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Le droit en débats

Plaidoyer pour la réforme Macron

La profession d’avocat se mobilise fortement contre le projet de loi porté par le ministre de l’économie, monsieur Emmanuel Macron. La mobilisation n’est pas unanime : comme souvent, signe de sa richesse et de sa grande indépendance, les grands mouvements de la profession se font dans un désordre complet.

Par Bernard Lamon le 09 Décembre 2014

En préalable, je tiens à souligner que j’ai beaucoup d’admiration pour mes confrères qui manifestent et font grève. L’équilibre économique de beaucoup de cabinets d’avocats est fragile et se priver d’une journée de chiffre d’affaires, voire d’une semaine dans certains barreaux, représente un effort tout à fait respectable.

Néanmoins, je vais exprimer en quelques lignes la raison pour laquelle je suis favorable à la totalité des propositions contenues dans ce projet de loi.

Bien évidemment, la méthode législative laisse beaucoup à désirer. Il existe un jeu de rôle politique qui se rapproche de la comédie policière américaine (le gentil policier avec le méchant policier) entre la ministre de la justice et le ministre de l’économie… On a même commencé à annoncer ce projet de réforme par l’insulte, de la part d’un ancien confrère, parfait mannequin de marinière armoricaine.

Mais, si la méthode est critiquable, il n’en reste pas moins que le seul espoir de changement profond dans les professions réglementées réside dans l’intervention du politique, y compris contre la majorité de la profession réglementée elle-même. En d’autres termes, aucune profession réglementée ne s’est jamais réformée de l’intérieur.

D’ailleurs, l’exaspération qui apparaît dans la profession d’avocat est en fait au-delà du refus de ce projet de loi. Cette souffrance provient des inquiétudes nées de « la grande transformation des avocats » (pour reprendre le titre de l’ouvrage que chaque professionnel doit avoir lu, sous la signature de Thierry Wickers).

Cette grande souffrance est due à une série d’interrogations sur l’identité de l’avocat dans un monde totalement changeant. Le client (particulier solvable ou bénéficiant de l’aide juridictionnelle, artisan, patron de PME ou directeur juridique de grande entreprise) est devenu ce qu’il n’était pas il y a encore cinq ou dix ans :

  • il est devenu exigeant (sur la prévisibilité des honoraires et sur la valeur ajoutée tirée de la prestation de l’avocat) ;
  • il est devenu smart (c’est-à-dire qu’il sait utiliser parfois beaucoup mieux que l’avocat qui est face à lui les outils qui lui sont amenés par le numérique) ;
  • il est devenu savant, sachant beaucoup plus de choses par moment que les avocats en face de lui (phénomène décrit aussi dans les salles d’urgence par Patrice Pelloux dans son dernier livre qui explique que, lorsqu’un patient attend aux urgences plus d’une heure avec sa radio dans la main, il reçoit le médecin avec un diagnostic qu’il a obtenu en consultant des forums de discussion sur internet) ;
  • enfin, il est devenu beaucoup plus mature avec la disparition de la mystique liée au titre de l’avocat.

C’est cet ensemble qui cause la recomposition du rôle et la souffrance exprimée par de nombreux confrères qui perdent leur statut de notable et dont la légitimité est remise en cause au plus profond de leur esprit. La promesse qui leur a été faite en faculté (travaillez, prenez de la peine, c’est le fond qui manque le moins), puis dans les premières années d’apprentissage (qui s’apparente à du larbinat dans certains cabinets avec des rythmes de vie hallucinants) a été rompue et elle est en train d’être détruite.

Si l’on reprend l’un après l’autre les cinq axes du projet de loi qui nous sont présentés et si l’on met de côté les scories politiciennes qui les accompagnent (prétendre vouloir rendre du pouvoir d’achat en supprimant le tarif de la postulation relève d’un humour très particulier), l’on s’aperçoit que toutes ces propositions sont excellentes pour l’intérêt du client mais aussi pour l’État de droit. Au final, ma conviction est qu’elles sont également excellentes pour les avocats.

Prenons deux exemples seulement : la fixation des honoraires et l’avocat en entreprise.

