à une formation primordiale, comme par exemple : juriste-criminologue, médecin-criminologue, économiste-criminologue, socio-criminologue, psycho-criminologue, démographe-criminologue, historien-criminologue, etc.

Article 3. Recherche en criminologie

3.1. La recherche en criminologie, comme toute recherche scientifique, suppose l’indépendance et le désintéressement.

3.2. La recherche en criminologie ne se confond pas avec l’expertise criminologique.

3.3. La recherche en criminologie peut être empirique et/ou théorique ; elle suppose observation, descriptions quantitatives et/ou qualitatives, réflexion, analyse, valorisation et débat.

3.4. En l’état actuel des réflexions, la création d’un doctorat en criminologie ne se justifie pas. En revanche, une valorisation des recherches doctorales en criminologie serait souhaitable sous la forme d’une éventuelle option ou spécialité « criminologie » attachée à un doctorat universitaire dans les disciplines concernées (01 : droit privé et sciences criminelles ; 04 : sciences politiques ; 16 : psychologie ; 19 : sociologie, démographie ; 20 : anthropologie, etc.).

3.5. Cette valorisation mériterait de faire l’objet d’une réflexion impliquant le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la Conférence permanente du Conseil national des universités (CNU) et la Conférence de directeurs de centres de recherche et de diplômes en criminologie. L’une des pistes de réflexion peut être la création de sections mixtes du CNU, pouvant être saisies par des docteurs (qualification) ou des enseignant-chercheurs (avancement, habilitation) s’estimant à l’interface des sections existantes.

Article 4. Formations en criminologie

4.1. L’enseignement de la criminologie est une action collective, pluridisciplinaire et/ou interdisciplinaire.

4.2. L’enseignement de la criminologie, comme tout enseignement de niveau universitaire, ne saurait être détaché de la recherche.

4.3. Les diplômes portant la mention « criminologie » ou la mention d’une déclinaison de la criminologie (psycho-criminologie, sociologie criminelle, sociologie pénale, victimologie, pénologie, etc.) devraient comporter une part significative d’enseignements relevant de la discipline principale de rattachement et une part au moins aussi significative d’enseignements relevant d’autres matières du champ criminologique. Si le droit pénal n’est pas la discipline principale de rattachement, un enseignement en droit pénal devra être dispensé.

4.4. Les diplômes portant la mention « criminologie » ou la mention d’une déclinaison de la criminologie peuvent être des diplômes universitaires (DU) ou des diplômes nationaux. Dans ce dernier cas, ils doivent être de niveau master.

4.5. La direction d’un centre de recherche en criminologie ou d’une formation en criminologie doit nécessairement être confiée à un enseignant-chercheur (professeur des universités ou maître de conférences) ou à un chercheur d’un EPST, titulaire, à ce titre, d’un doctorat dans une discipline de référence.

Liste des premiers signataires du memorandum

Archer, Frédéric
Codirecteur de l’Institut de criminologie de Lille

Bessette, Jean-Marie
Directeur du Master Sociologie, spécialité Criminologie, Université de Franche-Comté

Beziz, Annie
Directrice du master pénologie et co-directrice du Centre de droit pénal de l’Université Jean Moulin de Lyon

Bonfils, Phillippe
Doyen de la Faculté de droit d’Aix-Marseille

Cahn, Olivier,
Directeur du Centre d’Etudes et de Recherches en Sciences Criminelles, LEJEP, UFR Droit, Université de Cergy-Pontoise

Céré, Jean-Paul
Directeur du master droit de l’exécution des peines et droits de l’homme (Pau, Bordeaux IV, Dakar)

Conte, Philippe
Directeur de l’institut de criminologie de Paris II

Danti-Juan, Michel
Directeur de l’Institut de sciences criminelles, Equipe poitevine de recherche et d’encadrement doctoral en sciences criminelles (ISC-EPRED), Université de Poitiers

Darsonville, Audrey 
Directrice du M2 Etudes pénales et criminelles, Université Lille2

Fardoux, Olivier
Codirecteur de l’Institut de criminologie de Lille

Gautron, Virginie
Directrice adjointe du laboratoire droit et changement sociale, directrice du DU de criminologie, Université de Nantes

Grihom, Marie-José
Responsable du parcours criminologie-victimologie du master 2 de psychopathologie clinique, Université de Poitiers

Grunwald, Sylvie 
Directrice du Master II Droit pénal et sciences criminelles et du DU de Criminologie, de la Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université de Nantes

Jobard, Fabien 
Directeur du Centre d’études sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP)

Maréchal, Jean-Yves
Codirecteur de l’Institut de criminologie de Lille

Mucchielli, Laurent
Directeur de l’Observatoire Régional de la Délinquance et des Contextes Sociaux.

Pin, Xavier 
Directeur du Master Droit pénal fondamental et co-directeur du Centre de droit pénal, Université Jean Moulin de Lyon

Planque, Jean-Claude 
Codirecteur de l’Institut de criminologie de Lille

Poncela, Pierrette 
Directrice du Master 2 de Droit pénal, Université Paris Ouest Nanterre

Ribeyre, Cédric
Directeur de l’Institut de sciences criminelles de Grenoble, Université de Grenoble

Robert Anne-Gaëlle 
Directrice du Diplôme universitaire de criminologie, faculté de droit de Grenoble

Saint-Pau, Jean-Christophe 
Directeur de l’institut de sciences criminelles de la justice de Bordeaux