Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Le droit en débats

Réforme pénale : les angéliques ne sont pas ceux que vous croyez

L’angélisme est le refus d’admettre la réalité par excès de candeur. Ce trait de caractère s’attribue difficilement aux penseurs musclés qui croient voir dans notre pays une justice laxiste.

Par Philippe Vouland le 28 Mai 2014

En effet, ces tenants du quasiment tout répressif n’évoquent pas la luminosité de l’ange, pourtant ils en ont la candeur et la naïveté.

Les défenseurs des peines plancher, les combattants anti-érosion des peines, les tenants de la fermeté d’abord, les dénonciateurs d’une justice française laxiste sont de dangereux rêveurs.

Ils croient que la peine très sévère (parfois indispensable, il est vrai) est exemplaire, ils pensent que soustraire totalement et longtemps un délinquant du corps social (quelques fois obligatoire, en effet) protège réellement celui-ci. Ils refusent de voir ce qu’ils ont sous les yeux, d’admettre que la terre n’est pas plate et qu’elle tourne autour du soleil.

Dans toute activité humaine se pose toujours la question du sens de celle-ci.

La pratique pénale n’échappe pas à la règle et nous invite à lever le nez de notre dossier, à regarder plus loin que notre audience.

Bien sûr chaque dossier est différent, chaque audience a son atmosphère, son rythme, délivre son message. L’audience criminelle fait œuvre de justice et de pédagogie, elle individualise chaque histoire, donne la parole à tous, la victime étant fort légitimement considérée. Ceci à l’aune du talent de chaque président(e). L’avocat général (magistrat représentant l’accusation) et les avocats des parties s’expriment comme nulle part ailleurs et célèbrent parfois notre langue, notre pensée, notre culture autour d’authentiques moments de grâce.

L’audience correctionnelle, plus rapide, plus caricaturale, s’efforce de donner sens à chaque décision.

Le parquet rappelant publiquement et inlassablement les principes et les lois qui permettent de vivre ensemble en proposant une palette de sanctions (essentiellement l’emprisonnement) prévue par la représentation nationale et l’avocat souvent commis d’office, de permanence, cherche à restituer, au-delà des aspects techniques et juridiques, l’humanité et la singularité de chacun en essayant dans la plupart des cas d’adoucir ou de rendre plus adaptée la sanction proposée.

Ainsi décrite, la justice pénale est presqu’idéale, cependant elle ne répond pas à la vrai question : à quoi cela sert-il ?
Tous les observateurs répondent : à rendre la justice.
Mais qu’est-ce en matière pénale ?

La loi n’avait jamais répondu à cette question, c’est bientôt chose faite et ce n’est pas un détail.
Le projet d’article 130-1 du code pénal définit à quoi sert une peine et donc ce qu’est la finalité de la justice pénale lorsqu’elle décide de condamner et stipule :

« Afin de protéger la société, de prévenir la récidive et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des droits reconnus à la victime, la peine à pour fonction :
- de sanctionner le condamné
- de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion »

Cette définition de la peine devrait trouver consensus auprès des angéliques de la répression et des réalistes, sauf peut-être sur la dernière phrase qui prévoit de favoriser la réinsertion.

C’est en effet sur cette finalité que naissent tous les malentendus, tous les procès d’intention, toutes les suspicions idéologiques, toute la mauvaise foi parfois des commentateurs.

Pourquoi favoriser l’insertion ou la réinsertion ?

Vu du côté des victimes, cette question est souvent outrageante, nombre de celles-ci souhaitent une vengeance, une souffrance du condamné, une peine proche de leur ressentiment, c’est-à-dire presque éternelle.

Légiférer au prisme de ce paramètre serait céder à « la dictature de l’émotion » et refuser d’élever le débat au dessus de contingences individuelles.

Ecouter et comprendre une victime n’est pas lui donner le pouvoir.

Le point de vue des victimes n’est donc pas le plus qualifié pour évoquer la question de la réinsertion des condamnés ou la juste peine pour un prévenu.

Son avis est recueilli en cas d’aménagement de peine (ce qui est loin de faire l’unanimité) et sa présence à l’audience n’est pas remise en cause( notons qu’aux États-Unis la victime est absente du procès pénal mais qu’elle est mieux indemnisée qu’en France, ce qui est peut-être une plus grande marque de respect).