En ce qui concerne la convention d’honoraires, le projet de loi propose qu’elle devienne obligatoire. Celui qui se révolte contre cette exigence n’a qu’un seul pas à faire : lire le rapport de l’inspection des finances qu’il trouvera en libre téléchargement sur internet en deux minutes d’efforts. Il apprendra que 96 % des sondés considèrent que les tarifs pratiqués par les avocats sont chers (sondage cité page 19 du tome 1 du rapport publié de manière très transparente, il faut l’en féliciter, sur le site du ministère de l’économie et des finances). Si cette conviction est aussi lourdement ancrée dans le public, la pratique de la profession en est la cause. Malgré les incitations (voire l’obligation posée par le règlement intérieur national depuis plusieurs années), la convention d’honneur n’est pas pratiquée. La conséquence en est très simple : les clients ne savent pas le prix de la prestation qui leur est rendue. Quand on ne connaît pas le prix d’une chose, on l’estime toujours trop cher…

Or la prestation de l’avocat, dans sa composante contentieuse ou de conseil, est indispensable à l’exercice d’un État de droit démocratique. La meilleure démonstration en est le contre-exemple. Les pays où les avocats n’existent pas ou ne peuvent pas pratiquer librement ne sont pas des démocraties. Et si la justice est gratuite, le droit à un coût. Il est donc indispensable pour les clients, l’État de droit, et au bénéfice des avocats eux-mêmes que la convention d’honoraires devienne obligatoire. Et comme une obligation n’est qu’un tigre de papier sans un contrôle, il n’est pas illégitime que deux conséquences en soient tirées : pas de convention d’honoraires, pas de taxation. Et, d’autre part, il faut que les contrôles administratifs puissent se dérouler avec toutes les garanties de respect du secret professionnel (présence du bâtonnier ou son délégué par exemple).

Un autre exemple de la résistance au changement – caractéristique des juristes en général – est le refus de l’intégration des juristes d’entreprise qui le souhaitent. Il faut d’abord mesurer que l’ignorance est un terreau fertile du fantasme. Qui sait, par exemple, qu’une partie importante des juristes d’entreprise sont des anciens avocats ayant parfois exercé dix ans dans la profession avant d’exercer leur métier d’une nouvelle manière ? Et, en synthèse, les arguments qui sont opposés sont exactement les mêmes que ceux qui ont été opposés à la fin des années 1980 pour mettre obstacle à la fusion entre les avocats et les conseils juridiques : doute sur la possibilité pour un salarié d’être indépendant, interrogations sur le respect du secret professionnel, sur le respect de la déontologie. Un mot sur la notion d’indépendance : j’ai exercé selon quatre statuts – collaborateur salarié, collaborateur libéral, associé d’une petite structure (SCP) puis d’une structure moyenne (SEL avec 20 associés si propice) – avant de créer mon cabinet de niche. Je peux témoigner que le statut ne change rien à la manière dont j’ai vécu le métier…

Le plus raisonnable des avocats opposés à cette fusion devient totalement incontrôlable quand il assène cet argument qui ne peut faire l’objet d’aucune réfutation, signe que l’argument n’en est pas un : Nous allons perdre notre âme ! Notre identité est en jeu !

À ces avocats, inquiets notamment du respect de leur identité, je propose de porter le regard un peu plus loin que nos frontières et qu’ils interrogent leurs confrères allemands et leurs confrères espagnols. En Espagne, la moitié du barreau est composée d’avocats exerçant en entreprise… Les avocats espagnols n’ont pas pour autant perdu leur âme ou leur identité…

Au moment où le ministre de l’économie a annoncé que, plutôt que de procéder par ordonnance, il laisserait sa place au débat parlementaire et donc à la concertation démocratique (qui n’a rien à voir avec le bazar totalement inorganisé du jeu complètement obscur entre le conseil de l’Ordre de Paris, le Conseil national des barreaux en pleine recomposition, la Conférence des bâtonniers et les différents syndicats), je veux porter un message d’optimisme et de raison.

Non, l’avocat ne perdra pas son âme si les juristes d’entreprise s’inscrivent au barreau. L’avocat se nourrira d’une grande richesse intellectuelle, le droit progressera dans toutes les organisations (entreprises mais aussi collectivités territoriales…). Et tout ce qui peut faire disparaître des pratiques totalement obsolètes, dont la légitimité n’est même pas discutable dans l’esprit du public car elle a disparu de fait (par exemple le tarif de la postulation dans certaines matières), doit être approuvé.