La réinsertion est pourtant d’une grande importance pour les victimes puisqu’elle aboutit à en diminuer le nombre.

La réinsertion réussie est « rentable », elle limite la récidive et protège le corps social.
La réinsertion est « surveillable » et quantifiable, on peut l’étudier, la contrôler, elle s’inscrit dans la réalité.

Son adversaire, l’exemplarité de la peine, est incantatoire, claironnante et non quantifiable.
N’oublions jamais que de nombreuses études sur la peine de mort concluaient qu’elle était criminogène !
La violence engendre la violence, la forte répression (sauf de rares cas) est une violence source d’incompréhension donc de rejet, donc de violences en retour.
La violence est vécue comme un cauchemar, elle nous renvoie donc au rêve et ne s’inscrit pas dans la construction réaliste d’une politique pénale.

Comment favoriser la réinsertion ?

Le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale, qui concerne la très grande majorité des affaires, supprime toute automaticité des décisions judiciaires et prend en compte la réalité de terrain et la complexité de chaque cas en donnant de nouveaux outils et en rendant toute liberté aux juges.

La suppression des peines plancher, la suppression de la révocation automatique ses sursis simples, la possibilité d’ajournement pour étude de personnalité, la création de la peine de contrainte pénale sont la preuve d’un retour à la confiance en la liberté des juges ( qui ne se privent d’ailleurs pas d’être répressifs lorsqu’ils l’estiment utile) et une adaptation au monde réel dans lequel les nouvelles technologies peuvent faire évoluer le contrôle social et la répression.

Quelque 77 % des Français pensent que la prison ne dissuade pas les délinquants (source : Les Français et la Prison, info stat. n° 122, juin 2013), leur donner raison sur cette seule base serait le début de l’angélisme, mais il s’avère que la réalité du terrain dit la même chose : les personnes libérées sans suivi ont récidivé à 63 %, celles sorties en libération conditionnelle l’ont fait à 39 % (source adm. pénit. 2011).

L’Allemagne dont le pragmatisme n’est plus à démontrer et dont l’angélisme semble absent a accordé en 2011, 40 868 libérations conditionnelles, quand la France n’en accordait que 7 891.

Voilà où commence le déni de réalité chez les angéliques de la répression.
Voilà où s’ancre chez les autres la conviction du chemin à emprunter.

La sortie de prison accompagnée doit être la règle et dans l’hypothèse majoritaire des peines courtes (73 % de moins d’1 an et 56 % de moins de 6 mois) le juge doit pouvoir s’inspirer des méthodes de contrôles modernes et efficaces utilisées aujourd’hui pour les sorties accompagnées et ceci même au prix d’une non incarcération si la situation le commande.
La contrainte pénale s’inspire totalement de ce qui fonctionne pour les condamnés en termes de résultats contre la récidive et s’inscrit donc dans le réel efficace.

Le tout carcéral a vécu.

- augmentation de 35 % des détenus en 10 ans
- taux d’occupation : 116 %
- taux d’illettrisme : 10,9 % contre 7 % dans la population
- troubles psychotiques : 21,4 % chez les hommes
- suicides 1 tous les 3 jours, soit 2 fois plus que la moyenne constatée dans les 47 pays membres du Conseil de l’Europe.

Ces derniers chiffres n’accompagnent aucune amélioration ressentie ou constatée, ils peuvent faire frémir pour des raisons philosophiques ou humanitaires, ils peuvent aussi nous convaincre très froidement que la prison n’est pas « rentable », que la pratique démontre que ce sont les solutions élaborées, parfois complexes, toujours réfléchies qui le sont.

On peut évidemment rêver d’une grande réforme de procédure pénale, le rapport Delmas-Marty trente ans après, reste du fond de son tiroir la référence absolue, on peut rêver d’une garde des Sceaux plus technicien(e) et plus entreprenante, on peut rêver…

Mais justement, on ne rêve plus et le texte présenté à partir du 3 juin 2014 à l’Assemblée nationale paraît peu ambitieux mais constitue incontestablement un progrès et un test grandeur nature de ce qu’est la « realpolitik » en matière de justice.